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Ces ministres "transparents", sur un siège éjectable en cas de remaniement du gouvernement d'Elisabeth Borne

Article rédigé par Margaux Duguet, Clément Parrot
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8 min
Le ministre de la Santé, François Braun, le ministre des relations avec le Parlement, Franck Riester, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, le ministre de l'Education nationale, Pap Ndiaye et le ministre du Logement, Olivier Klein. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)
Les rumeurs de remaniement alimentent les discussions dans les couloirs des ministères depuis plusieurs semaines. Après une première année difficile dans un contexte de majorité relative à l'Assemblée nationale, certaines têtes de l'exécutif semblent fragilisées.

"Matignon et le gouvernement sont faibles", cingle un cadre de la majorité. "Trop techno", "trop nombreux", "trop discret"... Dans les rangs de la macronie, ils sont plusieurs à dénoncer ces derniers mois l'absence d'incarnation d'une partie de l'équipe gouvernementale. En clair, des ministres inconnus du grand public et qui n'arrivent pas à mettre en avant leur portefeuille. Fin décembre 2022, un sondage pour Le Figaro révélait que seuls six ministres étaient identifiés par les Français. Six mois plus tard, la donne n'a pas beaucoup changé.

"Le président de la République n'a en réalité que cinq ministres : Gérald Darmanin, Bruno Le Maire, Gabriel Attal, Clément Beaune et Sébastien Lecornu", estime une proche du chef de l'Etat. La liste apparaît bien courte dans un gouvernement qui compte 41 membres. Au moment où les rumeurs de changement au sein du gouvernement s'intensifient, les langues se délient et les ambitions grandissent. "Je plaide pour un remaniement très puissant avec des ministres politiques qui savent tenir leur administration", réclame une cadre de la majorité.

"Il nous faut des ministres solides, politiquement et médiatiquement."

Une cadre de la majorité

à franceinfo

Pour contrer les procès en invisibilité, plusieurs ministres ont créé "une boucle Telegram" dans laquelle ils tentent de promouvoir leur action auprès des parlementaires, raconte un député MoDem. Cela ne suffit pas à mettre fin aux reproches, notamment envers les figures gouvernementales issues de la société civile. Pour elles, "les temps sont très, très rudes, cela n'a rien à voir avec le début du premier quinquennat", glisse une figure de la majorité.

"On reste des ovnis dans le paysage politique"

Venu du monde universitaire, le ministre de l'Education nationale, Pap Ndiaye, est régulièrement ciblé par les élus de la majorité. "On ne l'entend pas, il n'imprime pas. Je trouvais le profil très bon, mais il ne s'est pas révélé", regrette un député Renaissance. "Il est terrorisé à l'idée de venir dans l'hémicycle, c'est un problème", alerte une cadre de la majorité. L'ancien professeur des universités aurait pu marquer les esprits lors de la présentation de son plan sur la mixité scolaire ou sur le dossier de harcèlement après le suicide de Lindsay, une collégienne du Pas-de-Calais. Cela n'a pas été le cas.

Selon une source parlementaire, "le président a envoyé Brigitte Macron en pompier" pour recevoir les parents de l'adolescente. "Je n'ai pas trouvé le ministre sincère", avait déclaré la mère de la jeune fille, avant de louer deux jours plus tard l'accueil de la Première dame. "Il a reçu la famille pendant plus d'une heure, il leur a donné son numéro. Il a annoncé des mesures dès l'automne sur le harcèlement", défend l'entourage du ministre. Et sur la mixité scolaire, "l'ensemble des mesures qui pouvaient être prises à notre échelle l'ont été".

"Il vient de la société civile, mais certains analysent son action comme s'il était une personnalité politique. Il a été nommé pour apaiser les choses dans la communauté éducative."

L'entourage de Pap Ndiaye, ministre de l'Education nationale

à franceinfo

Erwan Balanant, député du MoDem, pointe, lui, "des critiques injustes" à l'encontre d'un ministre "pas exubérant" mais "qui a des convictions". La formulation peut aussi s'appliquer à François Braun, ministre de la Santé et ancien président du Samu. "Il n'est pas mauvais sur le terrain, mais n'est pas expansif et ne donne pas d'entrain", note un cadre de la majorité. "Il est apprécié, sait gérer son écosystème, mais n'est pas bon au banc", assure un parlementaire Renaissance. Comprendre : pas assez percutant à l'Assemblée, face aux saillies de l'opposition. "Pour lui, la politique ne passe pas par des punchlines. Il ne fait pas de com' pour rien", rétorque son cabinet qui défend un ministre solide face aux attaques répétées.

"Certains comparent François Braun à une tortue. Hé bien, comme une tortue, il ne bouge pas et reste ancré dans le sol."

L'entourage de François Braun, ministre de la Santé

à franceinfo

Depuis ces dernières semaines, les ministres issus de la société civile se savent en danger. "On n'est pas majoritaires, rappelle l'un d'eux. On a été recrutés pour gérer un écosystème et pour notre capacité technique, mais on est sous-utilisés. On reste des ovnis dans le paysage politique, car on n'a pas les canons habituels."

Pour s'installer durablement dans le paysage, beaucoup manquent aussi de relais politiques. "Ils n'ont pas les moyens de se défendre politiquement, décrypte une conseillère ministérielle. Ils sont des cibles faciles pour des députés en manque de lumière et qui veulent être ministres." La remarque se vérifie particulièrement à l'approche d'un remaniement. Face aux attaques, François Braun avait choisi l'humour, en avril, en voulant lancer un "club des invisibles", lors d'un dîner finalement annulé, auquel devaient être conviés Pap Ndiaye et Christophe Béchu. 

