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Récit "Maintenant, on sort le bazooka" : ces 10 jours où le premier confinement contre le Covid-19 s'est décidé

Article rédigé par franceinfo - Hadrien Bect
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Emmanuel Macron, Édouard Philippe et Olivier Véran à l'Élysée, en mars 2020. (LUDOVIC MARIN / POOL / MAXPPP)

La France à l’arrêt, les Français obligés de rester chez eux. Il y a un an, pour tenter d’enrayer la flambée du Covid-19, débutait le premier confinement, décision inédite dans l’histoire moderne. Plongée dans les coulisses de cette décision politique qui a changé notre vie quotidienne, et continue de la façonner.

Fin février 2020. La France ne recense que quelques cas de ce qu’on appelle encore le "coronavirus". Aux Contamines-Montjoie, à Crépy-en-Valois, des clusters ont déjà été identifiés, qui semblent circonscrits. Le 6 mars, Emmanuel et Brigitte Macron se rendent même au théâtre pour inciter les Français à ne pas changer leurs habitudes. À Paris, le gouvernement est en alerte. Il scrute les paliers qu’il a lui-même définis face à la crise. Le stade 1, freiner l’introduction du coronavirus, est déjà dépassé : il s’agit maintenant d’en freiner la propagation en attendant le passage "inexorable" au stade 3, celui de l’épidémie et de la mobilisation générale. Le président de la République cherche l’équilibre et appelle à "ne pas se départir de bon sens". Il plaide pour des mesures "proportionnées". "Si on prend des mesures qui sont très contraignantes, ce n'est pas tenable dans la durée", souligne-t-il. "Au stade 3, les activités collectives sont fortement impactées", explique la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye. Mais "on ne va pas arrêter la vie de la France", tempère-t-elle sur France Inter.

La "drôle de guerre"

Les premiers nuages émergent quelques jours après, ils arrivent de l’autre côté des Alpes. En Italie, et tout particulièrement en Lombardie, la crise sanitaire devient aiguë. Les hôpitaux arrivent par endroits à saturation, les morts se comptent déjà par centaines à travers le pays. Naïveté ou excès de confiance, des proches d’Emmanuel Macron se montrent encore optimistes : "La France n’est pas l’Italie, nous on a un système de santé solide", confie alors un important ministre.

Mais très vite, les yeux se décillent : l’Italie, c’est la France avec une semaine, dix jours maximum, d’avance. En ce week-end du 8 mars, "certains parlent encore de grippette, c’est la drôle de guerre", confie a posteriori un conseiller. Mais dès ce moment-là, Emmanuel Macron imagine une prise de parole pour la semaine suivante, après avoir écouté le conseil scientifique qu'il est en train de constituer. En attendant, un conseil de défense est convoqué, dimanche 8 mars, dans le PC Jupiter, dans le bunker de l'Élysée. A l'ordre du jour, la crise sanitaire. Et en fin d'après-midi, Olivier Véran, ministre de la Santé, annonce que "les rassemblements de plus de 1 000 personnes sont désormais interdits".

Réunion du conseil de défense à l'Élysée, le 8 mars 2020. (THIBAULT CAMUS / AFP)

L’Italie, encore elle, se confine le 9 mars. En France, certains ministères anticipent, et commencent à travailler à bas bruit sur l’hypothèse d’un confinement généralisé. Mettre un pays sous cloche, ça ne s’est jamais fait, et ça se prépare. Politiquement, les esprits ne sont pas encore mûrs. Mardi 10 mars, à l’issue d’une visite au Samu et à l’hôpital Necker à Paris, Emmanuel Macron espère encore éviter le pire : "Il ne faut pas considérer qu’il va y avoir à un moment donné dans notre pays une grande bascule où tout va changer, expose le chef de l’État devant la presse, il faut qu’on reste extrêmement adaptables et à chaque moment, selon la différenciation des territoires."

