Coronavirus : des mesures d'urgence aux plans de relance, comment affronter la "pire crise économique depuis 1929" ?
Face à la crise actuelle, les gouvernements ont promis des milliards et des milliards pour éviter un effondrement de l'économie. Mais la reprise s'annonce longue.
Comment l'économie parviendra-t-elle à se relever après un tel choc ? Depuis le début de l'épidémie de coronavirus, les dirigeants de la planète convoquent les superlatifs pour désigner ce qui ressemble, selon l'ONU, à la "pire crise" depuis la Seconde Guerre mondiale. Un "désastre rare" à la "magnitude sans rapport avec ce dont on a eu l'expérience de notre vivant", selon le Fonds monétaire international (FMI), qui prédit la plus grave récession depuis la Grande Dépression des années 1930.
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Depuis le mois de mars, 4,5 milliards d'habitants (soit 60% de la population mondiale) sont contraints ou incités à respecter un confinement total ou partiel, générant des plongeons économiques sans précédent. En France, le confinement, instauré le 17 mars et qui doit être au moins partiellement levé à partir du 11 mai, devrait provoquer une récession jamais vue depuis 1945. Début janvier, juste avant la pandémie, Bercy prévoyait pour l'année 2020 une croissance de 1,3%. Un chiffre plutôt décevant – la croissance annuelle du PIB a oscillé entre 0,6% et 2,7% ces dix dernières années – mais sans commune mesure avec la catastrophe à anticiper : une récession brutale et vertigineuse de 8%, selon les prévisions les plus récentes du gouvernement.
Historique, la crise économique annoncée est le résultat d'une situation totalement inédite. "Ce n'est pas la crise sanitaire qui crée la crise économique, mais la réponse à cette crise sanitaire", observe Mathieu Plane, directeur adjoint du département analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Autrement dit, pour la première fois de l'histoire, l'activité est mise volontairement à l'arrêt par les pouvoirs publics, dans le but de stopper la progression de l'épidémie.
C'est comme si on avait plongé l'économie dans une sorte de coma artificiel. Maintenant, on cherche à la mettre sous perfusion.
Alexandre Delaigue, professeur d'économie à l'université de Lilleà franceinfo
Principal outil pour préserver les emplois : le chômage partiel, c'est-à-dire la prise en charge par l'Etat des salaires dans les entreprises qui ont dû réduire ou suspendre leur activité. Mais Bercy a aussi annoncé un fonds de solidarité de 7 milliards d'euros pour les petites entreprises et les indépendants, ainsi que des reports de charges et d'impôts pour soulager les entreprises à court de recettes. Et pour leur permettre de s'approvisionner en cash, les prêts qu'elle souscrivent auprès des banques peuvent bénéficier d'une garantie de l'Etat à hauteur globale de 300 milliards d'euros.
Des mesures imparfaites mais "indispensables"
L'objectif affiché par le gouvernement est clair et ambitieux : "zéro faillite" d'entreprise et "zéro licenciement" pendant cette période de confinement. Une formule exagérée, puisque faillites et licenciements interviennent à tous moments, épidémie de Covid-19 ou pas. Sur les quatre dernières semaines, le nombre cumulé de demandes d'inscriptions à Pôle emploi a augmenté de 12,6% par rapport aux mêmes semaines de 2019, selon le ministère du Travail. Une note de l'OFCE estime que 460 000 salariés non bénéficiaires du chômage partiel pourraient perdre leur emploi pendant les deux mois de confinement (contrats courts, intérimaires, périodes d'essai, etc.). Un moindre mal, malgré tout, en comparaison de la situation aux Etats-Unis. Faute de mécanisme de chômage partiel outre-Atlantique, ce sont plus de 26 millions de demandeurs d'emploi supplémentaires qui ont été enregistrés en cinq semaines de confinement. Un chiffre historique.
En France, plus de 10 millions de salariés (soit près d'un sur deux) bénéficient du chômage partiel. Un chiffre énorme, qui interroge sur d'éventuelles fraudes de la part d'employeurs peu scrupuleux qui utiliseraient ce dispositif tout en ayant recours au télétravail. De grands groupes comme Vivendi ont aussi été pointés du doigt pour avoir décidé de maintenir le versement de dividendes à leurs actionnaires. Rien d'illégal à cela cependant, malgré l'appel de Bruno Le Maire à ne pas cumuler dividendes et chômage partiel. Et certaines banques, de leur côté, sont accusées de ne pas "jouer le jeu", traînant des pieds pour accorder des prêts pourtant garantis par l'Etat.
Imparfaites, les mesures visant à maintenir l'économie française à flot n'en demeurent pas moins "indispensables", soulignent les économistes interrogés par franceinfo. "Le chômage partiel permet, dès la reprise, de retrouver un taux d'activité très fort, comme on l'a vu en Allemagne après la crise de 2009", explique ainsi Philippe Waechter, directeur de la recherche économique chez Ostrum Asset Management.
