Négociations, calendrier, contenu, référendum… On vous explique où en est le projet de loi immigration

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, à Poitiers (Vienne), le 11 septembre 2023. (JEAN-FRANCOIS FORT / HANS LUCAS / AFP)
Le texte de Gérald Darmanin doit arriver en novembre au Sénat puis en début d'année prochaine à l'Assemblée. Mais aucun accord politique n'a pour le moment été conclu pour faire passer ce texte au Parlement.

Après les retraites, c'est le texte du gouvernement qui concentre le plus de crispations et de critiques. Le projet de loi sur l'immigration, qui a pour ambition de renforcer la lutte contre l'immigration illégale mais aussi de créer un titre de séjour pour les métiers en tension, est au cœur des négociations entre le gouvernement et les parlementaires. Les discussions se sont pour l'heure concentrées entre LR et l'exécutif, mais les dirigeants de la droite ont fait de cette carte de séjour spécifique une ligne rouge, rendant, à ce stade, un accord impossible.

De peur de voir cette mesure disparaître, l'aile gauche de la majorité tente une contre-offensive avec certains représentants de la Nupes, sous la forme d'une tribune parue lundi 11 septembre dans Libération. L'aboutissement de cet emblématique projet de loi, porté par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, reste pour l'heure en suspens. Franceinfo vous donne les clés de compréhension de ce texte et de ce qui se joue en coulisses.

Quel est le calendrier ?

Maintes fois reporté depuis un an, le projet de loi immigration va revenir devant le Parlement à l'automne. L'examen d'un texte du gouvernement avait été interrompu après l'adoption de la réforme des retraites, alors qu'il avait été adopté, le 15 mars, en commission au Sénat où la droite, majoritaire, l'avait nettement durci. "La discussion est très ouverte et j'attends la fin des élections sénatoriales pour reprendre les discussions, notamment avec le groupe centriste et le groupe LR au Sénat", avait confié Gérald Darmanin, lors d'un déplacement en Guadeloupe, le 5 septembre.

Invité de France 2 le 11 septembre, le ministre de l'Intérieur a précisé que le texte serait finalement examiné à partir du 6 novembre au Sénat puis en début d'année 2024 à l'Assemblée nationale. Des discussions bien tardives par rapport au calendrier initial.

Que contient le projet de loi ?

C'est bien le texte présenté en février en Conseil des ministres qui va être discuté au Parlement, et non une autre version, comme il en avait été un temps question. La tentation de scinder le texte en deux parties pour voter un coup avec la droite et un coup avec la gauche a également été abandonnée. "Deux volets" d'un même projet de loi seront ainsi présentés au Parlement, selon Gérald Darmanin : un volet répressif pour "être dur avec les étrangers délinquants" et un "volet d'intégration" pour "les gens qui travaillent". "La ligne du gouvernement, c'est d'être dur avec les méchants et d'être gentil avec les gentils", résume souvent le locataire de Beauvau. En clair, un "en même temps" très macroniste, avec le risque, dans une situation de majorité relative, de déplaire aux deux bords de l'hémicycle.

Concrètement, le gouvernement veut créer, dans l'article 3 du projet de loi, une carte de séjour pour les "métiers en tension", d'une validité d'un an, pour les étrangers travaillant clandestinement dans des secteurs comme le BTP ou l'hôtellerie, en pénurie de main-d'œuvre. Si le projet de loi est adopté, le dispositif entrera en vigueur "à titre expérimental" jusqu'au 31 décembre 2026. Un bilan de cette mesure sera ensuite transmis au Parlement. En matière d'intégration, le gouvernement veut rehausser les prérequis demandés aux personnes qui souhaitent s'installer sur le territoire, notamment en demandant un niveau minimal de français. Il souhaite également faciliter les expulsions pour les étrangers "ne respectant pas les valeurs de la République" et mieux lutter contre les passeurs.

Où en sont les négociations avec la droite ?

Les Républicains, conscients du prix de leurs voix et soucieux de ne plus apparaître comme des supplétifs après la réforme des retraites, entendent bien imposer leurs propositions très dures. Leur ligne rouge est connue depuis longtemps : pas de régularisations, par crainte d'un "appel d'air". "Si le gouvernement nous donne un texte qui nous convient ou que l'on amende dans notre sens, on le votera, mais si le gouvernement ne supprime pas [la carte de séjour pour] les métiers en tension, alors, on votera contre. Les choses sont très claires", confiait encore récemment le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau, à franceinfo.