"Il n'incarne rien"

Contrairement à ses deux collègues, le ministre de la Transition écologique baigne dans la politique depuis longtemps. Ancien maire d'Angers (Maine-et-Loire), Christophe Béchu a pris en charge un portefeuille considéré comme prioritaire par le président, au même titre que l'Education et la Santé. Discret lors des incendies de l'été dernier, il a peiné à se faire un nom. "Il n'existe pas sur ses sujets, il n'incarne rien", taclait en début d'année un député Renaissance. Mais les critiques se sont depuis adoucies, sans pour autant que le grand public ne l'identifie. Son cabinet se plaît à renvoyer vers une dépêche AFP vantant "une maîtrise 'indéniable' des dossiers et une notoriété 'en construction'"

Autre exemple d'un ancien élu local fragilisé : Olivier Klein. Le ministre du Logement est "une catastrophe", ose un peu gratuitement un élu de la majorité. "Il n'a pas arrêté de dire que tout allait être réglé avec le Conseil national de la refondation sur le logement. Or, la totalité des acteurs ont épinglé le truc, pas un seul n'en a parlé positivement", poursuit le même interlocuteur. Les annonces faites par l'ancien maire de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) ont effectivement déçu les professionnels du secteur. L'entourage d'Olivier Klein assure de son côté que ces mesures ne sont pas les dernières, et que le ministère est à la tâche pour les mettre en œuvre.

La liste des autres ministres et des secrétaires d'Etat qui peinent à exister est longue. Qui connaît Hervé Berville, Carole Grandjean, Agnès Firmin-Le Bodo, Dominique Faure, Sylvie Retailleau ? Tous n'ont pas des portefeuilles en vue, certes. 

"Patricia Mirallès est vachement bien, mais qui s'intéresse à la Mémoire et aux Anciens combattants ? Elle peut faire ce qu'elle veut, ça ne changera rien."

Un ténor de la majorité

à franceinfo

Quand il s'agit du ministre en charge des Relations avec le Parlement, les faux pas sont plus visibles. A fortiori en période de majorité relative, et pendant la réforme des retraites. "Franck Riester, ce serait bien qu'il ne fasse plus jamais de médias de sa vie. Il n'est pas au niveau", s'énervait un poids lourd de la majorité lorsque le ministre avait admis que les femmes allaient être "un peu pénalisées par le report de l'âge légal". "C'était un défi de communiquer dessus, ce n'était pas toujours simple", balaye son entourage aujourd'hui. 

"Quand tu es ministre, tu n'es pas libre"

Si peu de ministres se sont révélés depuis le début du second quinquennat Macron, c'est aussi, estiment certains, parce que la communication gouvernementale laisse peu de liberté aux intéressés. "Matignon bride tout, cela crée de la frustration", résume un ex-conseiller du pouvoir. "Ils renoncent aux déplacements et aux annonces pour laisser faire la Première ministre, peste un conseiller ministériel. Quand on dit que 80% du gouvernement est transparent, ce n'est pas faute de bosser, mais on ne peut pas incarner."

Cette autre conseillère ministérielle évoque "le phénomène de chaîne alimentaire : le président pique les annonces à sa Première ministre qui fait de même avec ses ministres." Le président s'était ainsi réservé la primeur des mesures sur la santé, en janvier, de la présentation du plan eau en mars, ou de l'annonce de la revalorisation du salaire des enseignants en avril. Des critiques rejetées par Matignon : "Si le président ou la Première ministre s'expriment, c'est au nom du collectif. Cela donne au contraire de la visibilité au sujet, et les ministres peuvent ensuite dérouler".

Lors des débats sur la réforme des retraites, les consignes de communication de l'exécutif étaient particulièrement restrictives. Seuls les ministres directement en lien avec le dossier étaient habilités à s'exprimer, au grand dam des autres. "Je regrette d'avoir été empêché de parler pendant un certain temps", assène un ministre. "Il n'y a pas eu de pause dans la communication gouvernementale" sur les autres chantiers, rétorque Matignon.

Des relectures d'interviews contestées

Reste que l'expression d'un ministre, même en dehors des retraites, laisse peu de place à l'improvisation. Matignon assure le rôle de coordination et peut demander à certains de décaler une prise de parole. Les interviews en presse écrite sont aussi un exercice particulièrement contrôlé avec relecture de l'exécutif. "C'est une méthode en place depuis très longtemps, il ne s'agit pas de réécrire des interviews", défend Matignon, qui ajoute seulement s'assurer qu'il n'y a pas d'erreurs.

Certains membres de l'exécutif ont toutefois eu des mauvaises expériences en la matière. "Je veux bien que l'on corrige des choses, mais que l'on écrive à la place du ministre, ce n'est pas tolérable, s'agace une conseillère ministérielle. Pourquoi il y a de moins en moins d'interviews en presse écrite ? Parce que c'est un calvaire !" Certains conseillers pensent avoir trouvé la parade en "essayant de privilégier les médias audiovisuels". "On a fini par prendre notre liberté par rapport à Matignon", admet l'un d'eux. Suffisant pour permettre à son ministre de rester au gouvernement ?

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