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Six questions sur l'élection incertaine d'Ursula von der Leyen à la tête de la Commission européenne

Jour crucial pour l'Allemande, désignée par les dirigeants des Etats membres lors d'un sommet début juillet pour succéder à Jean-Claude Juncker. Elle doit désormais affronter le vote des eurodéputés.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Temps de lecture : 7 min
La ministre de la Défense allemande, Ursula von der Leyen, avant un Conseil des ministres à Berlin (Allemagne), le 15 juillet 2019. (TOBIAS SCHWARZ / AFP)

Deux semaines auront-elles suffi à Ursula von der Leyen pour convaincre les eurodéputés ? Ces derniers vont décider d'élire ou non la ministre de la Défense allemande à la tête de la Commission européenne lors d'un vote couperet, mardi 16 juillet, car il n'offre pas de seconde chance. Pour exercer le mandat de cinq ans, elle devra recueillir la majorité absolue au Parlement – soit 374 voix (et non 376, car quatre postes d'eurodéputés ne sont pas encore pourvus) – après avoir participé à un débat de plus de trois heures pour tenter de convaincre les élus réticents. Franceinfo fait le tour des six questions qui se posent au sujet de ce scrutin à l'issue incertaine.

1Qui est Ursula von der Leyen ?

Ursula von der Leyen est une proche d'Angela Merkel qui a toutefois vu son étoile pâlir en Allemagne après avoir fait figure, fut un temps, de dauphine de la chancelière. Seule personnalité à avoir siégé au sein du gouvernement de 2005 à 2019, cette mère de sept enfants âgée de 60 ans espère rebondir en prenant la direction de l'exécutif européen. Cette chrétienne-démocrate, qui parle anglais et français couramment, connaît bien Bruxelles puisqu'elle est née à Ixelles, dans la banlieue de la capitale belge, en 1958 et qu'elle y a passé une partie de son enfance.

Médecin de formation, elle est entrée tardivement en politique, en 2002, en se lançant pour un mandat local dans la région de Hanovre. Trois ans plus tard, elle devient ministre de la Famille et prend des mesures progressistes, comme le développement des crèches ou un congé parental rémunéré destiné aux pères. Nommée ministre du Travail en 2009, Ursula von der Leyen prend là aussi à rebrousse-poil l'électorat conservateur en plaidant pour des quotas de femmes au sein des directions d'entreprise.

Elle devient elle-même la première femme à occuper le ministère de la Défense en 2013. Elle impose, par exemple, la fin de la tradition des honneurs faits à des officiers ayant servi Adolf Hitler mais une série de scandales éclabousse la Bundeswehr et son ministère : matériel obsolète, sous-investissements, consultants surpayés, influence de l'extrême droite...

Ursula von der Leyen prend la pose avec sa famille, le 9 janvier 2005 à Hanovre (Allemagne). (JOCHEN LUEBKE / DDP / AFP)

Celle qui est surnommée par ses proches "Petite rose" n'hésite pas à étaler sa vie privée dans la presse people avec ses enfants, son mari et leur poney. "Sa faiblesse est qu'elle a tendance à trop mettre les choses en scène", estime Daniel Goffart, co-auteur d'une biographie de la ministre. Ursula von der Leyen a également été soupçonnée, en 2015, d'avoir plagié son doctorat, un sujet très sensible en Allemagne qui a causé la chute de plusieurs responsables politiques.

2Comment a-t-elle été désignée ?

Ursula von der Leyen a été choisie début juillet au terme d'un sommet européen laborieux. Sous l'impulsion du président français Emmanuel Macron, les chefs d'Etat et de gouvernement ont décidé de faire fi de la règle du "Spitzenkandidat", qui veut que le président de la Commission soit le chef de file du grand parti européen arrivé en tête aux élections, qui avait prévalu pour l'élection de Jean-Claude Juncker en 2014. Ils ont désigné comme candidat une personnalité qui n'a pas fait campagne pour les élections européennes de fin mai.

3Comment est accueillie cette candidature ?

Cette décision a quelque peu agacé les différentes familles politiques européennes. En effet, l'idée de choisir une personnalité qui n'était même pas candidate aux élections a été perçue comme une remise en cause de l'objectif de démocratisation de l'Union européenne. Dans son programme, Ursula von der Leyen propose d'ailleurs d'améliorer le "système de Spitzenkandidat". Sa candidature illustre l'échec de ce système.

Ursula von der Leyen lors d'une réunion devant les groupes politiques du Parlement européen, le 10 juillet 2019 à Bruxelles (Belgique). (DURSUN AYDEMIR / ANADOLU AGENCY / AFP)

Les auditions menées ces derniers jours dans les arcanes européennes par Ursula von der Leyen, convertie de très fraîche date aux réseaux sociaux et assistée pour sa communication d'un ancien rédacteur en chef de Bild, n'ont pas permis de lever tous les doutes de ses détracteurs. "Son problème, c'est que son nom a été suggéré il y a quelques jours et qu'elle n'a pas eu assez de temps pour présenter un bon programme", juge le biographe Daniel Goffart.

