Biodiversité : cinq questions sur le projet de restauration des écosystèmes, qui a obtenu un premier feu vert au Parlement européen
C'est un texte important, censé devenir l'un des piliers du Pacte vert de l'Union européenne. Le projet de loi visant à restaurer les écosystèmes (zones humides, forêts, cours d'eau et lacs, habitats marins...) a échappé à une motion de rejet, mercredi 12 juillet, lors d'un vote des eurodéputés à Strasbourg (324 voix contre 312, et 12 abstentions). Le Parlement a adopté, dans la foulée, une version amendée du texte, donnant un premier feu vert à ce projet de loi. "L'Europe ajoute une corde à son arc de lutte environnementale en se préoccupant directement de la détérioriation de la diversité", a réagi l'eurodéputée écologiste Karima Delli dans un communiqué.
Les négociations vont maintenant se pousuivre en trilogue, avec le Conseil de l'UE (qui représente les gouvernements des Etats membres) et la Commission européenne, pour aboutir à une version finale du texte. Soulignant que "plus de 80% des habitats européens" étaient "en mauvais état", le Conseil de l'UE avait trouvé un accord, le 20 juin, pour lancer cette proposition de règlement, qui s'appliquerait donc à l'ensemble des Vingt-Sept. La Commission avait adopté la proposition deux jours plus tard mais, par la suite, aucun accord n'avait été trouvé en commission parlementaire, ce qui explique le vote sur une motion de rejet qui a lieu mercredi.
Que dit le projet de loi ?
La proposition de règlement, avant qu'elle soit amendée par le Parlement mercredi, prévoyait la mise en place, d'ici 2030, de "mesures" de restauration sur au moins "20% des zones terrestres" et "20% des zones maritimes" de l'Union européenne. L'objectif final est étendu à "l'ensemble des écosystèmes" qui en ont besoin, d'ici 2050. Charge aux Etats membres de développer des plans spécifiques afin de respecter ces objectifs. Ces critères, toutefois, devaient s'appliquer uniquement dans les zones dont l'état est connu. Dans le détail, les mesures devaient concerner au moins 30% des écosystèmes terrestres et marins abîmés d'ici 2030, puis 60% d'ici 2040 et 90% d'ici 2050, selon un communiqué du Conseil.
Le texte concerne également les villes : la surface des espaces verts ou du couvert arboré urbain ne pourra pas diminuer, sauf si cette part est déjà supérieure à 45%. Par ailleurs, dans le texte initial, les Etats membres s'engageaient à prévenir toute dégradation dans les zones en bon état ou celles qui font l'objet de mesures de protection, comme le réseau Natura 2000 – sans obligation de résultat, toutefois. Les Etats avaient également ajouté des exceptions pour les projets d'énergie renouvelables ou d'infrastructures de défense.
Pourquoi certains élus y étaient-ils opposés ?
Le Parti populaire européen (PPE), première force au Parlement de Strasbourg, réclamait le rejet complet du texte. Les eurodéputés de droite mettaient en avant l'impact potentiellement négatif pour l'agriculture, la pêche ou les énergies renouvelables. "Restaurer la nature ne doit pas signer l'arrêt de mort de toute production économique, industrielle, forestière et agricole en Europe", a martelé l'élue française Anne Sander (PPE), rapporteuse du texte en commission agriculture.
Elle évoquait également des questions de sécurité alimentaire, assurant que le déficit supposé devra être compensé par des importations de produits depuis le monde entier. Ces arguments ont été repris par la puissante organisation agricole Copa-Cogeca, qui a manifesté mardi son opposition au texte devant le Parlement européen. Anne Sander fustigeait enfin l'objectif visant à garantir des "particularités topographiques à haute diversité" (haies, fossés, zones humides...) sur 10% des surfaces agricoles d'ici 2030.
Que répondent ses défenseurs ?
"Les fameux '10% des terres agricoles gelées', cela n'a tout simplement jamais existé", lui avait répondu Pascal Canfin (Renew, centristes), président de la commission environnement, interrogé par l'AFP. Il s'agit d'une cible indicative à l'échelle de l'UE qu'on peut atteindre en plantant des arbres fruitiers ou via des rotations de cultures, a-t-il rappelé. Sans compter que cela pourrait renforcer les rendements agricoles (moindre érosion des sols, pollinisation accrue, retour d'oiseaux s'attaquant aux parasites...). "On est très en colère contre l'impossibilité d'avoir un débat rationnel. D'habitude, ce genre d'argument est porté par l'extrême droite, jamais le PPE", s'alarmait l'ancien ministre français.
Plus largement, la stratégie du PPE a été taxée d'"électoraliste" par les partisans du texte, à l'approche des élections européennes de 2024. Ils dénonçaient "des contre-vérités" et s'alarment d'un rapprochement avec l'extrême droite (ID) et les eurosceptiques (CRE).
Quel coût et quel bénéfice ?
La Commission européenne, dans son document de travail, estimait que la restauration d'un large ensemble d'écosystèmes pourrait entraîner des avantages chiffrés à environ 1 860 milliards d'euros. Elle estimait les coûts autour de 154 milliards d'euros, en grande partie des "pertes de revenus" pour certains agriculteurs, propriétaires forestiers et pêcheurs, "en raison de la transition vers des pratiques plus durables". Bruxelles ouvrait la voie à des compensations totales ou partielles, couvertes par des financements européens ou nationaux.
Et maintenant ?
Si la motion de rejet avait été adoptée, la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, aurait alors demandé à la Commission européenne de retirer son texte, sans autre alternative. Mais après avoir adopté un texte modifié, les eurodéputés vont désormais examiner un compromis qui correspond exactement à la position commune des Etats, laquelle a d'ailleurs été soutenue par une majorité de gouvernements appartenant au PPE.
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