Plus dangereux encore pour la majorité, la droite brandit la menace d'une motion de censure si le gouvernement persistait dans cette voie. "J'ai très clairement dit et répété depuis un an à Madame Borne que nous déposerions une motion de censure sur un texte laxiste en la matière", a prévenu le chef de file des députés LR, Olivier Marleix, dans une interview au Figaro, datée du 11 septembre. "J'ai visiblement été entendu, sinon ils n’auraient pas reculé huit fois. Aujourd'hui, je le redis."

Aurélien Pradié, frondeur avec quelques autres lors de l'épisode des retraites, est aujourd'hui aligné avec son camp. Auprès du Parisien, le député du Lot appelle sa famille politique à envisager "sérieusement" une motion de censure contre le gouvernement pour défendre ses positions sur des sujets comme le budget ou l'immigration. L'intransigeance de LR sur cette dernière question laisse donc extrêmement peu de marge de manœuvre à la majorité. Interrogé par franceinfo, l'entourage de Gérald Darmanin se refuse à faire tout commentaire sur les négociations en cours.

Que se passe-t-il avec la gauche ?

Selon de récentes informations de presse, l'exécutif serait tenté de supprimer le fameux article 3 sur les métiers en tension afin d'emporter le vote des parlementaires LR. Ou bien de faire passer cette mesure par décret ou circulaire, et non plus dans le projet de loi. De quoi mettre le feu aux poudres au sein d'une partie de la majorité qui tient au volet "humanité" du texte. "Les voix que l'abandon de la mesure des métiers en tension ferait gagner chez LR généreront des pertes au sein de la majorité, que ce soit pour moi ou d'autres collègues", prévient le député Renaissance Marc Ferracci.

C'est dans ce contexte qu'a été publiée, le 12 septembre, dans Libération, une tribune cosignée par des parlementaires de gauche – hors LFI – et de l'aile gauche de la majorité. On y retrouve Fabien Roussel (PCF), Boris Vallaud (PS) mais aussi Sacha Houlié, le président (Renaissance) de la commission des lois. Ce texte, qui demande notamment la régularisation des travailleurs sans papiers dans les "secteurs en tension", est en réalité le fruit d'intenses négociations en coulisses depuis plusieurs semaines sur ce sujet. Au cœur des discussions : le dépôt d'une proposition de loi commune à la gauche et à la majorité. "Une tribune peut appeler des suites", confiait d'ailleurs récemment un élu de gauche.

Voilà qui va compliquer le travail de l'exécutif. "Le président n'est pas très content [de la tribune]. Ça va créer des tensions à l’intérieur du groupe [Renaissance]", rapportait lundi soir un proche d'Emmanuel Macron. "Cela reste une tribune qui propose de maintenir le texte tel que sorti du Conseil des ministres. Il y a pire comme disruption", relativise un parlementaire influent. Le vote de certains députés de gauche en faveur d'une hypothétique proposition de loi sur les régularisations n'entraînerait pas non plus leur vote en faveur du projet de loi du gouvernement. La perspective d'un 49.3 (qui permet de faire adopter le texte sans vote à l'Assemblée) reste donc toujours sur la table.

Pourquoi parle-t-on d'un référendum ?

Dans sa lettre aux chefs de partis après "les rencontres de Saint-Denis", Emmanuel Macron écrit qu'il fera une proposition "dans les semaines qui viennent" pour élargir le champ du référendum prévu par l'article 11 de la Constitution, une revendication en particulier de la droite et de l'extrême droite. Les Républicains et le Rassemblement national souhaitent en effet l'organisation d'un référendum sur la politique migratoire, ce que ne permet pas à l'heure actuelle la Constitution. En réponse à la lettre du président, Eric Ciotti, le patron des Républicains, demande notamment "un calendrier précis" sur le sujet.

De son côté, la gauche est sans surprise opposée à une telle proposition. "Si c'est pour débattre des heures d'un référendum sur l'immigration et assister à la lune de miel entre Macron et l'extrême droite, ça sera sans moi", a ainsi mis en garde la patronne d'EELV, Marine Tondelier. La majorité elle-même n'est pas très emballée. Le patron de Renaissance, Stéphane Séjourné, assure que "la question de l'élargissement du champ du référendum, en particulier à l'immigration", lui apparaît "délicate", avec le risque d'une "division supplémentaire de notre société". "Je ne suis pas pour qu'on fasse de l'immigration un sujet qui allume le feu, sur lequel on verse tous les jours de l'essence", a fait savoir dimanche François Bayrou, le président du MoDem, dans Le Parisien. "Un référendum serait contreproductif", a également jugé le président du Conseil économique, social et environnemental, Thierry Beaudet. L'organisation d'un tel référendum, qui nécessiterait une très hypothétique révision de la Constitution, paraît bien lointaine.

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