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Accusations de viols contre Damien Abad : quatre questions sur l'Observatoire des violences sexuelles qui a contribué à révéler l'affaire

L’Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique, saisi par une des deux femmes qui accusent le ministre des Solidarités du gouvernement d'Elisabeth Borne, avait transmis son témoignage à LR et LREM.

Article rédigé par franceinfo
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Le ministre des Solidarités Damien Abad lors d'un déplacement à Saint-Jean-le-Vieux (Ain), où il est candidat aux élections législatives, le 22 mai 2022. (MAXPPP)

L'affaire éclipse l'entrée en fonction du nouveau gouvernement. Damien Abad, transfuge des Républicains et nouveau ministre des Solidarités, est accusé de viols par deux femmes. C'est un article de Mediapart (réservé aux abonnés) qui a porté ces témoignages à la connaissance du grand public, le 21 mai. Mais il découle du signalement adressé par une des deux femmes à l'Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique, qui l'a transmis à des responsables de LR et de LREM.

Cette révélation met en lumière cette association, qui n'avait encore jamais contribué à faire émerger des témoignages mais a pris position contre de nombreuses autres nominations ou investitures. Elle organise une manifestation contre ce qu'elle qualifie de "gouvernement de la honte", mardi 24 mai, à 18 heures, à Paris. Franceinfo vous explique comment elle fonctionne.

1En quoi consiste l'Observatoire ? 

Il ne s'agit pas d'un organisme officiel, mais d'une association créée en février 2022. Selon ses statuts, elle se donne pour objet de "soutenir et faciliter les actions visant à promouvoir la place des femmes dans la vie publique et lutter contre les violences sexistes et sexuelles". Son nom est complété du mot-clé #MeTooPolitique. Sa création avait pour but "d'inscrire dans la durée" ce mouvement, né d'une tribune publiée dans Le Monde en novembre 2021, explique une de ses cofondatrices, Mathilde Viot, à Ouest-France. Dans ce texte, 285 femmes engagées en politique appelaient le "monde politique" à "assumer ses responsabilités et écarter les auteurs de violences sexuelles et sexistes de ses rangs".

Pour l'Observatoire, les personnalités accusées de ce type de faits ne devraient pas pouvoir accéder aux responsabilités publiques, même si elles n'ont pas été condamnées. "Dans une entreprise, on peut être mis à pied avec ou sans solde le temps de l'enquête. Ça devrait être la même chose en politique", plaidait Mathilde Viot dans une interview à l'AFP. En février, dans un questionnaire, l'association demandait aux candidats à la présidentielle de s'engager à appliquer ce principe dans leurs futures nominations de ministres et investitures aux législatives. Depuis, son activité a consisté principalement à dénoncer les candidatures de plusieurs hommes briguant un mandat après avoir été mis en cause publiquement et, parfois, condamnés.

L'Observatoire a également reçu plusieurs témoignages mettant en cause des responsables politiques, de femmes s'étant "spontanément tournées" vers l'association en l'absence de "structure dédiée au recueil des paroles en politique", affirme Fiona Texeire, une autre de ses cofondatrices, à Ouest-FranceUn rôle qui n'est pas sa "vocation première", ajoute Mathilde Viot dans l'article du quotidien régional. Les militantes plaident pour qu'une structure étatique remplisse cette mission, suggérant de la confier à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, instance indépendante qui contrôle notamment les déclarations d'intérêts des ministres et des élus. "Nous sommes une association, bénévole, sans moyens. On ne fait peut-être pas tout parfaitement, mais pendant ce temps-là, l'Etat ne fait rien", ont-elles écrit dans une série de messages mardi sur Twitter.

2Qui sont ses fondatrices ? 

L'Observatoire a été cofondé par cinq femmes, dont quatre sont engagées en politique, toutes à gauche. La plus connue est Alice Coffin, militante féministe et LGBT et élue EELV au Conseil de Paris, où elle s'était mobilisée pour la démission de Christophe Girard en 2020.

Madeline Da Silva, membre du collectif féministe #NousToutes, est adjointe du maire socialiste des Lilas (Seine-Saint-Denis). Mathilde Viot, qui travaille pour les députés LFI Danièle Obono et François Ruffin, avait cofondé en 2016 une association pour dénoncer le sexisme à l'Assemblée et au Sénat, Chair collaboratrice. Elle aussi collaboratrice d'élus, Fiona Texeire a notamment exercé au Sénat et au cabinet de l'ex-Premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve. Elle coanime un podcast féministe avec la cinquième membre du groupe, la journaliste Hélène Goutany.

Avant de créer cette association, elles avaient coécrit la tribune publiée en novembre 2021. Mardi, sur Twitter, elles se sont défendues d'être "une officine d'extrême gauche", jugeant "logique" que le sujet soit porté par des femmes elles-mêmes investies en politique.