Adaptabilité, différenciation, les concepts vont faire long feu. Dans les heures qui suivent, l’inquiétude grandit. Emmanuel Macron a ses capteurs : des élus, des scientifiques, des médecins dans les hôpitaux. Les remontées de terrain, dans l’Est et en Île-de-France ne sont pas bonnes. Les signaux qui viennent de l'étranger ne sont pas plus rassurants. Mercredi 11 mars au soir, dans une allocution découse de dix minutes, Donald Trump annonce la fermeture pour 30 jours des frontières des Etats-Unis à tous les voyageurs en provenance d'Europe

C’est décidé, Emmanuel Macron prendra la parole jeudi 12 mars. Pour dire quoi ? Le chef de l’État ne le sait pas encore. Jean-Michel Blanquer, lui, entame sa journée sur franceinfo, à 8h30, et se fait rassurant sur l'ouverture des écoles. Le ministre de l’Éducation nationale est même catégorique : "Nous n'avons jamais envisagé la fermeture totale." "Quand vous fermez les écoles de tout un pays, argumente le ministre, cela signifie que vous paralysez en bonne partie ce pays. C'est évidemment quelque chose qui doit être regardé avec beaucoup de finesse pour ne pas être contreproductif."

La "grosse taloche" du conseil scientifique

Dans la journée, Emmanuel Macron reçoit les membres du conseil scientifique, tout juste installé. La réunion dans le grand salon de l'Élysée s’éternise. "C’est la douche froide totale", témoigne un conseiller du président. La professeure Lila Bouadma raconte les réanimations à l’hôpital Bichat. "Vous ne vous rendez pas compte de ce qui est en train de se passer", explique-t-elle. Les toutes dernières projections chiffrées sont glaçantes : "des centaines de milliers de morts" si on laisse le virus se propager dans la population. Le respect des gestes barrières semble dérisoire. "On se prend une grosse taloche", raconte un participant. Le confinement semble inéluctable. Dans son avis (lien vers un PDF), le conseil scientifique préconise la fermeture des crèches, écoles, collèges, lycées, universités, mais aussi des gymnases, des bars et restaurants ou des discothèques et le confinement des personnes de plus de 70 ans. Emmanuel Macron veut pourtant encore se donner une chance d'éviter un confinement généralisé. Il ne suivra, qu’en partie, l'avis du conseil scientifique.

À 20 heures, le président annonce la fermeture des crèches, des écoles, des collèges, des lycées, des universités sur tout le territoire. L’accélération a pris au dépourvu jusqu’au ministre de l’Éducation nationale, dont les déclarations du matin résonnent encore. "Auparavant, dans plusieurs conseils des ministres, on avait été très clairs sur le fait qu’il n’y aurait pas de confinement général, on travaille à ce moment-là sur des confinements régionaux", explique aujourd’hui le ministre à franceinfo. En déplacement à Poitiers, Jean-Michel Blanquer n'est prévenu que dans l’après-midi que toutes les écoles fermeront leurs portes le lundi suivant. "Alors que le conseil scientifique est réuni, l’Élysée m’avertit que la situation s’aggrave dans des proportions importantes, et qu’on va changer de doctrine d’action", poursuit-il. Faute d’informations suffisantes sur l’épidémie, le sommet de l’État craint aussi que les écoliers, peu symptomatiques, soient des moteurs de l’épidémie. Nécessité fait loi.

Une "révolution culturelle", confie Bruno Le Maire

L'allocution présidentielle est solennelle, c'est la première depuis le début de la crise du Covid-19. Emmanuel Macron demande à tous les Français "de limiter leurs déplacements au strict nécessaire", aux entreprises "de permettre à leurs employés de travailler à distance". Il annonce "un mécanisme exceptionnel et massif de chômage partiel" : "Nous n'ajouterons pas aux difficultés sanitaires la peur de la faillite pour les entrepreneurs, l'angoisse du chômage et des fins de mois difficiles pour les salariés."

La conséquence immédiate de cette "mobilisation générale", c’est le début du "quoi qu’il en coûte". Un vrai changement de ton à l’époque de la maîtrise des déficits. "C’est une révolution culturelle pour moi", raconte aujourd’hui Bruno Le Maire à franceinfo. Le ministre de l’Économie avait anticipé une crise économique grave, alors que la Chine est à l’arrêt. Sans imaginer initialement que le tour de la France viendrait. "Début mars, je propose au président un fonds de solidarité, je pense à ce moment-là que ça pourrait suffire, explique-t-il, mais une semaine plus tard, je m’aperçois que c’est totalement insuffisant. Je propose alors au président et au Premier ministre le prêt garanti par l’État". De quelques milliards, les sommes s’alourdissent à 300 milliards d’euros. Les grands moyens économiques sont déployés pour mieux préparer les grands moyens sanitaires.

Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur, Édouard Philippe, Premier ministre, Jean-François Delfraissy, président du conseil scientifique, et Olivier Véran, ministre de la Santé, le 13 mars 2020. (LUDOVIC MARIN / AFP)

Chaque heure qui passe, la situation se tend un peu plus. L'urgence est telle que les décisions ne peuvent plus être prises collégialement. "Plus le temps de faire des débats à 20, confie aujourd’hui un conseiller. Les décisions se prennent à trois ou quatre." Le cercle se resserre autour d’Edouard Philippe et d’Emmanuel Macron : Benoît Ribadeau-Dumas (directeur de cabinet) et Marc Guillaume (secrétaire général du gouvernement) à Matignon, Alexis Kohler (secrétaire général de la présidence) et un ou deux conseillers politiques à l'Elysée. Avec l’assentiment du conseil scientifique, et faute de consensus politique sur un report, Emmanuel Macron l’a annoncé jeudi soir, le premier tour des élections municipales aura bien lieu le dimanche 15 mars. "J’ai interrogé les scientifiques. Ils considèrent que rien ne s’oppose à ce que les Français, même les plus vulnérables se rendent aux urnes". Aller voter ne serait pas plus risqué que d’aller faire ses courses : l’argument glissé dans l’avis du conseil scientifique va fleurir un peu partout.

Paradoxe comme cette crise sait en produire, les Français sont appelés aux urnes, et bientôt à rester chez eux. Le maintien des municipales brouille le message, et l’inquiétude gouvernementale ne se répercute pas dans la population. Samedi 14 mars en début de soirée, Édouard Philippe le fait remarquer en s'adressant aux Français, sans cacher son agacement : ces derniers jours "nous avons vu trop de gens dans les cafés, les restaurants. Ce n’est pas ce que nous devons faire". Dans la foulée, le Premier ministre annonce, dès minuit et jusqu’à nouvel ordre, la fermeture des bars, restaurants, discothèques… tous les lieux ouverts au public, "non indispensables à la vie du pays".

"Merde, on n’a pas été compris"

Mais le message d’Édouard Philippe n’est pas entendu, "il n’a pas imprimé", constate un conseiller du chef de l’État. Le lendemain, dimanche, flotte presque un air de vacances sur la France. Les bureaux de vote sont boudés, les parcs beaucoup moins, tout comme les quais de Seine et du canal Saint-Martin à Paris. Emmanuel Macron est en colère. Édouard Philippe aussi. Il regarde les images sur son téléphone, dans la voiture qui le ramène du Havre, où il se représente à la mairie. À son arrivée à Matignon, "on tente de lui faire un point sur les municipales, ça dure vingt secondes", raconte un de ses amis. Le Premier ministre est scotché à la télévision. Et les quais bondés encore, en boucle sur les chaînes d’information. "À ce moment-là, les municipales, le Havre, il n’en a plus rien à foutre", ajoute le même. Edouard Philippe passe une grande partie de la soirée enfermé avec Benoît Ribadeau-Dumas, son directeur de cabinet, et Marc Guillaume, le secrétaire général du gouvernement.

Ambiance similaire à l’Élysée : "Merde, on n’a pas été compris", peste-t-on rue du Faubourg Saint-Honoré. Devant des proches, Emmanuel Macron tempête : "On ne peut pas être un pays qui trie les patients à cause de ce genre de comportements". C’est décidé. Il va reparler et cette fois, témoigne un ministre, "la dentelle, ça suffit, maintenant on passe au bazooka".

Finie la drôle de guerre, Emmanuel Macron est décidé à frapper fort : la France sera mise sous cloche. Les amortisseurs économiques sont prêts, les esprits un peu moins. Lundi 16 mars au petit matin lui vient l’idée de la métaphore guerrière, répétée six fois ce soir-là, moquée bien davantage par la suite. "Nous sommes en guerre", scande le président devant 35 millions de Français, pour "créer un effet de sidération", dixit un proche. Pour le concret en revanche, certains jugeront que le compte n’y est pas. Édouard Philippe voulait que le mot "confinement" soit prononcé, Emmanuel Macron décline. C’est finalement le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, qui le répètera tard dans la soirée. "Il fallait repasser, ce n’était pas clair du tout", dit aujourd’hui un membre du premier cercle. Finalement, le message est passé. Le lendemain, mardi 17 mars à midi, la France s’arrête. Pour la première fois.

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