TEMOIGNAGES FRANCEINFO. "Tendu", "éprouvant", "terrible"... Les présidents des groupes de l'Assemblée nationale racontent un an de majorité relative
Il y a un an, le ciel tombait sur la tête d'Emmanuel Macron. Fort de sa réélection en avril, le président de la République pensait décrocher naturellement une majorité absolue aux élections législatives de juin, comme il avait réussi à le faire cinq ans plus tôt. Raté. Au soir du 19 juin, le parti présidentiel perd une centaine de députés et ne détient plus qu'une majorité relative au Palais-Bourbon. Au contraire, la Nupes, la coalition des partis de gauche, sort renforcée des urnes, tout comme le Rassemblement national. Le parti de Marine Le Pen devient même le premier groupe d'opposition avec 89 députés.
Au sein du camp présidentiel, le doute s'installe : comment faire adopter les textes de ce nouveau quinquennat ? Douze mois plus tard, franceinfo s'est entretenu avec les présidentes et les présidents des dix groupes parlementaires de l'Assemblée. Tous ont accepté de raconter une année politique très tumultueuse dans l'hémicycle.
Aurore Bergé (Renaissance) : "Tout le monde était un peu groggy"
"Éprouvante", lâche, un Coca-Cola à la main, la patronne des députés du parti présidentiel lorsqu'on lui demande de qualifier l'année qui vient de s'écouler. Dans son grand bureau moderne, Aurore Bergé se reprend aussitôt : "C'est éprouvant, parce qu'étant le premier groupe de la majorité, vous devez faire la démonstration qu'on cherche le compromis. C'est à nous de démontrer qu'on fait l'effort et le premier pas. Mais cela porte ses fruits puisqu'à la fin, les textes sont adoptés."
Le doute était pourtant bien présent, il y a douze mois, à l'annonce des résultats des élections législatives, catastrophiques pour les macronistes. "Le premier truc, c'était de panser les plaies. Tout le monde était un peu groggy", se souvient celle qui prendra la tête d'un groupe ayant perdu une centaine de députés.
"On se dit : 'C'est inédit. Comment ça marche ? C'est quoi le mode d'emploi ?' Mais il n'y a pas de mode d'emploi."
Aurore Bergé, présidente du groupe Renaissanceà franceinfo
Malgré les difficultés de cette année, l'élue des Yvelines loue le rééquilibrage entre les pouvoirs législatif et exécutif. "Les projets de loi tels qu'ils sont adoptés à l'Assemblée nationale ne sont jamais la copie initiale du gouvernement", observe-t-elle, même si "l'apprentissage est toujours en cours". "Vous n'enlevez pas comme cela des réflexes politiques que nous avons eus pendant cinq ans de majorité absolue."
La parlementaire justifie également le recours par le camp présidentiel à plusieurs articles de la Constitution, notamment pendant la réforme des retraites. "L'équilibre de la Constitution est assez magique. Quand on utilise les outils qui sont prévus pour ne pas bloquer [le processus législatif], on prend le risque de sauter. J'entends d'ailleurs certains réclamer la suppression du 49.3, mais dans ce cas, il faudrait supprimer la motion de censure."
Sébastien Chenu (Rassemblement national) : "Il n'y a plus de discours sur le barrage républicain"
Pour Sébastien Chenu, la normalisation du RN est bien plus avancée que ne le laissent croire ses adversaires. "Ils disent : 'On ne fait rien avec eux', mais dans la pratique, ils font quand même", affirme l'un des principaux bras droit de Marine Le Pen. Pour illustrer le fait que le RN n'est plus un parti paria au Palais-Bourbon, le vice-président RN de l'Assemblée nationale cite pêle-mêle ces "députés LR qui ont voté la motion de censure RN", "les coprésidences de groupes d'études avec d'autres députés" ou même l'attitude de la majorité.
"Il n'y a pas un texte où la majorité ne vient pas s'enquérir de notre position en amont, pour savoir de quel côté la pièce va tomber."
