Guerre en Ukraine : livraisons d'armes, budget militaire, sanctions... Comment l'Union européenne a pris un virage historique
Pour faire front face à Vladimir Poutine, qui a ordonné une offensive des troupes russes en Ukraine, l'UE a adopté cette semaine des mesures sans précédent.
A événement exceptionnel, réponse exceptionnelle. Face aux chars et aux avions de combat russes lancés dans l'invasion de l'Ukraine, un événement qualifié par Emmanuel Macron de "tournant dans l'Histoire de l'Europe et de notre pays" lors de son allocution du 24 février, l'Europe est entrée depuis une semaine dans une phase d'actions communes inédites.
Longtemps raillée pour son impuissance face à Vladimir Poutine, l'Union européenne a d'abord adopté une série d'importantes sanctions économiques en représailles de l'offensive menée par l'armée russe. Le procédé n'est pas nouveau. La Russie avait déjà été visée par des mesures économiques, en 2014, à la suite de l'annexion de la Crimée. "Les seuls dirigeants dans le monde sanctionnés par l'UE sont le président syrien, Bachar Al-Assad, et le président de la Biélorussie, Alexandre Loukachenko, et donc, désormais, Vladimir Poutine pour la Russie", rappelait le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, lors d'une conférence de presse, vendredi 25 février.
"Une bifurcation historique"
Mais la rupture historique de l'UE dans sa doctrine diplomatique est intervenue dimanche soir, à la suite d'une prise de parole d'Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne. Bruxelles a annoncé aux Vingt-Sept l'utilisation d'une enveloppe de 450 millions d'euros "pour fournir aux forces ukrainiennes des armes létales, ainsi que du carburant, des équipements de protection et des fournitures médicales". Selon le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, il s'agit de la fin d'un "tabou voulant que l'Union ne fournisse pas d'armes à des belligérants".
Pour Sylvain Kahn, docteur en géographie, professeur agrégé d'histoire à Sciences Po et auteur du livre Histoire de la construction de l'Europe depuis 1945 (éditions PUF, 2021), cette décision s'apparente bien à une "bifurcation historique". "C'est un changement de doctrine, même lors de la guerre en Yougoslavie (1991-2001), l'Union européenne n'avait jamais fait ça", tranche-t-il auprès de franceinfo.
Le revirement de l'Allemagne
L'accord trouvé pour soutenir les capacités militaires ukrainiennes intervient trois jours seulement après le début de la guerre. Une mesure "spectaculaire pour sa rapidité, et par le consensus dont elle découle", analyse l'historienne Nicole Gnesotto, vice-présidente de l'Institut Jacques-Delors. Même la Hongrie de Viktor Orban, rarement alignée sur la position des autres pays de l'UE ces derniers mois, s'est jointe sans réserve aux sanctions communes. "Alors que jusqu'à présent, Viktor Orban affichait sa proximité idéologique avec Vladimir Poutine", relève Sylvain Kahn.
"Les Européens se sont réveillés brutalement dans la stupeur. Leur accord est proportionnel à l'agression de la Russie."
Nicole Gnesotto, historienneà franceinfo
Au-delà de la prise de décision commune de l'UE, cette semaine est aussi marquée par le revirement historique de certains pays membres. L'Allemagne a ainsi revu sa position pacifiste, héritée de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Samedi, Berlin a accepté de livrer des armes à l'Ukraine, ce qu'elle s'était toujours interdit en zone de conflit. Le pays va notamment fournir des lance-roquettes antichars et des missiles sol-air Stinger. L'Allemagne a par ailleurs apporté immédiatement 100 milliards d'euros de plus pour moderniser sa propre armée. Olaf Scholz, le chancelier allemand, a également annoncé pour son pays un investissement annuel de plus de 2% de son produit intérieur brut (PIB) dans la défense.
Un temps partenaire économique de la Russie de Vladimir Poutine, Berlin a aussi changé de cap en suspendant l'autorisation du gazoduc Nord Stream 2 et en soutenant l'exclusion de banques russes de la plateforme de paiements internationaux Swift, rouage essentiel de la finance mondiale.
"La bifurcation est particulièrement visible avec l'Allemagne, même si ça s'inscrit dans un mouvement qui touche tous les pays européens."
Sylvain Kahn, docteur en géographieà franceinfo
"Pour comprendre ce changement de cap, il faut rappeler que le gouvernement allemand est très attentif aux mouvements de l'opinion publique. Cent mille personnes manifestaient dimanche à Berlin en solidarité avec l'Ukraine", analyse le chercheur.
La génèse d'une défense européenne ?
Dans le sillage de l'Allemagne, la Suède a annoncé son intention de rompre avec sa politique de neutralité. Jusqu'à présent, ce pays, qui n'est pas membre de l'Otan, excluait de livrer des armes à un Etat en guerre. Dimanche, le gouvernement suédois a pourtant promis l'envoi de 5 000 lance-roquettes antichars à l'Ukraine. Une première depuis 1939 et l'attaque de la Finlande par l'URSS, a souligné la Première ministre, Magdalena Andersson. "C'est un signal très parlant qu'un pays comme la Suède, pays qui n'a plus été en guerre depuis le milieu du XVIIIe siècle, se trouve aux avants-postes", analyse Sylvain Kahn. Le spécialiste rappelle que la Suède a rétabli le service militaire ces dernières années, sentant la menace russe s'accentuer. Enfin, même si elle n'est pas membre de l'UE, la Suisse a aussi rompu avec sa neutralité historique, reprenant lundi "intégralement" les sanctions des Vingt-Sept contre la Russie.
Pour autant, cet élan peut-il relancer le débat sur la nécessité d'une défense européenne ? C'est ce que souhaite le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, cité par Les Echos. "Nous avons besoin d'une armée européenne forte. Ce n'est pas impossible et cela permettra à l'Europe de jouer enfin un rôle majeur", a-t-il martelé. Des propos qui font écho à ceux d'Emmanuel Macron, il y a quelques semaines, lors de la présentation des enjeux de la présidence française du Conseil de l'Union européenne.
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