"Complément d'enquête". Jihad : les recruteurs
Une équipe de journalistes a suivi, dans le nord de la Syrie, le quotidien d'une cinquantaine de jihadistes français. Tous ont été recrutés par un seul et même homme : un Niçois qui se faisait appeler Omar Omsen, donné pour mort il y a un an. Pour ce documentaire exceptionnel proposé par "Complément d'enquête", Romain Boutilly a pu entrer en contact avec lui. Interview exclusive et images d'une immersion en Syrie avec son groupe de jihadistes.
Contrairement aux idées reçues, les Français ne se radicalisent pas que sur internet : 95% basculent sous l'emprise d'un recruteur. Ces "rabatteurs" savent bien choisir leurs cibles tout en restant dans l'ombre. C'est l'histoire des deux frères Clain, dont l'un a lu, en français, le communiqué de revendication par le groupe Etat islamique des attentats de novembre 2015. Une enquête qui passe également par La Réunion, Raqqa, Toulouse et Alençon.
Qui sont les mauvais génies de l'islam, ceux qui ciblent, manipulent, et envoient leurs recrues au combat ? Pour "Jihad : les recruteurs", un documentaire exceptionnel proposé par "Complément d'enquête", Romain Boutilly a pu entrer en contact avec Omar Omsen, le principal recruteur français, donné pour mort il y a un an. Interview exclusive et images d'une immersion en Syrie avec son groupe de jihadistes français. Le document retrace ensuite le parcours de Fabien Clain, la "voix" de la vidéo qui revendique les attentats du 13 novembre 2015 au nom de Daech.
Omar Omsen, le "communicant"
Ce Français d'origine sénégalaise de 41 ans s'est rendu célèbre en 2012 avec sa série de vidéos "documentaires" 19HH – pour les 19 terroristes du 11 septembre 2001 et les tours jumelles du World Trade Center. Ce mélange de thèses complotistes, de références coraniques et de scènes cinématographiques assaisonné d'effets spéciaux spectaculaires a fait un tabac sur YouTube : les vidéos vues des milliers de fois, supprimées puis repostées, sont un redoutable vecteur d'embrigadement pour le jihad.
Un ancien caïd converti au salafisme
Avant de devenir le recruteur numéro 1 du jihad français, Omar Diaby (son vrai nom) a fait de la prison dans les années 1990 pour tentative de meurtre, puis pour des braquages. C'est en détention qu'il se radicalise et devient salafiste. En 2010, il a déjà enrôlé des dizaines de jeunes dans sa ville de Nice avec ses prêches au pied des tours des quartiers. En 2013, il rejoint la Syrie, où il fonde sa katiba (brigade) de plusieurs dizaines de jeunes Niçois.
Un gourou mystique qui se démarque de l'Etat islamique
L'Obs avait recueilli en mars 2014 les confidences de ce quasi-gourou via une correspondance sur Facebook. Omar Omsen disait avoir recruté 80 Français au sein de sa katiba liée au Front Al-Nosra. La filiale d’Al-Qaïda en Syrie, qui lutte contre le régime de Bachar Al-Assad, concurrence l'Etat islamique – qui lui enlève de plus en plus de recrues.
Pour Omar Omsen, les jihadistes de Daech sont des réactionnaires, des impulsifs, "des jeunes ignorants sans formation religieuse sérieuse [...], d'anciens voyous dont le comportement déviant ressort dès qu'on leur met des armes entre les mains". Lui revendique "un public plus posé" et une approche de la charia plus "pédagogique". Mais s'il exprime des réserves sur les attaques du 13 novembre, il légitime l'attentat contre Charlie Hebdo, en janvier 2015...
Il a lui-même pris contact avec Romain Boutilly
C'est, dit-il, par sa cousine qu'Omar Omsen a appris que Romain Boutilly préparait un documentaire sur les recruteurs de jihadistes. Celui que les autorités et les médias ont longtemps présenté comme "le principal recruteur français"' était censé avoir disparu en Syrie en août 2015.
Sa disparition, annoncée sur les réseaux sociaux par ses fils puis relayée par des spécialistes du milieu jihadiste, aurait en fait été mise en scène pour lui permettre d'aller se faire soigner à l'étranger… C'est ce que l'ancien "émir" explique à Romain Boutilly dans un fichier audio transmis au journaliste. Après vérifications et débat au sein de la rédaction, le magazine décide d'envoyer un cameraman syrien interviewer et filmer le "ressuscité" du jihad ainsi que son groupe.