Sébastien Chenu, vice-président RN de l'Assemblée nationaleà franceinfo
Lui qui imaginait son parti obtenir très précisément "47 députés" aux législatives de 2022 se souvient de sa "très agréable surprise" d'avoir vu le RN en décrocher près de deux fois plus, soit 89 députés, très loin des 8 élus de la précédente législature. Du jamais-vu dans l'histoire politique française. Sans les voix du RN, "aucune chance" que certains textes soient votés, se réjouit Sébastien Chenu. Et ce transfuge de l'UMP de citer, par exemple, la proposition de loi PS contre le démantèlement d'EDF, votée contre la majorité présidentielle. "Là, il n'y a plus de discours sur le barrage sanitaire ou le barrage républicain !", s'amuse-t-il, visiblement très satisfait de cette première année de législature.
Face à la gauche et à la macronie qui s'accusent régulièrement de favoriser la montée de l'extrême droite – terme qu'il récuse –, Sébastien Chenu commente d'un simple "C'est leur problème". "Il n'y a pas d'agenda caché. On est là pour crédibiliser l'entourage de Marine Le Pen, montrer qu'elle est une femme entourée et l'emmener au pouvoir, c'est très transparent." Sur le fond, le député fait aussi le constat d'une forte influence des idées du RN. "On est finalement devenu le modèle que tous copient à un moment ou un autre", lance-t-il, en référence notamment aux propositions de LR sur l'immigration.
Mathilde Panot (La France insoumise) : "Nous sommes un exutoire à la colère"
"Si l'Assemblée a changé, les macronistes font comme si rien n'avait changé. L'Assemblée a rarement été autant piétinée qu'aujourd'hui", accuse Mathilde Panot, évoquant notamment les onze recours au 49.3 effectués par Elisabeth Borne.
Pourtant, c'est son groupe, cinq fois plus important que lors de la dernière législature, qui est souvent accusé par ses adversaires de créer un climat insurrectionnel dans l'hémicycle. Des accusations "risibles", rétorque cette proche de Jean-Luc Mélenchon. "Vous avez eu dans l'histoire de l'Assemblée des exemples avec des altercations physiques ou des mots bien plus durs qui ont été employés."
"Dire que ça serait violent à l'Assemblée parce qu'on est là, c'est n'importe quoi."
Mathilde Panot, présidente du groupe LFIà franceinfo
"Nous sommes un exutoire à la colère et nous assumons cela", justifie Mathilde Panot, qui assume aussi la stratégie d'obstruction parlementaire de son groupe pendant la réforme des retraites. "Je pense que nous avons bien fait de ne pas nous plier au cadre du gouvernement, et de refuser qu'on aille à un vote. Les médias nous auraient ensuite expliqué que tout était fini et que l'âge de départ à 64 ans avait été voté".
Olivier Marleix (Les Républicains) : "Il y a beaucoup de mauvaise foi de la part de l'exécutif"
"Ils ont vraiment mis six mois à réaliser à peu près complètement qu'ils n'étaient plus majoritaires (…), et à intégrer LR", observe Olivier Marleix, depuis son bureau ouvert sur la cour d'honneur de l'Assemblée. La majorité a beaucoup compté sur les voix du parti de droite pour faire passer différents textes, en particulier la réforme des retraites. Mais le camp présidentiel avait moins anticipé les divisions au sein du groupe. "Il ne faut pas exagérer, rétorque aussitôt Olivier Marleix. Dix-neuf députés ayant voté la motion de censure, ça fait un petit peu moins d'un tiers du groupe." Et de poursuivre : "Quand on est dans l'opposition, soutenir une réforme impopulaire, ce n'est pas forcément quelque chose d'évident. Depuis le début, je savais que mon groupe serait partagé [au sujet de ce texte]."
Pour le chef de file de la droite à l'Assemblée, c'est aux macronistes de faire leur propre introspection. "Il y a beaucoup de mauvaise foi de la part de l'exécutif. C'est facile de nous mettre ça sur le dos", dit-il, évoquant les propres doutes du camp présidentiel à propos des retraites.
"Quand le président dit : 'Certains se sont débinés', la réalité, c'est qu'il manquait des voix dans la majorité."
Olivier Marleix, président du groupe LRà franceinfo
"On ne leur doit rien", ajoute Olivier Marleix, qui résume sa position en une phrase : "Quand ça nous paraît conforme à l'intérêt du pays, on le vote, si ça ne l'est pas, on ne vote pas."