Les sociaux-démocrates, qui siègent pourtant à ses côtés au sein du gouvernement Angela Merkel, ont ainsi diffusé auprès des eurodéputés un document intitulé "Pourquoi Ursula von der Leyen est une candidate inadéquate et inappropriée". Le texte égrène tous les griefs accumulés ces dernières années contre la ministre allemande.

4Quel est son programme ?

Environnement. Ursula von der Leyen souhaite notamment que l'Europe devienne "le premier continent neutre" en carbone en 2050 et réduise d'au moins 55% ses émissions de CO2 d'ici à 2030.

Economie. La candidate veut également "aider à mettre en œuvre" un embryon de budget de la zone euro – une idée chère à Emmanuel Macron – et achever l'Union bancaire avec, notamment, la mise en place d'un système européen de garantie des dépôts. Elle promet encore un plan d'action avec un "instrument légal" pour que tous les travailleurs européens aient droit à un salaire minimum et des quotas pour l'équilibre entre les sexes dans les conseils d'administration des entreprises.

Immigration. Elle compte proposer un "nouveau pacte pour la migration et l'asile" qui permettrait notamment d'aider davantage les pays comme l'Italie ou la Grèce, qui sont géographiquement en première ligne pour les arrivées des réfugiés et des migrants. Elle veut accélérer le renforcement de l'agence européenne de gardes-frontières et de gardes-côtes Frontex, en la dotant d'un effectif de 10 000 personnes dès 2024 au lieu de 2027.

Démocratie. Ursula Von der Leyen soutient le projet de lier le versement de fonds européens avec le respect de l'Etat de droit. En clair, cela permettrait de couper le robinet des aides de l'UE en cas de dérive autoritaire de la part d'un régime qui ferait fi du droit et menacerait l'indépendance de la justice, comme c'est le cas en Pologne et en Hongrie. Elle soutient "un droit d'initiative pour le Parlement européen", alors que la Commission a pour l'heure le monopole de ce droit de proposer un texte législatif.

Brexit. Le traité de retrait du Royaume Uni de l'UE déjà négocié avec Londres est "le meilleur et le seul accord possible", estime Ursula von der Leyen. Si les Britanniques le demandent, et donnent de "bonnes raisons", elle soutiendra le principe d'un nouveau report du Brexit si le Royaume-Uni n'a pas quitté l'UE le 31 octobre 2019, comme prévu. Elle soutient par ailleurs la proposition de la Commission Juncker d'ouvrir des négociations d'adhésion avec l'Albanie et la Macédoine du Nord.

5Comment va se dérouler l'élection ?

Le scrutin va se dérouler à bulletins secrets lors d'une séance plénière, ce qui autorise les députés à rompre avec les consignes de vote de leurs familles politiques. Si elle obtient la majorité absolue, Ursula von der Leyen sera la première femme à prendre la tête de la Commission européenne. Si elle échoue, en revanche, elle n'aura pas le droit à une seconde chance.

Le Conseil européen aurait alors un mois pour présenter un nouveau candidat, qui serait soumis au vote du Parlement en septembre. Cela risquerait d'enfoncer davantage l'Union européenne dans une crise institutionnelle, alors que la question du Brexit n'est toujours pas close. Un tel scénario ne s'est jusqu'à présent jamais produit et une seule fois, en 2009, le vote avait été repoussé à septembre, pour laisser le temps au Portugais José Manuel Barroso de convaincre les eurodéputés de le reconduire dans ses fonctions.

6Pourquoi ce scrutin est-il incertain ?

Officiellement, le Parti populaire européen (de droite, avec 182 élus) votera en bloc pour Ursula von der Leyen, malgré la frustration provoquée par l'élimination de son Spitzenkandidat, l'Allemand Manfred Weber, réélu à la présidence du groupe au Parlement. Consciente du danger, Ursula von der Leyen est revenue lundi à Strasbourg pour s'entretenir avec eux et éviter toute dissension. "Une absence ou une abstention, c'est considéré comme un vote contre", a averti un responsable du groupe.

Deuxième et troisième formations du Parlement européen, les socialistes (154 élus) et les libéraux-centristes de Renew Europe (108 élus), formation à laquelle appartiennent les macronistes français, ne se sont pour l'instant engagés à rien. Ils se décideront à l'issue du débat mardi matin et sur la base des engagements politiques pris par la candidate, notamment en matière de partage des pouvoirs.

Les écologistes (74 élus) et l'extrême gauche (41 élus) ont d'ores et déjà exclu de voter pour Ursula von der Leyen. Les eurosceptiques sont, de leur côté, plus partagés. Les conservateurs et réformistes (62 élus) ont promis d'être "pragmatiques" dans leur décision. Enfin, le groupe d'extrême droite (73 élus, dont ceux du Rassemblement national) a jugé "peu probable" un vote en sa faveur.

"Ce sera un petit oui. (...) Elle sera élue avec moins de voix que Juncker il y a cinq ans", prédit une source européenne. Jean-Claude Juncker avait été élu avec 422 votes pour et 250 contre. La ministre allemande se contenterait sans doute d'un peu moins.

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