Israël : pourquoi le texte de réforme de la justice adopté par la Knesset suscite l'inquiétude
Huit mois que les Israéliens expriment leur colère pour contester une réforme de la justice voulue par le Premier ministre Benyamin Nétanyahou. Mais la rue n'aura finalement pas été entendue. La Knesset, le Parlement du pays, a approuvé lundi 24 juillet une mesure phare qui empêche les juges d'annuler les décisions du gouvernement qu'elle jugerait "déraisonnables".
Elle a été approuvée par les 64 élus (sur 120 sièges au total) de la coalition de Benyamin Nétanyahou, qui a tenu à être présent malgré sa récente hospitalisation pour la pose d'un simulateur cardiaque. En face, les élus de l'opposition ont choisi de boycotter le vote. Il s'agit là de la première composante majeure de la réforme judiciaire, annoncée par le gouvernement le 4 janvier, à devenir une loi. Franceinfo vous explique pourquoi cette mesure suscite un tollé en Israël.
Une Cour suprême fragilisée
Le texte, adopté lundi en deuxième et troisième lecture, porte sur la "clause de raisonnabilité". Jusqu'alors, la Cour suprême pouvait annuler des décisions du gouvernement jugées irraisonnables. Mais les pourfendeurs de la Cour suprême estimaient qu'elle interprétait de façon erronée les lois fondamentales d'Israël, qui font office de Constitution, et qu'en invalidant des lois, elle abusait de ses pouvoirs.
Avec cette réforme, une clause empêche désormais la justice d'invalider une décision gouvernementale en jugeant de son "caractère raisonnable". En clair, le pouvoir judiciaire s'affaiblit face au pouvoir exécutif.
Pour comprendre l'impact d'une telle mesure, il suffit de se pencher sur un exemple récent de l'actualité d'Israël. En janvier, la Cour suprême avait invalidé la nomination d'Arié Dery, reconnu coupable de fraude fiscale, comme ministre de l'Intérieur et de la Santé. Elle avait jugé irraisonnable qu'il siège au gouvernement. Benyamin Nétanyahou, en colère contre les juges, avait été contraint de le démettre de ses fonctions.
La crainte d'une dérive antidémocratique
Quelques heures avant le vote, des centaines de manifestants, croyant encore à un revirement de situation, ont bloqué l'entrée du Parlement malgré les canons à eau de la police. Selon Haaretz, un quotidien de gauche israélien, la mobilisation s'est poursuivie une fois le texte adopté, avec des milliers de manifestants à divers endroits de Jérusalem. Parmi eux, un ancien procureur a pris la parole et accusé le Premier Ministre de "mener une lutte féroce et nuisible contre l'Etat qui l'a mis en procès, l'affaire Nétanyahou contre l'Etat d'Israël", relate Haaretz.
Alors que le gouvernement estime que cette réforme est nécessaire pour assurer un meilleur équilibre des pouvoirs, ses détracteurs y voient une menace pour la démocratie. La contestation populaire rassemble chaque semaine depuis janvier des dizaines de milliers de manifestants. Avec une situation inédite : même l'armée, habituellement peu rebelle face à l'exécutif, conteste le projet de loi. Au moins 1 100 réservistes de l'armée de l'air menacent de suspendre leur service volontaire. Les Etats-Unis ont également exhorté Israël, fidèle allié, à ne pas se précipiter. "L'objectif devrait être de rassembler les gens et de trouver un consensus", avait déclaré dimanche le président américain Joe Biden.
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Dans la foulée du vote clé de lundi, Yaïr Lapid, député de l'opposition et ancien Premier ministre, a assuré qu'il ne baisserait pas les bras. "Dès demain matin [mardi], nous adresserons une requête à la Haute Cour contre cette législation, contre l'annulation unilatérale du caractère démocratique de l'Etat d'Israël et contre la manière antidémocratique et prédatrice dont les discussions au sein du Comité de la Constitution ont été menées", a-t-il déclaré en conférence de presse, rapporte la chaîne i24news.
D'autres dispositions également contestées
D'autres dispositions provoquent la colère de l'opposition, comme celle modifiant le processus de nomination des juges, déjà adoptée par les députés en première lecture. Les juges, dont ceux de la Cour suprême, sont actuellement choisis par une commission de neuf membres composée de juges, de députés et d'avocats du barreau, sous supervision du ministre de la Justice. Le projet de loi prévoit d'élargir la présence de ministres et de députés, tout en retirant les avocats de ce panel.
Seul motif de satisfaction pour les opposants : Benyamin Nétanyahou a abandonné le 29 juin la clause "dérogatoire", qui suscitait elle aussi l'inquiétude. Son but était de permettre à la Knesset, par un vote à la majorité simple, d'empêcher la Cour suprême d'annuler une loi.
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