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Récit Elections municipales 2020 : du maintien contesté du scrutin à une abstention record, la France a voté en pleine épidémie de coronavirus

L'annonce du Premier ministre Edouard Philippe de la fermeture des cinémas, des bars et des restaurants a provoqué la stupeur et l'incompréhension à quelques heures du premier tour, où quelque 47,7 millions d'électeurs étaient appelés aux urnes.

Article rédigé par Valentine Pasquesoone, Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11 min
Des assesseurs dépouillent, équipés de masques pour se protéger du coronavirus, une urne lors du premier tour des municipales, le 15 mars 2020, à Strasbourg.  (FREDERICK FLORIN / AFP)

19h38. Samedi 14 mars, veille du premier tour des élections municipales. Au ministère de la Santé, le visage grave, Edouard Philippe monte à la tribune de presse. Accompagné du directeur général de la santé Jérôme Salomon, le Premier ministre s'apprête à prendre la parole et évoquer l'épidémie de coronavirus en France. Trois jours après l'intervention solennelle du président de la République et l'annonce de la fermeture des crèches, écoles, collèges, lycées et universités, personne ne sait ce que va annoncer le chef du gouvernement.

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"Nous observons une accélération de la diffusion du virus et dans certains territoires une augmentation très importante des personnes en réanimation", met d'abord en garde Edouard Philippe, avant de déplorer que "les premières mesures de limitation des rassemblements sont imparfaitement appliquées". Le Premier ministre annonce donc la fermeture, le soir même, à minuit, "de tous les lieux recevant du public non indispensables à la vie du pays".

C'est la stupeur partout en France. Les tenanciers de bars ou de restaurants découvrent la nouvelle en direct. Et une question reste en suspens : les élections municipales peuvent-elles se tenir dans un tel contexte ? Oui, répond Edouard Philippe, qui se base sur l'avis du conseil scientifique.

Une opposition de tous bords contre le scrutin

Face à l'ampleur de ces nouvelles mesures, le maintien du premier tour enflamme immédiatement les réseaux sociaux. Un hashtag commence à circuler sur Twitter : #Jeniraipasvoter. Les internautes soulignent l'absurdité de maintenir un scrutin en pleine crise sanitaire.

Certains assesseurs, beaucoup plus exposés que les électeurs, assurent qu'ils feront défection en signe de protestation.

Les politiques prennent aussi la parole. En pleine période de réserve, six présidents de région vont tour à tour demander l'annulation du premier tour. C'est Gilles Simeoni, le président du Conseil exécutif corse, qui ouvre le bal vers 20 heures. "Je demande l'annulation du scrutin municipal. Parce qu'il est de mon devoir de protéger les Corses", écrit-il sur Twitter.

Peu avant 21 heures, il est rejoint par la présidente de la région Occitanie. Pour la socialiste Carole Delga, "il est plus sage de reporter les élections municipales". Cinq minutes plus tard, même demande du centriste Hervé Morin. Le président de la région Normandie estime que "ces élections municipales n'ont pas de sens". Renaud Muselier, président LR de la région Paca, leur emboîte le pas. Juste avant les douze coups de minuit, Valérie Pécresse, présidente de la région Ile-de-France, pointe elle aussi l'incohérence entre les mesures de confinement annoncées et le maintien des municipales.

Les présidents de région ne sont pas les seuls à monter au créneau lors de cette folle soirée. Le socialiste Philippe Saurel, maire sortant de Montpellier, le sénateur LR Philippe Dallier ou encore le député "insoumis" Eric Coquerel partagent eux aussi leur opposition à la tenue du scrutin. "Nos mandats valent moins que la santé de nos concitoyens. La position n'est pas tenable", estime pour sa part le maire de Reims, le Républicain Arnaud Robinet, disant attendre "une réponse du gouvernement dans la soirée". 

Seize médecins demandent eux aussi l'annulation du scrutin dans une tribune publiée sur Atlantico.fr. "Le maintien des élections est un mauvais signal pour la population par rapport à la sévérité de cette pandémie, seuls les pays ayant pris des mesures importantes de confinement ont limité ce fléau", écrivent-ils.