Des scènes de "jihad familial" tournées sous surveillance
Le tournage est contrôlé par Omar Omsen lui-même. Sans doute a-t-il planifié les séquences, voire sélectionné les hommes qui sont autorisés à s'exprimer devant la caméra de France 2. Ce que vous voyez dans ce documentaire n'a jamais été filmé auparavant : des images exclusives de jihadistes français menant, entre deux violents combats, une vie de famille apparemment paisible sous les pins syriens…
Des scènes étonnantes obtenues au cours d'une immersion de trois jours dans une sorte de communauté religieuse de familles françaises, où des mariages sont célébrés, où naissent des enfants. Baignade, célébrations religieuses, construction de maisons, un quotidien surprenant dévoilé par "Complément d'enquête". Une vie rythmée par la prière et strictement régie par la charia, où les femmes sont séparées des hommes et entièrement voilées par un niqab – ce qui n'empêche pas le prédicateur de les faire figurer dans des scènes guerrières où elles aussi manient la kalachnikov… à des fins de propagande.
Des aspirants martyrs entraînés au combat
Les combattants d’Omar Omsen racontent, dans une édifiante langue de bois à la gloire de leur "guide", leur vision du jihad, leur souhait de "mourir en martyrs", de ne plus revoir leur famille. Omar Omsen filme tout : les scènes d'entraînement et de combat que l'équipe a pu récupérer montrent le visage belliqueux des jeunes Niçois de sa katiba. Lors de la bataille de Jisr al-Choughour durant l'été 2015, on les voit tirer à l’arme lourde sur l’armée du régime syrien depuis un talus, ou parader dans les rues d’Idlib.
Fabien Clain, "l'idéologue"
Sur une vidéo arrivée de Syrie le 14 novembre 2015, une voix revendique pour l'organisation Etat islamique les attentats de la veille à Paris et à Saint-Denis. C'est celle de Fabien Clain, Toulousain de 38 ans d'origine réunionnaise, connu des services de renseignements depuis quinze ans. L'autre voix de la vidéo, qui interprète les anachid, les chants religieux qui concluent la revendication, appartient à son frère cadet Jean-Michel.
Le "clan des Belphégor"
Les deux frères sont issus d'une famille catholique pratiquante qui vit entre La Réunion et Alençon. Convertis à l'islam, ils arrivent à Toulouse à la fin des années 1990. Dans leur quartier du Mirail, où le salafisme commence à s'implanter, ils vendent des livres et des produits religieux sur les marchés. A l'époque, avec leurs barbes et leurs djellabas, leurs épouses en burqa, ils suscitent surtout la curiosité. "On les appelait 'le clan des Belphégor'... on ne pouvait pas les rater", raconte Frédéric Abela, journaliste à La Dépêche du Midi. Mais en quelques années, Fabien Clain convertit une centaine de jeunes, ainsi que toute sa famille...
Le tournant du 11 septembre 2001
Les attentats d'Al-Qaïda contre le World Trade Center ont ouvert l'ère du terrorisme de masse en Occident. Deux ans plus tard, l'intervention américaine en Irak fait basculer de nombreux Français dans l'islamisme radical. Fabien Clain vend désormais sur les marchés des cassettes à la gloire de Ben Laden. Avec son frère, il décide d'aller se former dans une école coranique du Caire − c'est là qu'il aurait rencontré Mohamed Merah, en 2006.
De Bruxelles à la Syrie en passant par Artigat
Sans Fabien Clain, Mohamed Merah et son frère Abdelkader auraient-ils basculé dans la folie jihadiste ? Les frères Clain se sont aussi liés à la filière islamiste belge au cours d'un passage à Bruxelles. Puis au groupe d'Artigat, en Ariège, où "l'émir blanc" Olivier Corel leur enseigne la religion. Rien d'illégal… En 2009, Fabien Clain atterrit tout de même en prison pour cinq ans, pour avoir envoyé des jihadistes en Syrie. Interdit de séjour à Toulouse, il prend la direction de Raqqa en février 2015, un mois après l'attentat contre Charlie Hebdo. Etonnamment, les renseignements ne l'intercepteront pas au cours de ce périple de trois mois...
Opération séduction à la mosquée d'Alençon
Fabien Clain passe pour un érudit, un fin connaisseur de la religion. A son retour en Normandie, il avait même séduit le recteur de la mosquée d'Alençon, qui songea un moment, la mosquée n'ayant pas d'imam, à confier un prêche à ce "beau parleur"... Un mentor "très fort pour envoyer les autres mourir à sa place" et dont la "capacité extraordinaire à endoctriner des jeunes" est soulignée par les témoins interviewés dans ce document. Aujourd'hui, Fabien Clain serait l'un des cadres de la branche médias du groupe Etat islamique à Raqqa. Son rôle exact dans l'attentat manqué de Villejuif (a-t-il "téléguidé" à distance Sid Ahmed Ghlam ?) ou les attaques du 13 novembre reste encore à déterminer.
"Jihad : les recruteurs", un documentaire diffusé dans "Complément d'enquête" le 25 août 2016.
Après ce document signé Romain Boutilly, Antoine Husser et Frédérique Prigent, Nicolas Poincaré reçoit Christophe Rouget, commandant de police et porte-parole du syndicat des cadres de la Sécurité intérieure (SCSI).
La rédaction de "Complément d'enquête" vous invite à commenter l'émission sur sa page Facebook ou sur Twitter avec le hashtag #Cdenquete
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