3Quel est son rôle dans l'affaire Abad ?

C'est cette association qui a reçu par courrier le témoignage de la deuxième femme qui accuse Damien Abad, le 13 mai, selon Mediapart (la première avait porté plainte en 2012 puis 2017). Elle affirme avoir retrouvé le ministre dans un bar, en 2010, et avoir subi un "black out" après une unique coupe de champagne. Elle explique s'être réveillée le lendemain matin dans une chambre d'hôtel, au côté de Damien Abad et "en sous-vêtements", alors qu'elle lui avait expliqué ne pas vouloir "sortir avec lui".

L'Observatoire dit avoir transmis ce courrier à plusieurs responsables de LR, le parti de Damien Abad, et LREM, qu'il s'apprêtait à rejoindre, le 16 mai, puis à nouveau le 19 mai, date à laquelle l'ancien patron des députés LR a annoncé quitter son parti, avant d'être nommé au gouvernement le lendemain.

Franceinfo a pu consulter le second mail envoyé aux responsables de Renaissance, le nouveau nom de LREM. "Nous avons reçu il y a quelques jours le courrier joint, qui fait mention d'accusations de viols contre Damien Abad, face auquel votre mouvement a décidé de ne pas présenter de candidat et que vous semblez ainsi adouber", écrit l'Observatoire (le gouvernement n'avait pas encore été nommé). "La gravité des faits qui y sont mentionnés rend impératif qu'il soit porté à votre connaissance."

Le destinataire qui a transmis ce mail à franceinfo assure ne pas avoir retrouvé de trace du premier message que l'Observatoire dit avoir envoyé le 16 mai. Plusieurs destinataires ont déclaré n'avoir reçu aucun des deux messages, ou les avoir découverts après la nomination de Damien Abad au gouvernement. "On a essayé de les joindre par tous les moyens", via les adresses e-mail disponibles publiquement, a justifié Mathilde Viot dans une interview à Libération (réservé aux abonnés), mardi. "Notre objectif n'était pas de les piéger en leur faisant louper notre message. Notre objectif était que Damien Abad ne soit pas ministre."

L'Observatoire assure avoir également transmis le signalement, le 20 mai, au parquet de Paris, qui a confirmé l'avoir reçu. Le témoignage était encore en cours d'examen mardi matin.

4De quelles autres affaires l'Observatoire s'est-il saisi ?

Si Fiona Texeire affirme à Ouest-France que l'association a reçu d'autres témoignages, "de gravités (...) et de temporalités différentes", c'est la première fois qu'elle contribue à la révélation d'accusations.

Sur Twitter, l'Observatoire a pris position contre plusieurs candidatures aux législatives, dont celle d'Eric Zemmour, le fondateur de Reconquête !, accusé de violences sexuelles par huit femmes. Mais aussi contre la possible investiture par LREM de plusieurs députés sortants ou personnalités accusés ou condamnés. Parmi eux, Jérôme Peyrat, investi par LREM en Gironde et condamné pour des violences contre son ex-compagne, qui s'est finalement retiré le 18 mai. Un seul des candidats pointés du doigt a été investi par le parti : Yves Blein, député sortant du Rhône, visé par une enquête préliminaire pour harcèlement sexuel et qui rejette cette accusation.

Les militantes protestent aussi contre la nomination au gouvernement de Stanislas Guerini et les reconductions de Gérald Darmanin et Eric Dupond-Moretti. C'est contre ce casting qu'elles avaient appelé à manifester mardi, avant que l'affaire Damien Abad n'éclate. Elles reprochent à Stanislas Guerini son soutien à Jérôme Peyrat, avant qu'il ne lui demande finalement de se retirer. Quant à Gérald Darmanin, sa nomination est critiquée en raison des accusations de viol portées contre le ministre, au sujet desquelles le parquet a requis un non-lieu. L'arrivée d'Eric Dupond-Moretti au ministère de la Justice en 2020 avait été contestée par des organisations et des militantes féministes, dont une des fondatrices de l'Observatoire, en raison de déclarations passées.

Lundi, l'association a également interpellé La France insoumise sur Twitter au sujet d'un article publié par le magazine Causette en 2018. Deux militantes du parti y accusent un homme, aujourd'hui député, d'agressions sexuelles. "Est-ce que ce député mis en cause pour agression sexuelle a été réinvesti ?" interroge le message de l'Observatoire (tous les hommes députés sortants du parti se représentent, à l'exception de Jean-Luc Mélenchon). Interrogée par Le Parisien, Mathilde Viot a justifié le fait que l'Observatoire ne se soit pas positionné au sujet de l'ex-candidat LFI Taha Bouhafs par une question de timing : "Lorsque Taha Bouhafs se retire, Mediapart n'a pas encore sorti son article révélant ces accusations. S'il était resté candidat, nous l'aurions dénoncé avec autant de force."

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