L'Elysée droit dans ses bottes

Dans ces conditions, certains s'inquiètent de la bonne tenue de ces élections. Tous les bureaux de vote pourront-ils ouvrir alors que les défections d'assesseurs pourraient être importantes ? A Paris, le message du directeur de campagne de Cédric Villani n'incite pas à l'optimisme. "Je prends actes des démissions qui, en cohérence, se multiplient parmi nos assesseurs et présidents de bureaux de vote", annonce-t-il vers 22 heures.

A la même heure, une information de RTL sème un peu plus la confusion dans les esprits. "Après la déclaration d'Edouard Philippe, de hauts responsables de la majorité, au premier rang desquels François Bayrou, ont demandé à Emmanuel Macron l'annulation du premier tour et le report des élections municipales. Le président du MoDem a invoqué 'l'urgence sanitaire'", annonce sur Twitter un journaliste de la radio. Dans les rédactions, c'est le branle-bas de combat. Peut-on encore annuler les élections ? Quid du second tour ? Les constitutionnalistes sont appelés à la rescousse. "On peut encore prendre un décret avant minuit. Il faut réunir le Conseil des ministres, mais c'est faisable", assure Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public. Il reste une heure et demie.

Peu avant 23 heures, la réponse de l'Elysée tombe. Interrogé par France Télévisions, l'entourage d'Emmanuel Macron assure que "le président a pris sa décision jeudi après avoir consulté l'ensemble des responsables politiques et après avoir entendu les recommandations du comité scientifique". Et le palais présidentiel de poursuivre : "Aujourd'hui, les experts scientifiques ont renouvelé leur avis. Voter est un geste important sinon essentiel au bon fonctionnement de notre démocratie." Fermer le banc. Le premier tour aura bien lieu. Dans quelles conditions ?

Les bureaux de vote ouvrent malgré tout

5h10, dimanche 15 mars. Trois heures avant l'ouverture des bureaux de vote en métropole, le médecin Rémi Salomon, président de la commission médicale d'établissement de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (APHP), lance un dernier cri d'alarme contre le maintien du scrutin. "Il faut dès maintenant appliquer le confinement maximum. N'allez pas voter", insiste-t-il. 

Sur les réseaux sociaux, les appels de soignants se multiplient. A 7h40, le collectif Inter-Hôpitaux, qui rassemble des personnels hospitaliers pour la "défense de l'hôpital public", demande également aux électeurs de "ne pas voter aujourd'hui", le tout appuyé du hashtag #ResteChezToi. A Ajaccio (Corse-du-Sud), des infirmiers du service de réanimation posent pour une photo, munis de masques chirurgicaux, une affiche entre les mains. "N'allez pas voter", peut-on y lire. 

Ces mises en garde n'empêchent pas l'ouverture des bureaux de vote, dès 8 heures. La situation est exceptionnelle : 47,7 millions d'électeurs y sont attendus, tandis que cafés, restaurants et autres lieux publics sont fermés. Dans les bureaux, les Français sont invités à utiliser un bulletin reçu par courrier et leurs propres stylos, à respecter des distances de sécurité et à voter à des heures plus creuses. Poignées de portes, tables, isoloirs... Tout doit être parfaitement nettoyé.

Un plébiscite en faveur de l'abstention 

Le Premier ministre est l'un des premiers à donner l'exemple. Dès 8h15, Edouard Philippe vote au Havre (Seine-Maritime), où il est candidat. Sans faire de déclaration, le chef du gouvernement place son bulletin dans l'urne. Les assesseurs portent des gants et le Premier ministre n'hésite pas à sortir son stylo, puis à utiliser à un gel hydroalcoolique pour se désinfecter les mains. Les images se veulent rassurantes : il n'y a pas de risque à voter tant que ces mesures de précaution sont respectées. 

Dans la matinée, le gouvernement relaie la bonne parole sur les plateaux télévisés. "Le président de la République et le Premier ministre se sont entourés des avis des experts scientifiques sur la compatibilité entre l'élection (...) et les conditions sanitaires", assure Jean-Michel Blanquer, le ministre de l'Education nationale, sur franceinfo. Vers 8h30, lui-même affirme qu'il ira voter avec son stylo, en veillant "à ne pas toucher une poignée de porte". "Si ça devait arriver ensuite, j'utiliserai un gel. Je ne serrerai la main à personne, ça va de soi", dit-il. 