Cela coûterait bien plus cher de ne rien faire et de devoir rattraper les choses par la suite.
Mathieu Planeà franceinfo
Les sommes en jeu donnent déjà le vertige. Le gouvernement chiffre à 110 milliards d'euros l'ensemble des mesures annoncées pour compenser les pertes durant ces deux mois de confinement. Un engagement colossal qui représente près d'un tiers des dépenses de l'Etat pendant un an.
La BCE appelée à la rescousse
Alors qui va payer la facture ? Pour financer ces mesures, l'Etat va devoir emprunter sur les marchés financiers, ce qui va aggraver le déficit public. Si les choses en restent là (ce qui est loin d'être acquis), ce déficit s'élèvera en 2020 à 9,1% du produit intérieur brut (PIB), alors que la prévision d'avant-crise s'établissait à 2,2%. Et la dette de la France va également exploser. "Les dettes que l'on est en train d'accumuler en ce moment sont absolument considérables. On s'est battus au cours des 18 derniers mois pour ne pas franchir la barre symbolique d'une dette qui représente 100% de la richesse nationale. Mais là, on est passés en un mois de 100% à 115% !" illustre l'économiste Elie Cohen au micro de franceinfo.
Comme la plupart de ses voisins européens, la France a la chance de pouvoir emprunter à des taux historiquement bas, voire négatifs, et sur de longues périodes. Une situation rendue possible par l'action vigoureuse de la Banque centrale européenne (BCE), qui rachète massivement des titres de dette souveraine (des obligations d'Etat à long terme) sur les marchés. Cette politique de quantitative easing (littéralement "assouplissement quantitatif"), impulsée par l'ex-gouverneur de la BCE Mario Draghi, devrait s'intensifier encore pour faire face à la crise. Mi-mars, la BCE, dirigée depuis six mois par Christine Lagarde, a ainsi sorti la grosse artillerie en dévoilant un plan de rachat d'actifs de 750 milliards d'euros jusqu'à la fin de l'année. De quoi donner un peu d'air aux pays dont les taux montaient en flèche sous l'effet de la crise du coronavirus, à commencer par l'Italie.
Si la BCE n'avait pas agi, l'Italie n'aurait pas été à l'abri d'un risque de défaut de paiement, et l'Union européenne se trouverait aujourd'hui dans une crise financière majeure.
Mathieu Planeà franceinfo
Le volontarisme de l'institution basée à Francfort suffira-t-il ? Un mois après l'annonce de ce plan de rachat, les taux de la dette italienne remontent lentement mais sûrement à des niveaux inquiétants. Anticipant une dégradation de la note de l'Italie par les agences de notation, la BCE a fait tomber un tabou en annonçant qu'elle accepterait désormais de racheter des actifs dits "pourris", détenus par des émetteurs considérés comme peu fiables. Mi-avril, la BCE avait déjà franchi une première étape en s'affranchissant de la règle selon laquelle elle ne pouvait détenir plus de 30% de la dette d'un seul Etat de la zone euro.
Une reprise, mais à quel rythme ?
"Les banques centrales sont en mode open-bar", observe Philippe Waechter. Qu'il s'agisse de la BCE ou de la Fed aux Etats-Unis, "elles sont prêtes à tout pour lever les contraintes sur le plan financier" et procèdent à des rachats d'actifs "à une allure jamais vue auparavant". A chaque nouvelle étape, la Banque centrale européenne grille de nouveaux "jokers" parmi les outils à sa disposition pour rassurer les investisseurs. Instruments privilégiés de la politique monétaire, les taux directeurs des banques centrales sont à zéro ou proche de zéro depuis plusieurs années et peuvent difficilement être encore abaissés pour servir de levier.
L'efficacité des nouvelles mesures prises par la BCE est directement liée à leur rareté et à un certain effet de surprise auprès des acteurs économiques. "Ça fonctionne parce que c'est du 'one shot'", résume Mathieu Plane. Mais dans l'hypothèse où la crise sanitaire jouerait les prolongations, avec de nouvelles périodes de confinement, il serait illusoire d'imaginer que la politique monétaire de la BCE puisse soutenir à bout de bras des économies à l'arrêt sur des durées prolongées. Pire : si le soutien dure trop longtemps, "il existe un vrai risque de perte de crédibilité de tous ces outils économiques", selon Philippe Waechter.
Or, la question de la rapidité à laquelle l'économie repartira donne déjà des sueurs froides aux gouvernements. Après plus d'un mois de confinement, une reprise en forme de "V" – c'est-à-dire aussi brutale et vigoureuse que ne l'a été la récession – n'est plus l'hypothèse privilégiée par une majorité d'économistes. Certains prédisent une reprise plus lente, en "U". Car un déconfinement progressif se profile et le respect de mesures de distanciation sociale resteront en effet fortement conseillées. Les plus pessimistes voient une économie en "L", incapable de rebondir, quand d'autres imaginent une courbe ressemblant à la virgule du logo de la marque Nike, avec une reprise qui s'étalerait sur plusieurs années.