Jean-Paul Mattei (MoDem) : "J'étais très déçu qu'on n'aille pas au vote"
Le 16 mars au matin, Jean-Paul Mattei vit le moment "le plus tendu" de ces douze derniers mois. Ce jour-là, la classe politique est pendue à la décision de l'exécutif de recourir ou non au 49.3 pour adopter la réforme des retraites. Cet article constitutionnel sera finalement dégainé par Elisabeth Borne dans l'après-midi. "J'étais très déçu que l'on n'aille pas au vote, je pense qu'on aurait gagné", confie le patron des députés du MoDem, ajoutant avoir encore l'épisode "en travers du gosier."
De manière plus générale, il concède qu'il est "compliqué d'arriver à trouver des compromis" dans un contexte de majorité relative, même si "on a réussi à faire adopter des textes." Lui-même a fait les frais du bon vouloir du gouvernement, qui n'a pas retenu son amendement sur les super-dividendes, pourtant adopté par l'Assemblée en octobre.
"C'est une occasion loupée d'envoyer un signe de solidarité. On va essayer de voir comment on peut remettre ce sujet sur la table."
Jean-Paul Mattei, président du groupe MoDemà franceinfo
"Le poil à gratter de Bercy", comme il est parfois surnommé, exprime également "des regrets" de ne pas avoir eu à débattre de davantage de "textes vraiment structurants" venant du gouvernement, comme sur le logement.
Boris Vallaud (Parti socialiste) : "Je ne sais pas comment on continue comme ça pendant quatre ans"
Boris Vallaud garde en mémoire son premier rendez-vous avec Elisabeth Borne, en juillet, alors que la nouvelle Assemblée venait tout juste de s'installer. Dans son petit bureau, situé à côté de ceux de ses collègues socialistes, il mime la scène. "Elle nous passe à la question. C'est : 'Etes-vous prêts à voter des lois ?'. Je dis : 'Ca dépend lesquelles'. Puis : 'Etes-vous prêts à entrer dans une coalition ?' Bah non, on n'a pas été élus pour donner une majorité que les Français ont refusée à Macron. Et enfin : 'Est-ce que vous êtes prêts à des compromis ?' Mais, la question se pose d'abord à ceux qui ont perdu cette élection : 'A quels compromis vous, vous êtes prêts ?'", raconte le patron des députés socialistes. Pour le député des Landes, le camp présidentiel n'a toujours pas compris que "le pouvoir est au Parlement, pas à Matignon ou à l'Elysée."
"Celui qui empêche la démocratie parlementaire d'éclore, c'est l'exécutif, aidé par quelques-uns de ses valets dans l'hémicycle."
Boris Vallaud, président du groupe PSà franceinfo
"Je ne sais pas comment on peut faire pour continuer comme ça pendant quatre ans", confie-t-il. Le parlementaire promet néanmoins de ne rien lâcher sur la réforme des retraites et, au-delà de la proposition de loi Liot, qui a finalement été retirée par le groupe de Bertrand Pancher, de proposer l'abrogation du texte dès que l'occasion se représentera. "On peut remettre une petite piqûre de rappel", sourit-il.
Laurent Marcangeli (Horizons) : "En fait, tout le monde subit"
"J'ai vu le moment où la motion de censure passait." En ce lundi 20 mars, le président du groupe Horizons, le parti d'Edouard Philippe, se souvient de ces quelques instants où il a cru que la motion transpartisane portée par Liot, dégainée après le 49.3 sur les retraites, pouvait être adoptée. "J'ai vu les têtes. Je suis assez observateur. Je connais bien Eric Ciotti parce que j'ai siégé avec lui, ou Olivier Marleix. Ils avaient quand même grise mine", raconte-t-il. Et quand Aurore Bergé monte à la tribune pour prononcer un discours vilipendant l'attitude des LR, Laurent Marcangeli redoute une bascule.
"A un moment, on pensait que même si la motion de censure était rejetée, Elisabeth Borne allait démissionner. Beaucoup d'hypothèses ont circulé."
Laurent Marcangeli, président du groupe Horizonsà franceinfo
La motion de censure a finalement été rejetée, à neuf voix près. "C'était forcément tendu. On subissait les choses", poursuit Laurent Marcangeli, qui a lui plaidé pour recourir au 49.3 sur les retraites. "En fait, tout le monde subit. Il n'y a aucun groupe qui est serein dans des situations comme celles-là." L'ancien maire d'Ajaccio se souviendra des "acouphènes" qu'il a entendus pendant ce débat. "Quand on sortait, on avait l'impression d'avoir fait une soirée en boîte de nuit tellement il y avait de bruit."
