Biodiversité : trois questions sur la loi pour la restauration de la nature adoptée par les députés européens

Le texte, adopté mardi à Strasbourg lors d'un vote très serré, exige de chaque pays membre de l'Union européenne qu'il restaure au moins 30% de ses écosystèmes en mauvais état d’ici à 2030.
Article rédigé par franceinfo
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Le bâtiment Louise Weiss, où siège le Parlement européen à Strasbourg (Bas-Rhin), le 30 octobre 2023. (RAMON VAN FLYMEN / ANP MAG / AFP)

Le doute a plané jusqu'à la dernière minute. Les députés européens ont adopté, mardi 27 février, un texte clé du Pacte vert imposant aux 27 pays membres de réparer les écosystèmes abîmés. Ce vote particulièrement serré, qui s'inscrit dans un climat de défiance des droites européennes contre le "Green deal", a été salué par les eurodéputés de gauche et les ONG environnementales.

Franceinfo revient sur les enjeux de cette législation, esquissée par la Commission européenne en juin 2022, et qui doit encore être formellement confirmée par les Etats membres avant d'entrer en vigueur.

1 Que contient le texte ? 

L'accord exige de chaque pays membre de l'Union européenne qu'il restaure au moins 30% de ses habitats naturels en mauvais état d'ici à 2030, avant une augmentation graduelle : 60% d'ici à 2040 et 90% d'ici à 2050. La liste de ces territoires inclut les forêts, les rivières, les fonds coralliens et les prairies, la priorité étant donnée aux zones Natura 2000 jusqu'en 2030. Ce réseau de sites écologiques concerne près de 27 000 zones dans 27 pays de l'Union, selon le site du ministère de la Transition écologique. Les Etats disposent de deux ans pour soumettre à la Commission leur projet de plan national de restauration.

Trois indicateurs ont été retenus dans le texte pour mesurer l'amélioration de la biodiversité des terres agricoles : le taux de papillons de prairies, celui de stock de carbone dans le sol et la part des terres agricoles "à haute diversité". Les Etats membres doivent collaborer avec les agriculteurs afin de mettre en place des dispositions "visant à parvenir à des tendances en hausse" pour au moins deux de ces critères avant fin 2030. Autre impératif : faire progresser l'indice des oiseaux communs en campagne. Selon une étude du CNRS parue en mai 2023, 60% des oiseaux des champs présents en Europe ont disparu en à peine quarante ans.

Le texte mentionne aussi d'autres points, tels que l'amélioration de critères mesurant la santé des forêts, le retrait d'obstacles sur les cours d'eau, ainsi que l'arrêt du déclin des abeilles. L'objectif indicatif de planter au moins 3 milliards d'arbres supplémentaires dans l'UE d'ici à 2030 a par ailleurs été inscrit dans la législation.

Une dérogation est prévue pour suspendre l'application des mesures du texte en cas de circonstances "exceptionnelles", qui auraient de "graves conséquences sur la disponibilité des terres nécessaires pour assurer une production suffisante pour la consommation de l'UE". Ce "frein d'urgence" peut être déclenché par la Commission européenne pour une durée d'un an maximum.

2 Quels reproches lui sont adressés ? 

Le parcours pour parvenir à cet ultime vote des eurodéputés a été semé d'embûches. Présenté pour la première fois par la Commission européenne en juin 2022, le texte a été projeté six mois plus tard sur le devant de la scène après l'accord conclu lors de la COP15 sur la biodiversité. Malgré les attentes autour de lui, il n'a pourtant pas fait l'unanimité : sous pression de la droite, le Parlement européen a fini par amender très largement la loi en juillet 2023. En novembre, un compromis a ensuite été trouvé entre les négociateurs du Parlement et des Etats membres. 

Principal point de crispation : les terres agricoles. L'article sur la biodiversité de ces zones avait d'ailleurs été éliminé cet été, avant d'être réintroduit sous une forme édulcorée lors des pourparlers de novembre. La droite fustige également la mesure qui prévoit que 30% des tourbières drainées utilisées en agriculture soient restaurées d'ici à 2030 : elle craint que cela ne fragilise les rendements. En réponse, le texte affirme que la remise en eau des tourbières contribue à "obtenir des avantages en matière de biodiversité, une réduction importante des émissions de gaz à effet (…) tout en contribuant à la diversification des paysages agricoles."

Le Copa-Cogeca se montre lui aussi extrêmement sceptique : la puissante organisation des syndicats agricoles majoritaires européens a combattu jusqu'au bout ces dispositions, qualifiées d'"irréalistes et non financées".

3 Comment ont réagi les différents partis politiques ?

"L'UE avait besoin de se doter d'une politique qui va au-delà de la protection et de la restauration de la nature", s'est réjoui devant la presse le rapporteur du texte, l'eurodéputé espagnol César Luena, soulignant "une avancée historique". "Après 70 ans, nous avons une politique commune pour restaurer les écosystèmes dégradés", a-t-il ajouté. Un enthousiasme partagé par la tête de liste écologiste en France, Marie Toussaint, qui s'est félicitée mardi d'"une victoire pour le vivant" dans un tweet.

Même son de cloche du côté du président libéral de la commission parlementaire Environnement, Pascal Canfin : "Alors que partout la nature régresse, cette loi permettra de faire redémarrer les écosystèmes là où c'est nécessaire", avec des "souplesses" pour "ne pas mettre la nature sous cloche", a-t-il relevé.

Les conservateurs n'ont pas caché leur déception. La question agricole constituant un marqueur électoral d'une partie des votes du Parti populaire européen (PPE), plusieurs membres de la première force de l'hémicycle européen se sont opposés au règlement. "Nous pensons toujours qu'il s'agit d'une loi mal rédigée (…). On met en place des règles bureaucratiques supplémentaires pour nos agriculteurs", au moment où la production alimentaire est sous pression, a notamment déclaré mardi l'Allemand Manfred Weber, le président du groupe du PPE. 

Les ONG environnementales BirdLife, ClientEarth, EEB et WWF se sont quant à elles dites "soulagées que les eurodéputés aient écouté la science sans céder au populisme". Sini Eräjää, de Greenpeace, a néanmoins nuancé sur X cette "victoire douce-amère pour la nature et nos systèmes alimentaires", estimant que "la législation a été gravement affaiblie, au risque de l'arythmie cardiaque". "Au moins, son cœur bat encore", a-t-elle encore ajouté.

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