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"Une erreur stratégique de ne pas dire 'confinement'" pour combattre le coronavirus : pourquoi le discours d'Emmanuel Macron est critiqué

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 10min
Le président de la République, Emmanuel Macron, s'exprime depuis l'Elysée sur la propagation du coronavirus, le 16 mars 2020.  (LUDOVIC MARIN / AFP)

Le président de la République a pris la parole une deuxième fois, lundi soir, pour annoncer de nouvelles mesures contre la propagation du coronavirus. Mais, selon deux experts en communication de crise, le chef de l'Etat a commis plusieurs erreurs majeures lors de cette intervention. 

Les réactions politiques sont tombées immédiatement après. "Lorsque l'on déclare la guerre, il faut que les ordres soient clairs", a taclé Marine Le Pen. Et la présidente du Rassemblement national d'ajouter : "Je pense que beaucoup de Français n'ont pas compris ce que le président de la République attendait d'eux. Et c'est un problème". Même discours des Républicains, via le secrétaire général du parti, Aurélien Pradié : "Si nous sommes en guerre, alors il faut que les dispositions soient à la hauteur d'une guerre". A gauche, les critiques sont identiques. "Nous sommes en guerre contre un virus. Mais j'aurais aimé que le président de la République mette les mots sur les mesures qu'il faut prendre", a regretté Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste.

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Ces responsables politiques de l'opposition critiquent tous le manque de clarté de la nouvelle intervention d'Emmanuel Macron, lundi 16 mars, sur les mesures visant à freiner la propagation du corovanirus. Les experts en com' de crise interrogés par franceinfo pointent eux aussi le flou du discours du président de la République. "La priorité consistait à ce que les messages de mise en confinement du pays soient parfaitement compris et entendus sur les aspects très pratiques", explique Jean-Christophe Alquier, président d'Alquier communication. Et visiblement, c'est raté : "Le technocrate a pointé son visage sous le masque du chef de guerre, on l'a senti revenir sur des sujets qui sont secondaires sur un plan émotionnel mais aussi sur un plan rationnel". Principal problème de l'allocution du chef de l'Etat : ne pas avoir prononcer le mot de "confinement" devant les 35,3 millions de téléspectacteurs qui ont regardé son intervention. 

Le mot "confinement" n'est jamais prononcé

Au cours de ses 21 minutes de discours, Emmanuel Macron évite le terme soigneusement. "J'ai décidé de renforcer encore les mesures pour réduire nos déplacements et nos contacts au strict nécessaire", annonce-t-il, évoquant une période de 15 jours. Le flou règne alors, les réseaux sociaux s'affolent. Sur les plateaux télé, les médecins ne comprennent pas non plus ce qu'a exactement annoncé le président. 

Il faut attendre l'intervention de Christophe Castaner, plus d'une heure plus tard, pour confirmer que cela correspond bien à un confinement. "Il s'agit de mesures de confinement", répète ainsi le ministre de l'Intérieur plusieurs fois, assurant : "La consigne générale est simple : 'Restez chez vous'"."C'est une erreur stratégique majeure de ne pas prononcer le mot 'confinement', décrypte Florian Silnicki, spécialiste en communication de crise et fondateur de l'agence LaFrenchCom. C'est la stratégie du 'en même temps', de concilier des intérêts différents, mais ce n'est pas compatible avec la stratégie de com de crise" 

Le choix de ne pas employer le terme "confinement" est cependant parfaitement assumé, selon les proches du chef de l'Etat interrogés par Le Parisien. "'Confinement', c'est un mot qui n'est pas très clair ni compréhensible, qui peut vouloir dire plein de choses. Ça suppose un côté prisonnier, alors qu'on ne veut pas que les Français se sentent prisonniers. Notre message est plutôt : 'protégez-vous chez vous'", assure l'un d'eux au quotidien.

Il n'y a pas eu de peur du mot, mais le souci d'être bien compris. Confinement, ce n'est pas précis. Restrictions de sortie, si.

Un proche du chef de l'Etat

au "Parisien"

"Le mot 'confinement' n'est pas tabou", assure encore un ministre au Parisien

"Il y a eu une répartition des rôles"

Comment comprendre alors le changement de vocabulaire avec Christophe Castaner ? Jean-Christophe Alquier évoque l'hypothèse d'un rétropédalage en régle. "Les équipes gouvernementales ont vu l'erreur de com' majeure qu'il y avait à ne pas prononcer le mot 'confinement', ils ont aussi peut-être reçu des messages des scientifiques ou des politiques et ils ont surveillé les réseaux sociaux. Ils sont redressé le tir en termes de message", assure-t-il.

Florian Silnicki parie lui sur un autre choix : "Il y a eu une répartition des rôles". "Le président a contribué par son discours à annoncer un confinement pour en favoriser l'acceptabilité sociale, c'est le rôle du père de la Nation. Christophe Castaner est rentré dans les modalités opérationnelles de contraintes sur les libertés publiques", détaille-t-il.

Le président a préparé la prise de parole du ministre Castaner.

