Elections européennes 2024 : pourquoi les écologistes, à la peine dans les sondages, font face à des vents contraires

Article rédigé par Fabien Jannic-Cherbonnel
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
Terry Reintke, eurodéputée allemande et co-cheffe de file des Verts européens pour les élections européennes, et Marie Toussaint, à la tête de la liste écologiste française pour le scrutin. Sa liste fluctue entre 8% et 9,5% des intentions de vote, loin des 13,47% obtenus en 2019. (JEREMIE LUCIANI / FRANCEINFO)
Les Verts européens pourraient perdre une vingtaine de sièges au Parlement aux élections de juin. En cause, la situation économique européenne ainsi que les attaques de l'extrême droite et d'une partie de la droite. La campagne "sera difficile" mais pas impossible, veulent croire les intéressés.

La vague verte est-elle en train de refluer ? A trois mois des élections européennes, les écologistes, distancés dans les sondages, s'inquiètent. Les partis verts de l'Union européenne (UE) avaient réussi une percée en 2019, en prenant 72 sièges sur les 705 de l'hémicycle pour la législature 2019-2024. Mais ils pourraient en perdre 20 lors du scrutin européen qui se déroulera du 6 au 9 juin, selon les projections d'Europe Elects du 5 février. Un tel recul "mettrait en danger les politiques climatiques de l'UE", s'alarme Terry Reintke, eurodéputée allemande et co-cheffe de file des Verts européens pour les élections. Les partis d'extrême droite, eux, sont donnés en forte progression.

En cinq ans, le vent a tourné et les écolos ne l'ont plus dans le dos. En France, la liste écologiste emmenée par Marie Toussaint fluctue entre 8% et 9,5% selon les trois derniers sondages réalisés en février par Elabe (PDF)l'Ifop (PDF) et YouGov. On est loin des 13,47% récoltés par Yannick Jadot en 2019. En Allemagne aussi, les Verts, membres de la coalition gouvernementale, sont donnés aux alentours de 13%, contre un score de 21% aux dernières élections européennes. Des chiffres qui inquiètent les parlementaires écologistes alors qu'à eux seuls, les élus allemands et français occupent 37 sièges. "On savait bien que ça serait une campagne difficile, car on observe une montée des courants réactionnaires dans toute l'Europe", commente la patronne des députés écologistes français, Cyrielle Chatelain. 

"La fin du mois l'emporte sur la fin du monde"

Au-delà des difficultés rencontrées par les partis au niveau national – la concurrence entre les listes de gauche en France, l'impopularité des gouvernements allemand, belge ou autrichien –, les écologistes doivent s'habituer à une nouvelle donne politique. "L'année 2019, c'est l'apogée du mouvement climat, ce que l'on constate dans les enquêtes d'opinion, mais aussi dans le nombre et la dynamique des marches organisées un peu partout", souligne Simon Persico, professeur à Science Po Grenoble et au laboratoire Pacte. Depuis, le Covid-19, la guerre en Ukraine et l'inflation galopante sont passés par là. "On se situe dans une dynamique politique différente, avec une poussée de l'extrême droite qui durcit ses positions anti-écolos et un contexte social et économique compliqué", ajoute le chercheur.  

Essorés par la hausse des prix, les Européens semblent moins disposés à faire des sacrifices pour la planète. Dans un Eurobaromètre publié en décembre 2023, seules 16% des personnes interrogées citaient le changement climatique comme l'une de leurs inquiétudes principales, loin derrière l'immigration (28%) et le niveau de vie (20%). "Nous sommes dans un moment où la fin du mois l'emporte sur la fin du monde", se désole l'eurodéputé écologiste belge Philippe Lamberts. 

"Nous faisons face à une société épuisée, écrasée, abandonnée, dans laquelle prêcher l'effort face au réchauffement climatique, c'est difficile à entendre."

Philippe Lamberts, eurodéputé écologiste belge

à franceinfo

La question économique n'explique cependant pas tout. En cinq ans, la lutte contre le réchauffement climatique est devenue un enjeu central de l'action de l'Union européenne, avec la mise en place du Pacte vert. L'initiative de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen vise la neutralité carbone du Vieux Continent d'ici à 2050 et a nécessité l'adoption de nombreux textes de lois. Conséquence, les enjeux climatiques ne sont plus portés uniquement par les écologistes, mais aussi par la gauche et la droite européennes. Les partis traditionnels ont ainsi contribué à l'adoption de l'interdiction de la vente des voitures neuves à moteur thermique prévue pour 2035 ou la loi de restauration de la nature.

Les Verts vus comme "des pisse-froid qui veulent nous punir"

Cette relative unanimité aurait pu ravir les écologistes, mais elle s'est doublée d'un autre phénomène. En cinq ans, les partis d'extrême droite européens ont fait des questions climatiques une cible privilégiée. Pour les écologistes, c'est "un retour de bâton contre les politiques climatiques" à mesure qu'elles sont mises en place par l'UE, analyse Philippe Lamberts. Sous la pression de l'extrême droite, la droite européenne a d'ailleurs fait voler en éclats la relative concorde qui entourait les sujets environnementaux, notamment avec le rejet d'un plan visant la réduction des pesticides. Les élus d'extrême droite ne sont désormais plus les seuls à dénoncer une "écologie punitive", expression employée régulièrement jusqu'au sommet de l'Etat français, rappelle Le Figaro.

