: Vrai ou faux Existe-t-il un lien entre vaccin à ARN messager et maladie de Creutzfeldt-Jakob, comme le suggère le rappeur Booba ?
Booba, nouvelle égérie antivax ? Jusqu'à présent, le rappeur était plus connu pour sa croisade contre les influenceurs que pour ses prises de positions anti-vaccinales. La star a pourtant relayé sur le réseau social X, jeudi 18 janvier, le témoignage de Marc Doyer. Cet homme accuse le vaccin Pfizer-BioNTech contre le Covid-19 d'avoir causé le décès de son épouse, morte en mai 2022 de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, une affection neurodégénérative.
Marc Doyez dit-il "la vérité", comme l'assure Booba à ses plus de 6 millions d'abonnés ? Franceinfo s'est penché sur le sujet.
Une interprétation erronée d'un rapport sur le vaccin Pfizer
Sur X, Marc Doyer évoque une annonce du médecin controversé Didier Raoult qui viendrait, selon lui, étayer ses accusations. "Je vous détaillerai comment les ARN injectés ont produit des protéines inconnues qui expliquent, peut-être, la survenue imprévue d'encéphalopathie de type Creutzfeldt-Jakob liées aux prions [protéines malformées et infectieuses] fabriqués à cette occasion, ce que prédisait le Pr Montagnier", assure l'ex-directeur de l'IHU de Marseille, dans une publication partagée à plus de 10 000 reprises.
Trois mois avant le décès de Mauricette Doyer, franceinfo avait rencontré Marc Doyer. "Mauricette se fait vacciner (…) mi-mai [2021] et les premiers symptômes apparaissent à la fin du mois de mai, début juin", détaillait-il. Après un séjour aux urgences, son épouse a été diagnostiquée de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, aussi connue sous le surnom de "maladie de la vache folle". Elle est morte un an après avoir été vaccinée.
Depuis, Marc Doyer se présente comme porte-parole de Verity France, une association diffusant des contenus hostiles à la vaccination anti-Covid, provenant notamment de médias "au fort tropisme conspirationniste", selon l'ONG Conspiracy Watch.
Romain Doyer, fils de Mauricette et Marc, publie lui aussi très régulièrement des messages à ce sujet. "Pfizer vient d'admettre dans le dossier d'expertise pour le décès de ma mère Mauricette que le vaccin Covid-19 a provoqué la maladie de la vache folle (…) comme effets secondaires connus", a-t-il soutenu sur X, début janvier.
Une interprétation erronée selon Checknews, qui a consulté le document en question. "Il est (…) en toute rigueur impossible de retenir une relation causale entre la vaccination reçue par madame Doyer et la maladie dont elle a été victime", écrivent au contraire les auteurs du pré-rapport évoqué par Romain Doyer. Interrogée par franceinfo, Pfizer rappelle qu'"à ce jour, alors que plus de trois milliards de doses de notre vaccin ont été administrées dans le monde, aucune autorité de santé à travers le monde n'a fait état d'un lien suspecté ou établi entre notre vaccin contre la Covid-19 et la maladie de Creutzfeldt-Jakob."
Pas de lien de cause à effet retenu
Aucune expertise scientifique n'établit à ce jour de lien entre cette maladie et le vaccin à ARN messager utilisé pour lutter contre la pandémie. Selon des chiffres obtenus par franceinfo auprès de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), près de 162 millions de doses ont été administrées depuis le début de la campagne française de vaccination anti-Covid, en décembre 2020.
Sur la même période, 23 cas de suspicion de maladie de Creutzfeldt-Jakob ont été déclarés auprès du réseau de pharmacovigilance, dont six après vaccination (un avec le vaccin Comirnaty de Pfizer, deux avec le Spikevax de Moderna et trois avec le Vaxzevria d'AstraZeneca, ce dernier n'étant pas un vaccin à ARN messager). "Il est important de noter que la maladie de Creutzfeldt-Jakob est une pathologie d'évolution très lente, et donc que le court délai de survenue ne permet également pas de retenir le rôle des vaccins contre la Covid-19 dans la survenue de ces cas", déclare l'agence à franceinfo.
