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Projet de loi immigration : division, saucissonnage, report… Retour en cinq actes sur les revirements du gouvernement

Elisabeth Borne a renvoyé "à l'automne" l'examen de ce texte controversé, lors de la présentation, mercredi, de sa feuille de route pour les "100 jours d'apaisement" décrétés par Emmanuel Macron. Un ultime changement de stratégie pour l'exécutif, qui s'est interrogé plusieurs fois sur l'avenir de ce texte.
Article rédigé par Lola Scandella
France Télévisions
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Elisabeth Borne, le 26 avril 2023 à Paris, après son discours de présentation de la feuille de route du gouvernement pour les "100 jours d'apaisement" promis par Emmanuel Macon. (BERTRAND GUAY / AFP)

Des revirements en cascade. Le gouvernement n'en finit pas de changer d'avis sur le devenir de son projet de loi sur l'immigration. Mercredi 26 avril, la Première ministre, Elisabeth Borne, a annoncé un nouveau report de ce texte, faute de majorité pour pouvoir le voter. Une décision qui intervient après un premier ajournement en mars, sur fond de contestation de la réforme des retraites. Le texte suscite la controverse depuis sa présentation en Conseil des ministres au mois de février. En cinq actes, franceinfo vous résume le parcours chaotique de ce projet de loi.  

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1 Un texte qui divise dès sa présentation

Le projet de loi pour "pour contrôler l'immigration" et "améliorer l'intégration", présenté officiellement le 1er février 2023 en Conseil des ministres, se veut une proposition qui mêle "fermeté" et "humanité". Deux volets qui doivent permettre de tendre la main à la droite et à la gauche. Le texte prévoit, entre autres, de créer un titre de séjour pour les étrangers exerçant des "métiers en tension", de faciliter les expulsions et de réduire certains délais dans les procédures administratives liées à l'asile.

Mais le texte ne met personne d'accord. La gauche et de nombreuses associations le jugent trop dur et s'inquiètent d'une "détérioration continue des droits"  des personnes exilées. La droite, notamment les membres du parti Les Républicains (LR), dont les voix sont indispensables pour une adoption du texte, s'oppose à la création du titre de séjour "métiers en tension", estimant qu'il pourrait provoquer un "appel d'air".

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Mi-mars, lors du premier passage du texte en commission au Sénat, dominé par la droite, les divisions s'étalent au grand jour. Sur deux articles du projet de loi, dont celui portant sur les "métiers en tension", les deux rapporteurs, Philippe Bonnecarrère (centriste) et Muriel Jourda (LR) ne parviennent pas à se mettre d'accord. "Nous n'avons pas trouvé de position commune à ce stade" déclare Muriel Jourda, le 15 mars, devant la commission des lois du Sénat.  

2 Sur fond de contestation sociale, l'examen du texte est reporté

Le 22 mars, une semaine après l'utilisation du 49.3 pour faire adopter la réforme des retraites et au pic de la contestation sociale, Emmanuel Macron annonce lors d'un entretien télévisé le découpage du projet de loi en "textes plus courts". Objectif : ne garder que les aspects les plus consensuels, pour faciliter les alliances vote par vote. L'examen en séance au Sénat, initialement prévu à partir du 28 mars, est renvoyé aux "prochaines semaines"

Mais la droite, première alliée potentielle du gouvernement sur ce sujet, ne l'entend pas de cette oreille. "Pas question" que le texte soit "saucissonné", tonne le président du Sénat, Gérard Larcher. La séquence est "un aveu de faiblesse" du gouvernement, commente auprès de franceinfo le député LR Yannick Neuder, qui juge ce texte "tiède et sans cap clair". "Je pense que cela révèle une forme d'impuissance" de l'exécutif, observe de son côté le député Europe Ecologie-Les Verts (EELV) Aurélien Taché, qui souligne "une absence de vision et de colonne vertébrale sur ces sujets dans la macronie".

