Après six mois de guerre à Gaza, le Premier ministre Benyamin Nétanyahou est critiqué de toutes parts en Israël
L'étau se resserre autour de Benyamin Nétanyahou. Six mois après le début de la guerre à Gaza, le Premier ministre israélien se retrouve sous le feu des critiques dans son pays. Mercredi 3 avril, Benny Gantz, ancien ministre de la Défense et membre du cabinet de guerre formé après l'attaque du Hamas, a appelé à des élections législatives anticipées dans l'espoir de le remplacer. Cette déclaration s'inscrit dans le sillage des nombreuses critiques adressées au chef du gouvernement.
Ces derniers jours, des milliers de personnes ont manifesté, notamment à Tel-Aviv et Jérusalem, pour appeler à sa démission. Parmi elles, des familles d'otages du Hamas, qui lui reprochent de ne pas avoir réussi à libérer leurs proches. Selon un sondage de l'Institut israélien pour la démocratie mené en janvier, seuls 15% des Israéliens souhaitent que Benyamin Nétanyahou reste en poste après la guerre à Gaza, cite le Times of Israel. Même au sein de son gouvernement, des voix dénoncent sa stratégie militaire, alors que plus de 33 000 Palestiniens sont morts selon le ministère de la Santé du Hamas, et qu'une frappe israélienne a tué sept humanitaires le 3 avril, provoquant une vague d'indignation à travers le monde.
L'exaspération des familles des otages
"Mon oncle a été assassiné le 7 octobre. Mon grand-père a été kidnappé. Et ce gouvernement est responsable ! En six mois, ils n'ont rien fait !", a déploré auprès de franceinfo Maï Albini Peri, lors d'une manifestation à Jérusalem le 31 mars contre le gouvernement. Selon les autorités israéliennes, sur les 250 personnes kidnappées le 7 octobre, 130 sont toujours officiellement considérées comme captives. Toutefois, 34 d'entre elles seraient mortes. Or, Benyamin Nétanyahou n'a cessé de répéter que la libération des otages était une de ses priorités. "Nous nous en occupons jour et nuit", a-t-il assuré en janvier.
Mais après plus de cent quatre-vingts jours de guerre, des familles déplorent n'avoir reçu aucune information sur leurs proches prisonniers. Certaines ont déclaré que le gouvernement avait même refusé de les recevoir. La colère est montée d'un cran en décembre, quand l'armée israélienne a admis avoir accidentellement tué trois otages. "Les familles ont atteint un point de rupture avec Nétanyahou", a dépeint auprès du Washington Post Josh Drill, responsable du mouvement Change Generation, qui se bat pour la libération des otages.
Pourtant, au début de la guerre, "les Israéliens en général soutenaient les objectifs de guerre du gouvernement", rappelle auprès de franceinfo Nimrod Goren, chercheur chargé des affaires israéliennes au Middle East Institute. Mais ils constatent désormais que "les négociations pour la libération des otages n'avancent pas comme ils l'espéraient". Régulièrement, les médias israéliens diffusent des témoignages d'otages libérés, de femmes qui racontent des violences sexuelles subies en captivité… Et "les familles ressentent encore plus l'urgence d'agir", poursuit Nimrod Goren. Benyamin Nétanyahou est d'autant plus critiqué qu'après les attaques du Hamas, il avait déjà été accusé d'avoir ignoré les avertissements sur un assaut d'ampleur du mouvement islamiste.
Une stratégie militaire critiquée
Au sein de sa garde rapprochée, "Bibi" est encore contesté de façon inédite. Le 16 janvier, l'ancien ministre de la Défense Benny Gantz lui a adressé une liste de 12 mesures à prendre dans le conflit à Gaza, souligne le Times of Israel. Parmi elles, une réévaluation de ses objectifs de guerre. Deux jours plus tard, Gadi Eizenkot, ancien général, également membre du cabinet de guerre, a exposé pour la première fois ses divergences avec le Premier ministre sur la populaire chaîne de télévision Canal 12. Le militaire, qui a perdu son fils et un neveu dans les combats à Gaza en décembre, est particulièrement respecté en Israël. Il est à l'origine de la doctrine Dahiya, qui préconise l'usage disproportionné de la force dans les zones civiles où sont implantés des mouvements ennemis d'Israël.
"Parler de défaite absolue [du Hamas à Gaza] est mensonger. Aujourd'hui, la vérité, c'est que les objectifs de guerre ne sont pas atteints dans la bande de Gaza", a-t-il taclé, après que Benyamin Nétanyahou a déclaré qu'il visait une "victoire totale" d'Israël contre le Hamas. "Pour être un bon dirigeant, il faut dire la vérité à la population", a-t-il poursuivi.
"Il faut le dire avec courage : il n'est pas possible de restituer les otages vivants à court terme sans un accord [avec le Hamas]."
Gadi Eizenkot, ancien général et ministre du cabinet de guerresur la chaîne israélienne Canal 12
Gadi Eizenkot a aussi raconté avoir empêché le gouvernement de commettre une "grave erreur stratégique". Selon lui, Israël avait décidé d'attaquer le Hezbollah libanais cinq jours après l'attaque du Hamas, mais il aurait convaincu ses collègues d'attendre. "Si la décision d'attaquer le Liban avait été prise, nous aurions exaucé les vœux de Sinouar [Yahya, le chef du Hamas à Gaza] de déclencher une guerre régionale".
