"Il n'y a plus d'obstacles" : comment le RN se place idéalement pour 2027 après sa percée historique aux législatives
En réussissant à faire élire 89 députés, Marine Le Pen va pouvoir poursuivre sa stratégie de normalisation du parti d'extrême droite. Avec en ligne de mire la prochaine présidentielle.
Rentrée des classes historique pour le Rassemblement national. Mercredi 22 juin, 10h15, Marine Le Pen apparaît sur le parvis de l'Assemblée nationale, les bras grands ouverts en direction de ses "nouveaux champions", les 88 autres députés RN, élus au second tour des élections législatives dimanche 19 juin. Entre les embrassades et les félicitations, les superlatifs fusent. Pour Timothée Houssin, nouveau député de l'Eure, "c'est clairement un tournant dans l'histoire de notre famille politique". "Un tsunami", complète son collègue de l'Oise, Philippe Ballard, les yeux brillants.
La fin du plafond de verre ?
Jamais dans l'histoire de la Ve République, un parti d'extrême droite n'avait remporté un nombre aussi important de sièges à l'Assemblée nationale. Avec 89 parlementaires, le RN ne fait pas que dépasser son record de 35 députés Front national élus en 1986, il réalise un double coup politique inédit. Le parti se positionne dans l'Hémicycle numériquement comme la première force d'opposition à Emmanuel Macron, devant La France insoumise et ses 72 députés. "Il est clair que pour la première fois de notre histoire, la dynamique de l'élection présidentielle et nos 42% au second tour s'est cette fois-ci reportée sur les législatives", rapporte Philippe Ballard, ancien journaliste. Pour Laurent Jacobelli, nouveau député de Moselle, le plafond de verre qui empêchait le RN de confirmer ses bons scores lors de scrutins intermédiaires "a explosé en plein vol".
"Des gens de droite, des gens de gauche et des abstentionnistes ont voté pour nous."
Laurent Jacobelli, député RN de Moselleà franceinfo
Pour le sociologue Erwan Lecœur, cette percée historique du Rassemblement national lui donne une légitimité inédite pour devenir un parti d'opposition crédible et se rapprocher des portes du pouvoir. "La tripolarisation de la vie politique que nous vivons permet au Rassemblement national de prendre une place nouvelle dans le débat politique, et de s'imposer depuis l'Assemblée comme la principale force d'opposition au macronisme", analyse le spécialiste de l'extrême droite.
Le jackpot pour un parti endetté
En entrant en force à l'Assemblée nationale, le RN change de dimension. Avec seulement huit députés, dont une apparentée, lors de la précédente législature, Marine Le Pen et ses troupes avaient quasiment été inaudibles dans le débat politique national. A l'époque, le parti d'extrême droite n'avait pas pu former de groupe car il ne disposait pas des 15 élus nécessaires. D'ailleurs, la députée du Pas-de-Calais avait rarement pris la parole à la tribune, bien consciente de la faible portée de ses propos vis-à-vis du grand public.
Mais après ces cinq années en demi-teinte, les nouveaux parlementaires vont pouvoir disposer des mêmes avantages que les autres groupes politiques. Les 89 élus élus vont ainsi avoir la possibilité de recruter et de s'appuyer sur des dizaines de collaborateurs parlementaires. Des petites mains bien souvent formées dans les instituts d'études politiques du pays et qui connaissent parfaitement le sérail parlementaire. Décryptage des amendements, gestion des agendas, rédaction ses notes techniques et des prises de paroles... Le Rassemblement national pourra compter sur une précieuse matière grise qu'il ne possédait quasiment pas avant les élections législatives.
Leur temps de parole va également considérablement augmenter et le parti, endetté, devrait ainsi se renflouer. "Avec 1,64 euro par voix obtenue aux législatives et une enveloppe 37 400 euros par député pour un parti qui enregistre 24 millions d'euros de déficit, ce n'est pas rien", chiffre Erwan Lecoeur. Grâce à ses 4 millions de voix obtenues au premier tour des législatives, le RN devrait donc bénéficier 35 millions d'euros sur les cinq prochaines années, sans compter les 3,3 millions d’euros supplémentaires liés à la dotation parlementaire qui tomberont dans les caisses du RN chaque année.