"L'analyse de ces cas ne retrouve aucun élément permettant d'établir un lien entre le vaccin et la maladie de Creutzfeldt-Jakob."
L'Agence nationale de sécurité du médicamentà franceinfo
Les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles, comme la maladie de Creutzfeldt-Jakob, restent des affections rares : depuis 1990, 100 à 150 nouveaux cas par an sont diagnostiqués, avec une diminution en 2022 et 2023, selon l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et Santé Publique France. La forme la plus courante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob est celle dite "sporadique", qui représente 85% des diagnostics. Dans ce cas, elle survient de façon aléatoire, sans mutation ni exposition à un prion exogène. Elle existe aussi sous forme infectieuse (causée par une contamination) et sous forme génétique (due à la mutation d'un gène).
La coïncidence, hypothèse la plus probable
"Dans tous les accidents qu'on a eus de contamination [à la maladie de Creutzfeldt-Jakob], la durée d'incubation est toujours très longue, à peu près une dizaine d'années. Là, on ne voit pas comment ce vaccin, qui a été finalement généralisé durant l'année 2021, pourrait occasionner des maladies de Creutzfeldt-Jakob maintenant", estimait auprès de franceinfo Jean-Philippe Brandel, neurologue et directeur de la cellule nationale de référence des maladies de Creutzfeldt-Jakob à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, en février 2022. Une analyse qui rejoint les conclusions de l'ANSM.
Comment expliquer les six cas de cette affection cérébrale survenus après vaccination ? Pour Jean-Philippe Brandel, la coïncidence est donc l'explication la plus probable. Au 6 février 2022, 79,3% de la population avait reçu une première injection selon l'Assurance maladie.
Ce taux est monté à 80%, soit 54,2 millions de patients au 1er janvier 2023. Il apparaît en conséquence normal aux yeux du neurologue que la probabilité d'avoir été vacciné lorsqu'on développe cette pathologie soit élevée. "Il est évident qu'il y a tellement de gens vaccinés, que parmi ces 53 millions, certains vont malheureusement développer une maladie de Creutzfeldt-Jakob. Ce n'est pas pour ça qu'il y a un lien", appuyait le spécialiste.
Booba, une longue dérive complotiste
En relayant la vidéo de Marc Doyer, le rappeur Booba a donc partagé des accusations scientifiquement infondées. Malgré son absence d'expertise, le rappeur n'en est pas à sa première sortie antivax. "Si le vaccin est en 'étude' cela signifie que les labos n'ont aucun recul et que nous sommes des animaux de laboratoire tout simplement !", avait-il dénoncé sur X, début 2022. Une dérive conspirationniste qui dure depuis plusieurs années, note Tristan Mendès-France, enseignant en cultures numériques au Celsa et à l'université de Paris-Cité, dans une suite de messages publiés sur X.
Pendant la pandémie, l'artiste avait déjà relayé des thèses douteuses sur la crise sanitaire. Dans la chanson Variant (2021), il chantait : "Ils veulent changer mon ADN", en référence à cette idée reçue selon laquelle le vaccin à ARN messager modifierait l'ADN, notamment relayée par l'ex-généticienne controversée Alexandra Henrion-Caude. Dans le morceau TN (2021), sa punchline "T'es vacciné donc t'es localisé" est probablement inspirée de la volonté prêtée à l'homme d'affaires Bill Gates d'implanter des puces sous la peau à travers les vaccins, afin de traquer la population.
Booba a également partagé sur X une vidéo de Christian Tal Schaller, ex-médecin suisse adepte de l'urinothérapie et auteur d'un livre intitulé Vaccins, un génocide planétaire. Pour ce dernier, les "médecins sont inutiles, inefficaces et dangereux". La toute dernière sortie du rappeur sur les vaccins aura valu à l'un de ses contradicteurs d'être cyberharcelé, et à Booba d'obtenir la reconnaissance de Didier Raoult. "Merci pour ton soutien, petit frère" a ainsi posté l'ex-directeur de l'IHU de Marseille sur X.
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