A la surprise des principaux intéressés, la responsabilité des élus verts se retrouve aussi pointée du doigt un peu partout en Europe dans la crise que traversent les agriculteurs. "Ce que l'on paie aujourd'hui, c'est l'écologie punitive des écolos dingos de Bruxelles", attaquait ainsi fin janvier sur franceinfo Laurent Jacobelli, porte-parole du RN et député de Moselle. "Ce n'est pas nous qui élaborons les politiques agricoles actuelles !", s'exclamait en réponse le député européen David Cormand dans un article du Monde. "L'expression 'écologie punitive' et les attaques contre la notion de sobriété défendue par les écolos sont des arguments politiques massues, des armes idéologiques efficaces qui consistent à dire que les Verts sont des pisse-froid qui veulent nous punir", explique Daniel Boy, chercheur émérite au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof).

Peu importe que les eurodéputés verts n'aient pas soutenu Ursula von der Leyen lors de son élection en 2019 à la tête de la Commission européenne. Les écologistes, en voyant leurs thèmes de prédilection mis en avant par l'UE et en votant pour les mesures du Pacte vert, se retrouvent à devoir défendre une politique écologique qui n'est pas totalement la leur. "Il est certain qu'il manque un pilier social au Pacte vert, mais en même temps, on ne peut pas se soustraire à nos responsabilités parce qu'il faut continuer à le mettre en place", estime Terry Reintke. Amputé d'une vingtaine de sièges, le groupe des Verts perdrait de son influence au Parlement européen. L'eurodéputée allemande s'inquiète d'un futur hémicycle "bien plus à droite et plus eurosceptique", où la majorité "reposerait sur l'extrême droite". La présidente de la commission Ursula von der Leyen, candidate à un second mandat, n'a d'ailleurs pas exclu une collaboration avec la droite nationaliste, comme le rapporte Politico.

Faire de l'attaque un avantage et "créer un sursaut"

Face à ces vents contraires, les écologistes estiment que la mise en danger de l'ambition climatique de l'UE pourrait avoir du bon. "D'une certaine façon, ces oppositions repolitisent la question climatique", analyse Philippe Lamberts, pour qui l'absence de consensus forcera chacun à afficher clairement ses positions. "La division entre la gauche et la droite s'est largement durcie ces dernières années sur ces sujets", confirme Daniel Boy. "Les reculs sur l'écologie peuvent créer un sursaut chez toute une série de citoyens, qui sont, par exemple, pour la réduction des pesticides", analyse Simon Persico. 

Les écologistes européens estiment d'ailleurs que la crise que vit le monde agricole peut être une opportunité. "Les fermiers protestent contre des décennies de politique agricole conservatrice (...) Nous devons leur montrer qu'ils choisissent le mauvais ennemi avec le Pacte vert", expliquait ainsi Leonore Gewessler, ministre de l'Environnement autrichienne, à Politico. Le constat est partagé par les Verts français. "On est particulièrement crédibles, cela fait trente ans qu'on est contre les accords de libre échange et que l'on veut réformer la politique agricole commune", explique Cyrielle Chatelain. EELV a ainsi lancé une tournée agricole et plusieurs de ses élus, dont Marie Toussaint, se rendent vendredi 1er mars au Salon de l'agriculture à Paris.

Le choix de la "crédibilité" suffira-t-il ?

Surtout, quitte à être désignés comme cible, les écologistes comptent jouer sur leur différence avec l'extrême droite. "En mettant nos sujets au centre du jeu, l'extrême droite nous aide à dérouler notre discours", veut croire Philippe Lamberts. "Le projet écologiste, c'est l'idée de l'interdépendance, que l'on a besoin des uns des autres, au niveau personnel comme international, alors que le projet de l'extrême droite, c'est l'inverse, le repli et le rejet", complète Cyrielle Chatelain. 

Reste à convaincre les électeurs et électrices, notamment à gauche, que le bulletin de vote des écologistes est le meilleur à glisser dans l'urne. En France, les Verts parient sur le sérieux et la continuité, avec l'eurodéputée sortante Marie Toussaint comme tête de liste, travailleuse, mais peu connue. "Je pense que l'on est crédible lorsque l'on est cohérent avec soi-même, avec le projet que l'on porte", résume Cyrielle Chatelain.

Mais "être les plus crédibles ne suffira pas, car nous ne sommes pas encore au niveau de jeu auquel nous devrions être", prévient Philippe Lamberts, qui appelle ses collègues à "prendre à bras-le-corps la question de la transformation du modèle économique lors de la campagne" et à travailler sur "la désirabilité de l'équipe verte". Face aux discours de l'extrême droite, Terry Reintke compte faire campagne sur la "sécurité". "Si nous voulons vivre dans un monde sécurisé, alors les Etats européens doivent travailler beaucoup plus ensemble, pas moins", argumente-t-elle. Il reste tout juste trois mois pour convaincre les électeurs. Et tordre le cou à la légende qui voudrait que les écologistes réussissent systématiquement les années en 9 et sous-performent les années en 4.

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