Mise en examen de Booba pour harcèlement moral : que risque l'instigateur de messages ayant entraîné un "raid numérique" ?
"A aucun moment, je n'ai cherché à harceler ou menacer quiconque." Au lendemain de sa mise en examen pour "harcèlement moral aggravé" en ligne, le rappeur Booba s'est défendu, mardi 3 octobre, dans un texte publié sur son compte X (ex-Twitter). "J'ai pu m'expliquer devant le juge d'instruction", a ajouté l'artiste, de son vrai nom Elie Yaffa. Son interrogatoire a eu lieu dans le cadre de l'enquête ouverte au pôle national de la lutte contre la haine en ligne du parquet de Paris, après de nombreuses plaintes déposées contre Booba par Magali Berdah, fondatrice et directrice de l'agence d'influenceurs Shauna Events.
Le contentieux entre cette femme d'affaires de 41 ans et le rappeur de 46 ans remonte au printemps 2022. A l'époque, Booba s'évertue à dénoncer, sur les réseaux sociaux, les "influvoleurs", ces influenceurs qu'il accuse de multiples arnaques à l'encontre des internautes. Le rappeur dépose alors une plainte contre X pour des pratiques commerciales trompeuses, qui donne lieu à l'ouverture d'une enquête préliminaire, toujours en cours. Dans sa croisade contre les pratiques des influenceurs, Booba vise plus précisément Magali Berdah. "Il m'a harcelée personnellement", a affirmé la directrice de Shauna Events, invitée de BFMTV mardi soir. "J'ai été mise sur un bûcher, vivante, à brûler", a-t-elle dénoncé.
Un "effet boule de neige"
"Menaces", "insultes"… Magali Berdah assure avoir reçu tous les jours, pendant des mois, des milliers de messages haineux. Le 20 avril, elle avait annoncé sur franceinfo en avoir recensé "plus de 120 000" en près d'un an, dont "plusieurs centaines" provenant de Booba lui-même, qu'elle considère comme responsable de ce déferlement. Au contraire, le rappeur se dédouane de toute responsabilité dans le contenu des messages des internautes. Et se définit comme un "lanceur d'alerte" dont l'"action a été motivée par un seul but : dénoncer les influenceurs". Contacté par franceinfo, l'avocat de Booba ne souhaite pas commenter une procédure en cours.
"Il va sans dire que sans sa notoriété et sa communauté de plus de 6 millions de personnes, jamais le cyberharcèlement de Magali Berdah n'aurait pris une telle ampleur. Il y a un effet boule de neige", affirment de leur côté les avocats de la femme d'affaires.
Le harcèlement en ligne en meute, également appelé "raid numérique", est défini par la loi du 3 août 2018. Ainsi, outre "les propos ou comportements répétés" qui ont "pour effet" "une altération de [la] santé physique ou mentale" de la personne visée, l'infraction de harcèlement est aussi constituée lorsque les messages "sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l'instigation de l'une d'elles", selon l'article 222-33-2-2 du Code pénal.
"Trouver le premier auteur du message est utile pour l'enquête"
"Le premier qui publie un message n'est pas forcément celui qui est poursuivi. Ce n'est pas l'ordre de publication qui importe aux enquêteurs, mais la violence des messages. Les plus haineux font l'objet de réquisitions auprès des opérateurs pour identifier les auteurs", explique Nicolas Verly, avocat spécialiste du droit de la presse et des médias. "Tout dépend de la teneur du premier message posté et de l'intention de son auteur, qui n'est pas forcément mis en cause pour harcèlement, mais peut l'être pour injure ou diffamation", poursuit-il.
"Si on constate que le harcèlement a lieu à l'instigation de l'auteur du message, on peut considérer qu'il en est responsable, et donc co-auteur ou complice de harcèlement."
Nicolas Verly, avocatà franceinfo
Peu importe que l'on soit complice de harcèlement ou harceleur : la sanction encourue est la même. "L'auteur du premier message initie le harcèlement, mais l'effet de groupe y contribue. Ils deviennent tous complices", confirme à franceinfo le Service d'information et de communication de la police nationale (Sicop). Qui ajoute que "si l'internaute est très suivi, par effet logique, le harcèlement a plus de visibilité". "Trouver le premier auteur du message est forcément utile pour l'enquête : c'est le point initial", souligne le Sicop.
"L'instigateur a une part de responsabilité supplémentaire"
Identifier l'instigateur du harcèlement fait partie de l'enquête, mais c'est dans les tribunaux que s'opère la suite. "Les enquêteurs doivent identifier les auteurs, et ensuite charge à la juridiction d'établir le rôle et la participation de chacun", résume Ilana Soskin, également spécialisée en droit de la presse et des médias. L'avocate cite en exemple une plainte qu'elle a déposée, dans laquelle elle a identifié la personne à l'origine d'un déferlement de haine sur un compte Instagram. "C'est important. L'instigateur a une part de responsabilité supplémentaire pour avoir incité les autres à la haine", considère-t-elle.
La distinction se traduit dans la peine prononcée. Pour le harcèlement, la peine prévue dans le Code pénal est d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. "Le principe de l'individualisation de la peine s'applique. Le texte de loi est le même pour tout le monde, mais l'instigateur peut avoir une peine différente", détaille Ilana Soskin. "Le juge doit motiver la peine et le faire en fonction de la gravité des propos, du nombre de messages et de l'attitude à l'audience", complète son confrère Nicolas Verly. Avec un objectif en tête : envoyer un message fort pour lutter contre l'impunité sur internet.
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