Objectif : peser dans le débat public
De part sa position de première force d'opposition, le Rassemblement national peut aussi prétendre à la présidence de la puissante commission des finances avec le député Jean-Philippe Tanguy comme candidat. L'intégration des 89 députés dans chacune des commissions apportera des gages de sérieux au parti d'extrême droite. L'arrivée de ses représentants au sein d'éventuelles commissions d'enquêtes parlementaires pourra aussi permettre au RN de peser médiatiquement.
"A présent, nous avons les capacités de faire des propositions de loi sur des thématiques comme le pouvoir d'achat, la sécurité, l'immigration ou la ruralité qui nous tiennent à cœur et qui nous permettront de peser dans le débat", se projette Philippe Ballard.
A l'Assemblée nationale, nous allons démontrer notre capacité à gouverner le pays, en étant dans une opposition ferme mais responsable. Nous produirons des textes de loi et quand on s'opposera au gouvernement, nous ferons des contre-propositions"
Philippe Ballard, député RN de l'Oiseà franceinfo
Un nouveau statut avant la présidentielle de 2027 que les adversaires politiques du RN redoutent au plus haut point. Leur principale crainte : l'assimilation progressive par la société des idées d'extrême droite. "Le risque, c'est qu'ils passent d'un parti de contestation permanente à un parti de propositions et d'opposition constructive. Ils pourraient alors renvoyer une image encore davantage présidentiable", s'inquiète un député macroniste, qui préfère rester anonyme.
La dédiabolisation en très bonne voie
Du côté des Républicains, Alexandre Vincendet, député fraîchement élu dans le Rhône, affiche également ses craintes de voir le RN devenir un parti comme un autre. "Le but de l'extrême droite est de paraître le plus fréquentable possible. C'est une stratégie pour nous bouffer sur notre droite. Il faut qu'on réagisse car je ne me résous pas à voir la droite de gouvernement disparaître", lance le jeune élu.
Pour Eric Coquerel, député LFI de Seine-Saint-Denis, le fautif est avant tout Emmanuel Macron. "Ce qui est le plus inquiétant, ce sont les mains tendues par la majorité présidentielle à Marine Le Pen. Si elle assure vouloir mener une opposition constructive, c'est d'abord parce qu'elle a sans doute eu l'assurance d'un dialogue avec le chef de l'Etat", peste l'élu de gauche.
"Après qu'ils en profitent derrière pour saisir la balle au bond et faire passer leur idées d'extrême droite, c'est tout bénef' pour eux."
Eric Coquerel, député LFI de Seine-Saint-Denisà franceinfo
Autre atout pour le Rassemblement national avec ces bons scores : la possibilité d'avoir un ancrage local qui lui avait manqué lors des précédents scrutins. "Quatre-vingt-neuf députés, ça veut dire 89 circonscriptions où les gens vont voir qu'on fait du bon boulot, estime Laurent Jacobelli. Ce qui nous a manqué avant, ce n'est pas le programme ou la popularité de notre candidate, mais le réseau et notre manque d'implantation locale. Maintenant, je crois qu'il n'y a plus aucun obstacle sur la route de l'Elysée", ajoute l'ancien directeur des programmes de TV5 Monde.
Pour réussir son pari et tenter de l'emporter lors de la prochaine présidentielle dans cinq ans, Marine Le Pen aurait donc toutes les cartes en main. Selon Erwan Lecœur, "le RN n'a jamais été aussi proche d'une forme de normalisation qui lui permet de continuer sa progression. Tout est possible à présent pour lui".
"Marine Le Pen va passer 5 ans à essayer de faire un show médiatique tout tentant de normaliser son parti et ses nouveaux élus. C'est une juriste, elle va jouer sur des éléments juridiques pour montrer que son camp est maintenant composé de gens solides et sérieux."
Erwan Lecœur, sociologue spécialiste de l'extrême droiteà franceinfo
Mais à cinq ans de la présidentielle, la dédiabolisation reste un travail ardu pour le RN. "Il va falloir que le parti fasse oublier sa vision pas si ancienne et surtout pas très positive du parlementarisme", rappelle le sociologue.
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