Impensables au début de la guerre, ces critiques révèlent une "inimitié entre l'armée et le Premier ministre (…) sans précédent dans l'histoire israélienne", écrit l'analyste américano-israélienne Mairav Zonszein, membre de l'International Crisis Group, une ONG spécialisée dans la résolution des conflits. Selon la spécialiste, les militaires tiennent Benyamin Nétanyahou responsable d'une mauvaise préparation de l'armée à la guerre en raison de la crise liée à la réforme judiciaire de 2023. Ils l'accusent de "manœuvrer pour éviter toute responsabilité personnelle dans une future enquête étatique." Un audit de l'armée et du gouvernement est en effet sur la table pour évaluer les éventuels manquements ayant pu conduire à l'attaque du 7 octobre.
Colère autour de l'exemption militaire accordée aux ultraorthodoxes
En dehors des combats, différents cycles de pourparlers se sont tenus entre le Hamas et Israël pour libérer les otages et organiser une trêve. Une seule session a abouti, en novembre, à un arrêt du conflit pendant quatre jours. Lors des dernières négociations engagées avec le Qatar, les États-Unis et l'Égypte, le chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, a accusé Israël de tergiverser. De son côté, Benyamin Nétanyahou rejette la faute sur le mouvement palestinien, qui aurait "durci" sa position. Le Hamas refuse de libérer les otages tant qu'Israël ne se retire pas totalement de la bande de Gaza.
Au sein du cabinet de guerre, certains accusent le chef du gouvernement de ne pas lâcher de lest pour satisfaire ses ministres d'extrême droite, avec lesquels il a formé une coalition, et qui rejettent toute idée de cessez-le-feu. Ces formations au pouvoir, cristallisent également la colère des manifestants, car elles défendent l'exemption militaire accordée aux ultraorthodoxes. En 2022, ces derniers représentaient environ 13% de la population juive d'Israël, soit environ 1,28 million de personnes, selon l'Institut israélien de la démocratie (document PDF).
Le service militaire est obligatoire dans l'Etat hébreu, mais les ultraorthodoxes peuvent y échapper et recevoir des subventions s'ils étudient les textes sacrés du judaïsme. Or, la guerre dure et l'armée a besoin de renforts. Le 4 avril, elle a annoncé la suspension temporaire des permissions des "unités combattantes" et a appelé de nouveaux réservistes pour ses troupes aériennes, de renseignement et de défense civile.
Le 28 mars, la Cour suprême a mis fin à cette exception, mais son application est encore suspendue à un plan que doit présenter le gouvernement. "Ce sujet peut faire éclater la coalition", soutient Nimrod Goren. "Si le gouvernement ne parvient pas à trouver un accord, cela pourrait être une raison de démission pour certains partis", et à la tenue d'élections anticipées, ajoute le chercheur. Selon une enquête du journal israélien Maariv publiée en décembre 2023, si des législatives avaient lieu, Benny Gantz arriverait largement en tête (49%) face à Benyamin Nétanyahou (32%). Au Parlement, cela signifierait que l'opposition obtiendrait 71 sièges, tandis que la coalition du Premier ministre ne disposerait que de 44 sièges, contre 64 actuellement.
Des divisions anciennes qui refont surface
Les critiques contre Benyamin Nétanyahou sont loin d'être nouvelles. Elles étaient déjà nombreuses avant la guerre, notamment en raison de la réforme judiciaire. "La guerre a paralysé les oppositions. Mais cette colère n'avait pas disparu, elle s'était juste dissipée", résume auprès de franceinfo Denis Charbit, professeur de science politique à l'Université ouverte d'Israël.
Et bien que fragilisé, Benyamin Nétanyahou n'a pas dit son dernier mot. Au cours de ses trente ans de carrière politique, dont une quinzaine à la tête du gouvernement, il "a déjà été considéré comme un homme politiquement mort à de nombreuses reprises, et il a su rebondir", rappelle auprès de l'AFP Emmanuel Navon, professeur à l'université de Tel-Aviv. Il peut ainsi compter sur un soutien sans faille de son parti, le Likoud, qu'il a su transformer en "une entreprise familiale, où il n'y a pas de dissidence", dit-il.
Face à la contestation, le Premier ministre reste inflexible, car il "veut sortir grand vainqueur de la guerre", reprend Denis Charbit. Il estime qu'arrêter les combats maintenant constituerait un échec, à la fois pour lui et pour Israël. "On dirait : à quoi ça a servi ? Gaza a été rasée, mais elle sera reconstruite, et le Hamas sera toujours là", illustre le professeur.
"En général, on arrête une guerre si on croit qu'on est gagnant, pas quand on pense l'avoir perdue."
Denis Charbit, professeur de science politique à l'université libre d'Israëlà franceinfo
A ce jour, les Etats-Unis, principal allié militaire d'Israël, semblent les seuls capables d'infléchir la position du Premier ministre. Le 4 avril, pour la première fois, la Maison Blanche a lié son soutien à l'Etat hébreu à une action "immédiate" dans la bande de Gaza. Quelques heures plus tard, l'exécutif israélien annonçait l'intensification du transport de l'aide humanitaire via le port d'Ashdod et le point de passage d'Erez.
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