Laurent Marcangeli décrit encore d'une année "mouvementée, mais passionnante", et assure que l'on peut faire des choses, "y compris avec des LFI et le RN". Une position qui tranche avec ses partenaires de la majorité. "Les Français ne comprennent pas que l'on excommunie a priori des parlementaires. Il y a des gens de très bonne compagnie dans ces deux groupes. Après, c'est la politique et on s'affronte."
Cyrielle Chatelain (Europe Ecologie-Les Verts) : "Ils n'ont pas compris le résultat des élections"
"Je pense qu'il faudra que le gouvernement accepte qu'il n'a plus de majorité", assure Cyrielle Chatelain. La patronne des députés écolos est persuadée que le camp présidentiel "n'a pas compris le résultat des élections" de l'an passé. "Eux pensent que c'est une parenthèse, mais ça n'en est pas une : les Français ne veulent plus du modèle où un seul homme décide de tout". Cette primo-députée dénonce aussi l'attitude du gouvernement avec l'opposition. "La discussion se résume à 'L'exécutif a raison'", déplore-t-elle.
"Pour eux, le compromis revient à vouloir nous amener sur leurs positions. Mais ce n'est pas du compromis, ça !"
Cyrielle Chatelain, présidente du groupe EELVà franceinfo
"Ils sont dans un déni total de la situation politique", poursuit la députée écolo, qui qualifie la séquence sur les retraites de "terrible". "Ce qui m'embête le plus, c'est qu'ils se prennent pour les détenteurs de la vérité quand on discute avec eux."
André Chassaigne (Gauche démocrate et républicaine) : "Dès qu'on rentre dans le dur, on n'y arrive pas"
Lorsqu'il évoque la première année de majorité relative au Palais-Bourbon, André Chassaigne affiche un air déconfit. "Je suis, au bout de douze mois, plutôt dépité", glisse le patron des députés communistes. Ce vieux routier du Parlement, qui espérait "rééquilibrer la séparation des pouvoirs", constate que "l'exécutif a pris plus de poids qu'avant" en utilisant "tous les articles les plus régressifs de la Ve République". Le communiste rend responsable la majorité du climat dans l'hémicycle : "C'est leur violence institutionnelle qui crée un climat extrêmement désagréable." Il dénonce aussi "la mauvaise foi" et le "manque d'humilité" de certains ministres, qui "sont capables de tenir des propos en séance en décalage complet avec la réalité".
"Ils ont la queue du renard qui leur sort de la gueule et ils disent qu'ils ne l'ont pas croqué."
André Chassaigne, président du groupe GDRà franceinfo
André Chassaigne tire un bilan un peu plus positif de la Nupes, la coalition des partis de gauche. "Il y avait un risque que les trois groupes soient avalés par LFI. Finalement, on parvient à avoir un travail commun, mais qui reste assez limité", dit-il en "pesant ses mots" sur ce sujet sensible. "Mais il faut être sur ses gardes", dit-il à propos de tout changement de fonctionnement de cette alliance.
Bertrand Pancher (Liot) : "On a gâché une année précieuse"
"Cela aurait dû être la revanche du Parlement", soupire Bertrand Pancher. Le président de l'hétéroclite groupe Liot, qui a tant agacé la majorité pour avoir dégainé dans sa niche une proposition d'abrogation de la réforme des retraites, poursuit : "Encore aurait-il fallu que le président Macron et la majorité relative le comprennent, et se mettent à travailler normalement avec nous." Ce proche de Jean-Louis Borloo assure que l"on a gâché une année précieuse" avec "un président enfermé" et "un gouvernement tétanisé". Il s'attendait à ce que les groupes parlementaires puissent travailler ensemble "dans le cadre d'un projet législatif", et soient traités sur un pied d'égalité.
"On est indépendants, on ne va pas devenir des supplétifs. Si on négocie, c'est d'égal à égal."
Bertrand Pancher, président du groupe Liotà franceinfo
Après une année marquée par des vote de "textes décousus et sans ambition avec des méthodes archaïques", Bertrand Pancher pense qu'il sera difficile de faire pire. "Franchement, c'est catastrophique : il est encore temps de bien faire."
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