Guerre entre Israël et le Hamas : pourquoi Benyamin Nétanyahou aura du mal à se maintenir au pouvoir une fois le conflit terminé

Article rédigé par Louis Dubar
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Le Premier ministre Benyamin Nétanyahou (au centre) rencontre des soldats stationnés près de la bande de Gaza, le 25 décembre 2023. (AVI OHAYON (GPO) /HANDOUT / ANADOLU / AFP)
Le Premier ministre israélien, qui détient le record de longévité à la tête de l'Etat hébreu, est confronté depuis le début de la guerre contre le Hamas à une impopularité elle aussi record.

Face aux accusations de corruption, critiques et scandales qui ont émaillé ses vingt-sept années de vie politique, Benyamin Nétanyahou est parvenu, contre vents et marées, à se maintenir au pouvoir et à sortir indemne de situations apparemment désespérées. "Il s'est relevé à chaque fois qu'on l'a cru fini, […] il a cette réputation de phénix qui renaît de ses cendres", observe Denis Charbit, professeur de science politique à l'Université libre d'Israël et auteur de Israël et ses paradoxes : idées reçues sur un pays qui attise les passions (éd. Le Cavalier bleu, 2015).

Pourtant, l'attaque lancée par le Hamas le 7 octobre, causant la mort de 1 200 personnes, a fait voler en éclats le mythe de "Bibi le magicien", comme l'avaient surnommé les chroniqueurs israéliens. "Les citoyens israéliens, qu'ils soient électeurs du Likoud [le parti du Premier ministre] ou non, ont intériorisé le fait que Nétanyahou, c'est fini", explique Denis Charbit.

Les jours du Premier ministre, contesté par l'opinion et fragilisé par la guerre qui, dimanche 7 janvier, entre dans son quatrième mois, semblent comptés. Franceinfo vous dit pourquoi.

Parce que son discours basé sur la sécurité et l'économie ne séduit plus

"Je voudrais que l'on se souvienne de moi comme du protecteur d'Israël", martèle Benyamin Nétanyahou devant le gotha de l'économie internationale, rassemblé à Davos, en Suisse, en janvier 2016. Depuis son entrée en politique à la fin des années 1980, il a fait de la sécurité l'un de ses thèmes de prédilection. Au cours de la dernière campagne pour les législatives en novembre 2022, "monsieur sécurité" parcourt le pays dans un véhicule blindé doté d'une vitre pare-balles pour promouvoir la lutte contre l'insécurité intérieure. 

Mais voilà, ce discours "axé sur la sécurité et la réussite économique qui lui a permis de remporter de nombreuses élections par le passé, ne trouve plus le même écho au sein de la société israélienne", commente le professeur de science politique. Depuis l'offensive du 7 octobre du Hamas, Benyamin Nétanyahou s'est retrouvé confronté aux polémiques. Critiqué pour n'être pas parvenu à empêcher l'attaque du Hamas, le chef du gouvernement est jugé responsable par l'opinion des failles sécuritaires. Fin novembre, le New York Times a assuré que les autorités israéliennes étaient au courant du plan d'attaque du Hamas depuis plusieurs mois. A l'échec du renseignement s'ajoute l'échec militaire : l'immense barrière ceinturant la bande de Gaza, pourvue de centaines de caméras dernier cri et de radars, a été franchie aisément par les hommes du Hamas. Le "mur de fer" construit entre 2018 et 2021, au cœur du système de défense de l'Etat hébreu, était censé protéger les habitants du sud du pays. 

Comme chef de guerre, Benyamin Nétanyahou ne parvient pas non plus à redorer son blason. Malgré ses visites sur le front et à Gaza, auprès des troupes engagées dans la contre-offensive, le capital sympathie du dirigeant continue de s'éroder. "Le charme n'opère plus, il a été rompu (...), analyse Denis Charbit. L'affection et la compassion des Israéliens va d'abord aux simples soldats, au militaire qui est présent à Gaza et qui risque à tout instant de perdre sa vie". 

Et quand l'armée atteint ses objectifs dans sa guerre contre le Hamas, comme la mort, mercredi, du numéro 2 de l'organisation au Liban, "les bénéfices de ces actions ne lui reviennent pas, souligne Nimrod Goren, chercheur chargé des affaires israéliennes au Middle East Institute et président du Mitvim, l'Institut israélien pour les politiques étrangères régionales. Ces succès sont d'abord attribués aux militaires et à l'appareil d'Etat." 