3 Le projet de loi est remis à l'ordre du jour mi-avril

Rebondissement : lors d'une allocution télévisée le 17 avril, dans laquelle il se donne "100 jours" pour relancer son quinquennat, Emmanuel Macron promet finalement de "renforcer le contrôle de l'immigration illégale". Le lendemain, Gérald Darmanin fait part sur la chaîne LCI de sa volonté de reprendre l'examen du projet de loi, affirmant être "sûr" de pouvoir "s'entendre avec LR".  

Le texte, qui semblait renvoyé aux calendes grecques, fait son retour en grâce. Le ministre est parvenu à avancer ses pions et ne cache plus ses ambitions politiques. "Gérald Darmanin conquiert chaque jour un peu plus d'espace politique, cet épisode en est une illustration forte", déplore le député écologiste Aurélien Taché. 

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D'ailleurs, l'exécutif durcit le ton. "Nos compatriotes en ont ras le bol de la fraude (...) ils n'ont aucune envie de voir que des personnes peuvent bénéficier d'aides, les renvoyer au Maghreb ou ailleurs", assène le ministre de l'Economie Bruno Le Maire sur BFMTV, le 18 avril. Une stratégie de la stigmatisation qui provoque l'ire de la gauche, tandis que la droite estime, au contraire, que le gouvernement ne va pas assez loin. "Si le ministre de l'Intérieur s'aligne sur nous, on en discutera, mais on ne se contentera pas d'eau tiède", prévenait le président des Républicains Eric Ciotti dès le 18 mars. "Nous voulons un changement de paradigme", fait valoir Yannick Neuder, plaidant notamment pour "l'instauration de quotas" et des mesures de "durcissement du droit d'asile".

4 Emmanuel Macron tranche officiellement pour une loi en un seul texte

Le 23 avril, retour à la case départ. Dans les colonnes du Parisien (article abonnés), Emmanuel Macron fait finalement part de sa volonté que le projet de loi soit présenté aux parlementaires en un seul texte. C'est aussi l'annonce d'un nouveau casse-tête politique pour le gouvernement, toujours contraint de trouver des alliances pour une adoption au Parlement. "La Première ministre est en train de regarder avec les différents partis, je ne sais pas vous dire quel sera le chemin", évacue alors le chef de l'Etat dans Le Parisien.

La partie s'annonce ardue, les oppositions étant toujours très divisées, y compris au sein du parti LR. "Je vais attendre de voir le contenu exact du texte, même si je pars plutôt avec un bon sentiment à son sujet", confie à franceinfo un député LR interrogé sur la possibilité d'un accord avec le gouvernement. "Nous n'avons plus confiance", tacle de son côté Yannick Neuder, qui plaide pour des mesures plus sévères. Autre complication pour le gouvernement : les députés LR prévoient de déposer leur propre proposition de loi sur l'immigration avant l'été. A gauche, les parlementaires sont toujours en désaccord frontal avec le texte.

Comme lors des débats sur la réforme des retraites, le risque d'un blocage politique n'est pas loin. "Est-ce que le gouvernement se retrouvera dans l'obligation de dégainer le dernier 49.3 qui lui reste ? Alors même qu'Elisabeth Borne a fait part de sa volonté de ne plus l'utiliser ?", interroge la sénatrice communiste Eliane Assassi, décrivant un gouvernement "en pleine cacophonie".

5 L'examen au Parlement est reporté une nouvelle fois 

Ultime changement de stratégie et nouveau rétropédalage, mercredi 26 avril. Lors de la présentation de la feuille de route du gouvernement pour les "100 jours d'apaisement" voulus par Emmanuel Macron, Elisabeth Borne repousse l'examen du projet de loi "à l'automne". "Aujourd'hui, il n'existe pas de majorité pour voter un tel texte, comme j'ai pu le vérifier hier en m'entretenant avec les responsables des Républicains", a-t-elle reconnu, arguant que les députés et les sénateurs LR n'ont pas encore trouvé "de position commune" sur le sujet. La Première ministre estime par ailleurs que "ce n'est pas le moment de lancer un débat sur un sujet qui pourrait diviser le pays".

"Nous allons continuer les échanges pour trouver un chemin autour du projet de loi", a poursuivi Elisabeth Borne. Si "aucun accord" n'était trouvé, un texte serait néanmoins "présenté à l'automne", a-t-elle précisé, sans donner davantage de détails.

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