Florian Silnicki, expert en com' de crise

à franceinfo

Un choix visiblement retenu par le gouvernement, avance Le Parisien. "Au président l'appel à la mobilisation générale face à la propagation fulgurante du Covid-19, et aux responsables des forces de l'ordre et du système sanitaire le ton martial et les termes techniques", précise le journal. "Le problème, c'est que la parole de Castaner est arrivée tard. Il aurait fallu qu'il s'exprime juste après le président. Là, il s'est passé deux heures !", déplore auprès du Parisien un conseiller ministériel. 

Florian Silnicki et Jean-Christophe Alquier estiment tous les deux que cette multiplication des canaux politiques n'est pas très heureuse. "On aurait pu être plus efficace avec le président qui annonce ces restrictions et modalités. Il n'y a pas 35 millions de personnes qui ont regardé Castaner", rappelle Florian Silnicki. 

"Il se pose en chef de guerre"

Autre erreur faite par Emmanuel Macron : commencer son discours par des remontrances aux Français. En pointant du doigt ceux qui sont sortis "dans les parcs, les marchés" dimanche, le chef de l'Etat les a avertis : "Vous risquez de contaminer vos amis, vos parents, vos grands-parents". Un pari très risqué selon les experts en com'. "J'attire toujours l'attention des responsables politiques sur le fait que ce n'est pas leur rôle de faire la morale aux Français. En faisant cela, ils diminuent d'autant l'impact de leur discours", assure Florian Silnicki. "Connaissant la psychologie de ceux qui ont bravé les interdits, qui le le font par bravade, commencer par les tancer est contre-productif", renchérit Jean-Christophe Alquier. 

Outre ces réprimandes, le chef de l'Etat a tenté de mobiliser l'opinion en ayant recours à un vocabulaire guerrier. "Nous sommes en guerre", a-t-il martelé à six reprises, avant de préciser : "En guerre sanitaire certes, mais l'ennemi est là, et cela requiert une mobilisation générale." Pour Florian Silnicki, il s'agit de créer "un choc dans l'opinion". "Il fallait trouver des mots suffisamment forts pour sidérer les Français, les choquer et donc qu'ils appliquent les consignes", explique-t-il. 

Qu'un chef de l'Etat utilise le mot de 'guerre' autant de fois dans son discours, c'est un choix stratégique. Macron se pose en chef de guerre.

Florian Silnicki, spécialiste de la communication de crise

à franceinfo

Mais ce ton martial n'est pas forcément signe de clarté. "Emmanuel Macron a versé dans ses erreurs classiques, il est resté extrêmement conceptuel, ce qui contribue à la mauvaise compréhension, assez théorique et assez littéraire", pointe Jean-Christophe Alquier. Le président, "pétri d'histoire politique de notre pays", a par exemple sciemment fait référence à Georges Clemenceau en assurant que le personnel soignant avait "des droits sur nous". Une phrase directement inspirée du "Tigre" lorsqu'il rendit hommage aux soldats de la Grande Guerre, rappelle Libération. "Il est quand même dans un registre du début du XXe siècle, à l'heure des réseaux sociaux et des textos, souligne Jean-Christophe Alquier. C'est une erreur de ses conseillers de ne pas être dans quelque chose de plus concret". 

"'Restez chez vous' et 'Allez voter', c'est contradictoire"

Cette absence de clarté sur les mesures sanitaires tranche avec le long développement du président, dans la dernière partie de son discours, sur l'économie. Emmanuel Macron a annoncé une série de mesures destinées aux entreprises, comme la suspension des factures ou la garantie de l'Etat de 300 milliards d'euros pour les prêts bancaires des entreprises. Ce niveau de détail n'aurait pas dû être apporté par le président de la République et relevait, selon les experts, beaucoup plus d'"un Bruno Le Maire". "On a laissé le ministre de l'Intérieur s'exprimer après le chef de l'Etat mais on a largement détaillé des mesures qui relevaient du ministre de l'Economie", estime Florian Silnicki. 

C'est une erreur majeure de com' de considérer que l'économie et le politique sont au même niveau que les enjeux sanitaires dans les prises de parole.

Jean-Christophe Alquier, spécialiste en communication de crise

à franceinfo

Il y a encore plus contradictoire que cette mauvaise distribution des rôles. En annonçant le report du second tour des municipales le lendemain de la tenue du premier, le chef de l'Etat a involontairement révélé l'absurdité, pointée notamment par les médecins, qu'il y avait à maintenir ce scrutin, dimanche. "C'est l'erreur majeure principale d'Emmanuel Macron, c'est une erreur politique qui, à mon sens, ressurgira à la fin de l'épidémie quand on aura le bilan", assure Jean-Christophe Alquier. "Cela va marquer toute la classe politique, qui a fait preuve d'inconséquence sur ce sujet", ajoute-t-il. Emmanuel Macron a d'ailleurs dès à présent ouvert un pare-feu, en assurant qu'"un consensus scientifique et politique s'[était] formé pour maintenir le premier tour des élections municipales". 

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