"Tout le monde attend et flippe" : dans les coulisses de l'hypothétique remaniement, qui met les nerfs des ministres et conseillers à l'épreuve
Il existe une recette du remaniement. Le changement d'une équipe gouvernementale aurait tout d'un gâteau composé de plusieurs couches, "genre forêt noire". La première couche, décrit un conseiller ministériel, "c'est le fourmillement" où "chacun s'active, les journalistes comme les cabinets". Puis vient celle du "casting" où "on fait ses pronostics" avec les ministres donnés sur le départ. Pour terminer, "la dernière couche" : "la paralysie", quand "tout le monde attend l'onction présidentielle".
Cela fait désormais plusieurs semaines que chacun scrute chaque jour un éventuel signe en provenance de l'Elysée. Mais toujours rien. A l'heure de la fête nationale et du bilan des "100 jours d'apaisement et d'action" décrétés le 17 avril, après la crise sur la réforme des retraites, Emmanuel Macron ne semble pas pressé de remanier. Il ne prendra d'ailleurs pas la parole, vendredi 14 juillet, mais "dans les prochains jours", a fait savoir l'Elysée. Le chef de l'Etat a tout de même tenu, jeudi, à rassurer ceux qui sentent le couperet arriver. "Je sais ce que c'est, j'ai été à votre place. Surtout, ne lisez pas les journaux", a-t-il lancé lors du Conseil des ministres, selon les propos rapportés par un membre du gouvernement à France Télévisions.
Les uns et les autres se raccrochent donc aux rumeurs qui circulent à toute vitesse. Les émeutes, qui ont secoué la France pendant plusieurs jours après la mort du jeune Nahel à Nanterre, ont bien figé la situation pendant quelque temps. Mais sitôt les violences urbaines retombées, les spéculations sont reparties de plus belle. Comme le 7 juillet, lorsqu'un conseiller ministériel pianote sur la messagerie Telegram : "'Remaniement lundi'. Deux mots en boucle à la machine à café". Il n'en faut pas plus pour que "tout le monde s'excite", dixit un interlocuteur régulier du président de la République. Mais remanier avant le 14-Juillet n'est pas sans risque, pense savoir une autre conseillère : en cas de reprise des émeutes, "cette annonce qui se doit d'être positive aurait été abîmée".
"Pendant les travaux, la vente continue"
Si les ministres sont dans le flou et les cabinets parfois en suspens, il faut pourtant montrer un gouvernement "au travail". Interrogés, plusieurs membres de l'équipe d'Elisabeth Borne mettent ainsi en avant leurs dossiers du moment. "Je dois dire qu'entre Vivatech [le rendez-vous annuel de l'innovation technologique], le projet de loi [visant à "sécuriser et réguler l'espace numérique"] adopté à l'unanimité au Sénat et la gestion des réseaux sociaux pendant les émeutes, j'ai été plutôt occupé", détaille le ministre délégué à la Transition numérique, Jean-Noël Barrot, qui assure n'avoir "pas vraiment eu le temps de penser" au remaniement.
"En ce qui me concerne, je vous réponds de Toulouse où on inaugure une nouvelle ligne de production avec Bruno Le Maire et Clément Beaune [ministre de l'Economie et ministre délégué aux Transports]. Pendant les travaux, la vente continue", réplique, dans une métaphore toute trouvée, le ministre de l'Industrie, Roland Lescure. "J'ai eu un agenda très chargé de projets très concrets ces dernières semaines, sans parler des émeutes", abonde un autre membre du gouvernement.
La Première ministre, elle aussi, occupe le terrain. Le Parisien a publié le 8 juillet une longue interview d'Elisabeth Borne dans laquelle elle évoque pêle-mêle son bilan, les "100 jours", la transition écologique, mais aussi le remaniement. "J'ai une feuille de route, je délivre et je m'y tiens", assure la cheffe du gouvernement, ajoutant : "Je ne commente pas les rumeurs". Devant les parlementaires de la majorité réunis à Matignon mardi soir, elle s'est également félicitée que la "dynamique" de son gouvernement soit "pleinement lancée."
Fragilisée par la séquence des retraites, Elisabeth Borne a pourtant longtemps semblé sur la sellette, avant de retrouver une cote élevée au sein de la majorité, où certains pointent l'absence de plan B évident. "J'ai beau chercher dans tous les recoins, je ne vois pas le mouton à cinq pattes", confiait récemment un cadre de la macronie. Ce qui ne signifie pas pour autant qu'Elisabeth Borne soit "sauvée". "Cette interview de Borne dans Le Parisien, c'est un classique : tu montres des signaux pour dire que tu n'es pas menacée", décrypte un conseiller.
"On ne peut pas travailler dans ces conditions"
Au lendemain de cet entretien, un autre article de presse a fait grand bruit au sein de la majorité. Libération a publié une longue enquête sur Gérald Darmanin, intitulée "Les coulisses de son opération Matignon". Le ministre de l'Intérieur, en une du quotidien, est souvent cité parmi les potentiels remplaçants d'Elisabeth Borne. "Il y a un bras de fer entre les deux", croit savoir un conseiller ministériel. "Le papier sur Darmanin dans 'Libé', ça met une ambiance... On ne peut pas travailler dans ces conditions", s'agace un autre.
Au-delà du cas d'Elisabeth Borne, c'est bien tout l'appareil gouvernemental qui semble figé, malgré les mots d'ordre d'une équipe à l'œuvre. "Il ne se passe plus rien, tout le monde attend et flippe", relate une cadre de la majorité. De nombreux parlementaires critiquent déjà, depuis des mois, "un gouvernement faible", selon les mots d'une élue macroniste. "On ne peut pas repartir avec la même équipe encore des mois comme ça, au risque de mourir à petit feu."
"Ce n'est pas forcément hyper agréable, mais ça permet de resserrer les rangs", tente néanmoins de relativiser un ministre, qui parle du remaniement comme "d'une question qui flotte", que "l'on met un peu de côté", mais qui "reste entière". Une question qui se pose avec encore plus d'insistance pour les ministres les plus fragilisés, comme Pap Nidaye, critiqué de toutes parts à l'Education nationale, ou Marlène Schiappa, impliquée dans le scandale du fonds Marianne.
"C'est très macronien de prendre son temps"
Reste que la fenêtre de tir pour un remaniement avant la pause estivale semble de plus en plus étroite. Entre le sommet de l'Otan, qui s'est tenu à Vilnius (Lituanie) mardi et mercredi, et les célébrations du 14-Juillet, avec comme invité d'honneur le Premier ministre indien, l'agenda d'Emmanuel Macron est déjà bien chargé. Les regards se tournent donc vers la semaine à venir. "Est-ce que ça bougera le 17 [juillet] alors ?", se désespère un conseiller ministériel. Mais plus personne n'y croit vraiment. "Je trouve bizarre de remettre une énorme impulsion politique avant les vacances", souffle un proche du président.
"Les Français, ils sont comme moi : ils ont envie de regarder le Tour de France tranquillement sans qu'on leur parle de politique."
Un proche du président de la Républiqueà franceinfo
"A partir du 17, la majorité des Français est en vacances. Au bord de la plage, tu te moques du remaniement", abonde une conseillère ministérielle. A tel point que certains estiment que le changement d'équipe gouvernementale pourrait être remisé pour la rentrée, voire après les sénatoriales du 24 septembre. "C'est très macronien de prendre son temps...", sourit cette même source. "Au fond, le président n'a pas forcément envie de s'occuper de ça", soupire une autre.
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