Parce que son rival Benny Gantz lui vole la vedette 

Le dirigeant israélien s'est vu contraint de former un gouvernement d'union nationale durant le temps du conflit et un cabinet de guerre avec son rival Benny Gantz. Depuis, celui qui fut son ministre de la Défense entre mai 2020 et décembre 2022 a vu sa cote de popularité progresser. D'après une enquête d'opinion publiée mardi par le centre de recherche indépendant Israel Democracy Institute, seuls 15% des Israéliens souhaitent que Benyamin Nétanyahou poursuive son mandat après la fin de la guerre. Il arrive en deuxième position, huit points derrière Benny Gantz qui a la faveur de près d'un quart des sondés et est désormais favori des sondages en cas d'élections anticipées. 

Pour Denis Charbit, la popularité du chef du Parti de l'unité nationale auprès des Israéliens s'explique par son calme : "Il incarne une sobriété qui est aux antipodes de Nétanyahou. Il parle peu, ne fait pas de grands discours et assume les responsabilités qui lui incombent". Quel que soit l'indicateur choisi pour mesurer la popularité de Benyamin Nétanyahou et sa coalition, "ils perdent inexorablement du terrain, précise Nimrod Goren. Ce que souhaitent les Israéliens aujourd'hui, c'est que le pays soit gouverné par des dirigeants ayant des profils politiques divers, responsables et soucieux de l'unité du pays"

Mais malgré les sondages qui sont défavorables au Premier ministre israélien, il est difficile de prédire à ce stade quand une recomposition de la scène politique aura lieu. "Nétanyahou est peut-être terrassé politiquement, mais pas sa coalition", explique Denis Charbit. Il dispose d'une majorité stable à la Knesset (le Parlement israélien) avec 64 sièges. "Il faudrait qu'un membre de l'actuelle coalition se retire du gouvernement pour qu'un changement majeur se produise, souligne Nimrod Goren. Des élections anticipées devraient être organisées dans le courant de l'année, mais le scénario politique n'est pas encore clair".

De son côté, le principal intéressé, âgé de 74 ans, refuse de commenter son avenir politique et s'agace quand on l'interroge sur ce sujet. "Je suis abasourdi. Je suis tout simplement abasourdi. Nos soldats se battent à Gaza. Nos soldats meurent au combat. Les familles des otages vivent un énorme cauchemar, et c'est ce que vous devez faire ? Il y aura un temps pour la politique", a-t-il répondu à la presse selon des propos rapportés par l'agence de presse AP

Parce qu'un tsunami politique et judiciaire l'attend 

Benyamin Nétanyahou est aussi, en pleine guerre, rattrapé une nouvelle fois par ses ennuis judiciaires. Le procès pour corruption du Premier ministre, suspendu deux mois, a repris le 4 décembre à Jérusalem. Le chef du gouvernement doit répondre de corruption, fraude et abus de confiance dans trois affaires, des accusations qu'il récuse. Il est soupçonné d'avoir reçu de la part de personnalités des pots-de-vin d'une valeur totale avoisinant les 700 000 shekels (soit un peu plus de 173 000 euros) en échange de faveurs gouvernementales. Cette situation est inédite pour un Premier ministre qui devrait être appelé à la barre dans quelques mois, selon la presse israélienne. 

Par ailleurs, la création, à l'issue de la guerre contre le Hamas, d'une commission d'enquête sur les carences de l'armée, du gouvernement, du renseignement et de Benyamin Nétanyahou lui-même avant l'attaque du 7 octobre semble inévitable. Certains membres du Likoud la réclament déjà. "Elle sera très sévère et n'épargnera personne. Cette commission aura la lourde tâche de faire le procès de l'aveuglement de ses dirigeants", déclare Denis Charbit. "Mais avant cela, il faudra veiller à sa bonne mise en place", prévient Nimrod Goren, qu'elle soit indépendante du système politique, qu'elle ne serve les intérêts politiques de quiconque et qu'elle enquête à chaque niveau de l'Etat". Des précédents historiques existent. En 1974, la commission présidée par Shimon Agranat était chargée d'enquêter sur les erreurs commises par l'armée et l'exécutif israéliens. Elle avait poussé à la démission de la Première ministre travailliste de l'époque, Golda Meir. 

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