Quelques heures plus tard, Emmanuel Macron, accompagné de son épouse Brigitte, affiche son calme à l'hôtel de ville du Touquet (Pas-de-Calais). Lui aussi vient avec son propre stylo et se lave les mains ostensiblement au gel hydroalcoolique. Après avoir voté, il réitère devant les caméras la position du gouvernement sur les municipales. 

Je pense qu'il est important de voter dans ces moments-là en prenant cette discipline, en respectant ces règles parce que je pense qu'il est important de continuer à rester des citoyens dignes, libres.

Emmanuel Macron

face à des journalistes

Sur les réseaux sociaux, le hashtag #Jeniraipasvoter continue de circuler. Tandis que de nouvelles voix de médecins s'élèvent contre le maintien du scrutin, le mot-dièse devient même le plus utilisé de France, précise Le Parisien. Les premières estimations de l'abstention semblent lui donner raison. Le taux de participation n'atteint que 18,38% à midi, contre 23,16% au premier tour et à la même heure en 2014. La tendance se confirme en fin d'après-midi : à 17 heures, seuls 38,77% des électeurs ont voté en métropole, d'après le ministère de l'Intérieur. Ils étaient 54,72% six ans plus tôt. Le recul de la participation est massif.

A la fermeture des bureaux de vote, le taux d'abstention atteint 54,5%, selon une estimation Ipsos/Sopra Steria pour France Télévisions, Radio France et les chaînes parlementaires. La situation est inédite pour une élection municipale française, et largement causée par l'épidémie de Covid-19. Quelque 39% des non-votants interrogés déclarent qu'elle est la première raison de leur abstention.

Le second tour aura-t-il lieu ?

19 heures. Les politiques font leur apparition sur les plateaux de télévision. Confronté à l'abstention, les membres du gouvernement continuent d'assumer. "Il n'y a pas de regret" quant au maintien du premier tour, insiste le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, sur France 2. Puis c'est le ministre de la Santé, Olivier Véran, qui défend la décision de l'exécutif, peu de temps après. 

Mais à l'heure des résultats et d'une abstention record, le message est de plus en plus contesté, d'un bout à l'autre de l'échiquier politique. L'eurodéputé écologiste Yannick Jadot "demande" à Emmanuel Macron "d'organiser (...) le report du second tour". "Maintenir ces élections municipales est un choix incompréhensible pour nos compatriotes", réagit de son côté Marine Le Pen, la présidente du Rassemblement national. Le report du second tour devient une "évidence" pour Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste.

Comment peut-on dire aux gens 'confinez-vous', et en même temps 'sortez voter' ?

Olivier Faure

sur franceinfo

Vers 21 heures, le visage aussi grave que la veille, Edouard Philippe s'exprime finalement après cette journée de vote hors-norme.

"Nous prendrons les mesures nécessaires." Le Premier ministre Edouard Philippe annonce une nouvelle consultation
"Nous prendrons les mesures nécessaires." Le Premier ministre Edouard Philippe annonce une nouvelle consultation "Nous prendrons les mesures nécessaires." Le Premier ministre Edouard Philippe annonce une nouvelle consultation

Son assurance, samedi, sur le maintien du premier tour, laisse place à l'interrogation quant à la suite des élections. "C'est en prenant en compte l'avis des autorités sanitaires que nous nous organiserons pour le second tour", déclare le Premier ministre. Décidera-t-il d'un report ? "C'est dans une transparence totale, en prenant en compte les recommandations sanitaires, et, je l'espère, dans un esprit de consensus républicain, que nous prendrons les mesures nécessaires", répond-il. Et d'ajouter : "Je réunirai à nouveau le conseil scientifique en début de semaine et je consulterai les responsables des partis politiques." "Sans doute mardi", a précisé dans la soirée Olivier Véran, le ministre de la Santé.

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