Relancer l'économie... ou la réinventer
"Lors des deux précédentes récessions que la France ait connues, en 1993 et en 2009, la capacité de rebond a été très limitée, avec une croissance proche de la moyenne des années précédentes", note Philippe Waechter. Après le potentiel -8% de 2020, il n'est pas à exclure, selon lui, que la croissance pour 2021 et les années suivantes tourne autour de la tendance d'avant-crise. "Dans toutes les économies occidentales, justifie-t-il, la capacité de rebond est limitée, à cause de leur faible productivité et de leur faible capacité à générer de la richesse."
Avec une hypothèse de 1,4% par an, on ne retrouverait le niveau du PIB de 2019 qu'en 2026.
Philippe Waechterà franceinfo
En Europe, le calibrage des mesures d'après-crise donne lieu à de vifs débats. D'abord sur leur contenu. Pour certains, la priorité sera de renouer rapidement avec la croissance ; pour d'autres, la crise du coronavirus sera une bonne occasion de changer de modèle. "Le pire serait de poursuivre dans cette voie d'un sauvetage uniforme de l'économie, (...) les pouvoirs publics venant épauler une hégémonie financière chancelante", expose Cédric Durand, maître de conférences à l'université Paris 13, dans une interview à Mediapart. "Pour parler clairement : ce serait irresponsable, maintenant que les avions sont cloués au sol, de vouloir redonner au transport aérien la place qui était la sienne avant la crise. Idem pour l'industrie automobile ou pour la production de pesticides", estime-t-il, préconisant une planification de l'économie par les pouvoirs publics qui s'affranchisse de la dictature des marchés.
Une tribune signée par quelque 180 personnalités (ministres, eurodéputés, ONG, think tanks, dirigeants d'entreprises…) publiée dans plusieurs journaux européens, dont Le Monde, prône une "alliance européenne pour une relance verte". "La transformation vers une économie neutre en carbone, des systèmes agricoles plus durables et la protection de la biodiversité ont le potentiel pour créer rapidement des emplois, de la prospérité et améliorer la qualité de vie des citoyens", écrivent les signataires, à l'initiative de l'eurodéputé Pascal Canfin.
Les dirigeants des 27 pays de l'UE ont entériné le principe d'un plan de relance et confié à la Commission européenne le soin d'en élaborer le contenu et l'envergure. Même les plus fervents tenants de l'orthodoxie budgétaire et de la maîtrise des déficits publics estiment aujourd'hui qu'une politique de relance est indispensable, et qu'il serait suicidaire de promouvoir une austérité synonyme de réductions de dépenses publiques ou d'augmentations d'impôts.
La "monnaie hélicoptère" pour le "monde d'après" ?
Mais la question du financement de ces plans de relance massifs, européens ou nationaux, qui viendront à leur tour alourdir les déficits et la dette, continue à diviser les Etats. Combien faut-il mettre sur la table ? Alors que les pays du sud de l'Europe (Italie et Espagne en tête, soutenues par la France) plaident pour une solidarité accrue via l'émission d'obligations communes (les coronabonds), voire une mutualisation des dettes, les pays du nord (Allemagne et Pays-Bas) y restent farouchement opposés.
Certains économistes proposent de faire tomber de nouvelles barrières encore : la possibilité pour les Etats d'émettre des titres de dette perpétuelle, dont le capital n'aurait jamais à être remboursé. Ou encore des annulations pures et simples de dettes détenues par la Banque centrale, comme le suggèrent Laurence Scialom et Baptiste Bridonneau dans une note pour Terra Nova. "Dans la situation actuelle, la dette n'est pas le bon mode de financement", estime pour sa part Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Dans un article publié par l'Institut Veblen, cette spécialiste de l'économie monétaire plaide pour une distribution de "monnaie hélicoptère". Le principe : plutôt que de financer l'économie de manière indirecte en rachetant des actifs sur les marchés financiers, la Banque centrale européenne pourrait distribuer de l'argent directement aux acteurs économiques, sans remboursement attendu ni contrepartie. Aux Etats pour financer les mesures d'urgence, aux entreprises pour soutenir l'offre et aux particuliers pour soutenir la demande.
"La monnaie hélicoptère permet de s'affranchir des canaux de transmission habituels que sont les banques et les marchés financiers", rendant la politique monétaire à la fois "plus efficace" et "moins inégalitaire", estime Jézabel Couppey-Soubeyran. Si elles sont loin de susciter une approbation générale, ces propositions sont de plus en plus commentées parmi les économistes. "Il y a deux ou trois ans, elles étaient encore marginales. Aujourd'hui, elles sont davantage au centre des débats", observe Alexandre Delaigue. Les idées pour inventer le "monde d'après" ne manquent pas.
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