Projet de loi immigration : le camp présidentiel peine toujours à trouver des alliés au Parlement
"Il y aura, avant la fin de la session parlementaire, un texte immigration voté." En déplacement en Guadeloupe, mardi 5 septembre, Gérald Darmanin s'est engagé à ce que le projet de loi immigration voie bien le jour. Une promesse qui, pour le moment, ne trouve pas de traduction concrète puisque le camp présidentiel n'a conclu aucun accord avec les oppositions. Or, le gouvernement n'a pas le choix, compte tenu de la majorité relative dont il dispose.
Plusieurs fois repoussé, notamment à cause de la réforme des retraites, le texte du ministre de l'Intérieur devrait revenir en novembre au Sénat, où une première mouture du texte avait commencé à être examinée en mars, sans que le titre de séjour pour les métiers en tension, mesure phare de la réforme, n'ait été débattu.
C'est précisément sur ce point qu'une ligne rouge a été érigée par les caciques des Républicains, alors que la majorité espère toujours conclure un accord avec la droite. La Première ministre elle-même s'est dite prête, le 14 juin dans Le Figaro, à discuter des "modalités" d'un titre de séjour pour les travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension. Mais selon de récentes informations de presse relayées par le Canard enchaîné et Les Echos, l'exécutif pourrait être tenté de supprimer cette mesure afin d'emporter le vote des parlementaires LR. Ou bien de la faire passer par décret ou circulaire, et non plus directement dans le projet de loi.
LR, un groupe pivot mais "pas fiable"
Autre signe envoyé à l'attention des élus de droite : Bruno Le Maire a insisté mardi, toujours dans Le Figaro, sur le volet "fermeté" du texte, qui prévoit notamment de renforcer la lutte contre l'immigration illégale. "Nos compatriotes attendent avant tout de la fermeté sur la régulation des flux migratoires et sur l'exécution des obligations de quitter le territoire français", a déclaré le ministre de l'Economie.
Il n'en fallait pas plus pour enflammer l'aile gauche de la majorité présidentielle, qui tient au volet "humanité" du projet de loi, et notamment à la mesure sur les métiers en tension. "C'est un aspect du texte qui, pour moi et pour d'autres dans la majorité, est extrêmement important, mais surtout important pour les Français (...) Et je ne suis pas de celles qui perdent mes valeurs ou qui les sacrifient au profit d'un vote sur un texte", a ainsi martelé Yaël Braun-Pivet, la présidente de l'Assemblée nationale, sur LCI dimanche.
"L'abandon de cette mesure [sur les] métiers en tension constituerait un signal inquiétant, nous interrogeant quant à l'intérêt même de ce projet de loi", a par ailleurs écrit, mardi dans un communiqué, un collectif regroupant des députés de l'aile gauche de la majorité mais aussi des députés du groupe Liot. "Les voix que l'abandon de la mesure des métiers en tension ferait gagner chez LR généreront des pertes au sein de la majorité, que ce soit pour moi ou d'autres collègues", prévient aussi le député Renaissance Marc Ferracci.
"Si on vidait de sa substance la mesure sur les métiers en tension, je ne voterai pas le texte."
Marc Ferracci, député Renaissanceà franceinfo
Ce proche du chef de l'Etat souligne qu'un deal avec LR pourrait s'avérer bien fragile : "Il est douteux que l'on ait toutes les voix de LR, on a payé pour voir avec la réforme des retraites." Même analyse du côté du député Renaissance Benoît Bordat : "On court après les députés LR mais ils ne sont pas fiables. Ils sont désunis, c'est l'armée mexicaine."
Retour à la case départ
"Le sujet métiers en tension crée quelques débats dans la majorité et le gouvernement", euphémise Ludovic Mendes, autre député macroniste. "Il faut consolider la majorité avant de compter les oppositions alliées", plaide une cadre du parti présidentiel. Le MoDem n'a d'ailleurs pas encore pris de position officielle sur le sujet, le président du groupe, Jean-Paul Mattei, attendant une rencontre de ses députés la semaine prochaine avec Gérald Darmanin pour "dégager une position", fait savoir son entourage.
A la sortie d'une réunion avec Matignon mercredi, le président Renaissance de la commission des lois, Sacha Houlié, lui aussi issu de l'aile gauche, a finalement assuré que la mesure des métiers en tension serait bien conservée dans le texte. "J'ai aujourd'hui des engagements matignonnesques et élyséens qui me disent que la mesure sera dans le texte", a-t-il assuré à l'AFP. Les services de la Première ministre se contentent pour leur part d'évoquer un texte "équilibré et le plus efficace possible".
Retour donc à la case départ. Avec cette équation insoluble pour l'exécutif : comment faire adopter ce texte par un vote au Parlement ? "Il faut aller vers plus d'ambition sur les deux volets, en prenant des amendements de LR sur le régalien et de la gauche sur l'autre volet. A ce moment-là, peut-être que l'on a une chance", avance Marc Ferracci.
L'improbable appui de la gauche
Regarder vers la gauche, c'est bien ce que plusieurs parlementaires de la majorité font depuis plusieurs mois en se réunissant avec des représentants de la Nupes. Initiées par deux figures de la société civile (Pascal Brice, ex-directeur de l'Ofpra, et Marilyne Poulain, ex-référente de la CGT sur le sujet des travailleurs migrants), ces rencontres se sont déroulées en toute discrétion au sous-sol d'une brasserie près de l'Assemblée nationale.
L'idée d'une proposition de loi commune était dans les tuyaux. Mais à en croire Le Parisien, c'est finalement l'idée d'une simple tribune dans la presse en faveur de la mesure pour les métiers en tension qui pourrait voir le jour. Sans la signature de La France insoumise. "C'est une fausse bonne idée. La régularisation des métiers sous tension est un risque de faire des travailleurs étrangers jetables", explique le député LFI Andy Kerbrat, l'un des chefs de file de son groupe sur l'immigration.
"Vu le reste du projet de loi pour le moment, nous y sommes forcément opposés."
Andy Kerbrat, député LFIà franceinfo
La piste d'une solution à gauche paraît donc également bien fragile. "On savait que ça serait difficile", reconnaît Ludovic Mendes. Sylvain Maillard, président du groupe Renaissance, en est réduit à interpeller les deux bords de l'hémicycle : "Les LR ont-ils envie d'améliorer l'exécution des OQTF ? La gauche a-t-elle envie de faciliter l'obtention de papiers pour les travailleurs de métiers sous tension ?" Le doute s'immisce aussi chez certains parlementaires qui s'interrogent sur l'aboutissement du texte. "J'ai l'impression que beaucoup de gens dans la majorité comme l'opposition ont intérêt à ne pas aider Gérald Darmanin à aboutir", glisse un député Renaissance.
Et c'est donc comme un parfum de 49.3 qui revient flotter dans l'air. "Tout est sur la table, il ne faut rien s'interdire, y compris le 49.3. Mais j'aimerais que ce texte passe et que chacun prenne ses responsabilités", assure Ludovic Mendes. D'autres, comme Benoît Bordat, mettent en garde : "Si on s'amuse à faire un 49.3, on va vers une situation explosive."
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