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"N'importe qui peut être arrêté" : à Hong Kong, la Chine a réduit la société civile au silence

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Des militants prodémocratie manifestent à Tokyo (Japon) pour dénoncer les atteintes aux droits humains à Hong Kong, le 4 juin 2022. (PHILIP FONG / AFP)

Trois ans après les manifestations, observateurs et militants prodémocratie redoutent un nouveau durcissement du régime, alors qu'un nouveau chef de l'exécutif prend ses fonctions vendredi 1er juillet.

Plus un seul parapluie en vue. Trois ans après les gigantesques manifestations prodémocratie dans les rues de Hong Kong, le mouvement de contestation a presque été éteint par les autorités. "La société civile, qui était si dynamique encore en 2019, a été bâillonnée", résume Michael Vidler, un avocat britannique qui a vécu sur l'île pendant trente ans. Et, à en croire les militants des droits humains et les observateurs, il n'y a pas d'espoir d'amélioration en vue.

Le nouveau chef de l'exécutif hongkongais, proche du pouvoir chinois, prend ses fonctions vendredi 1er juillet. Une date symbolique puisqu'elle marque les 25 ans de la rétrocession du territoire à la Chine. "L'accord trouvé en 1997 avec le Royaume-Uni prévoyait un fort niveau d'autonomie pour Hong Kong et, à terme, l'élection de l'ensemble des élus au suffrage universel direct", rappelle Maya Wang, chercheuse spécialiste de la Chine au sein de l'ONG Human Rights Watch (HRW)"Mais la population n'a pas été incluse dans ces négociations et le régime mis en place était semi-démocratique. En résumé, Hong Kong est passé des mains d'une puissance coloniale à une autre."

Une loi pour écraser la contestation politique

Cette transition s'est faite au détriment des libertés à Hong Kong, dénonce Nathan Law, leader de l'opposition désormais en exil au Royaume-Uni. En deux décennies, le "semblant de démocratie" sur l'île s'est "érodé et est désormais inexistant", abonde Maya Wang. Depuis le mouvement des Parapluies en 2014, les Hongkongais sont régulièrement descendus dans la rue pour dénoncer la mainmise de Pékin sur ce territoire de 7,5 millions d'habitants.

"La conscience politique a rapidement grandi au sein de la population, car elle voulait l'autonomie qui lui avait été promise en 1997."

Maya Wang, chercheuse pour Human Rights Watch

à franceinfo

En 2019, Hong Kong voit naître un mouvement de protestation d'une ampleur inédite, après un projet de loi autorisant les extraditions vers la Chine continentale"Pour les manifestants, c'était en quelque sorte la dernière tentative pour préserver les droits humains et la démocratie", explique Maya Wang. Mais les autorités répriment la contestation. Au fil des mois, de nombreux rassemblements tournent à l'affrontement avec la police, accusée par Amnesty International "de tactiques insensées et illégales contre la population pendant les manifestations".

Des manifestants prodémocratie affrontent la police à Hong Kong, le 18 novembre 2019. (DALE DE LA REY / AFP)

Une nouvelle étape est franchie mi-2020, avec l'adoption d'une loi sur la sécurité nationale donnant à Pékin un pouvoir judiciaire sans précédent sur l'île. "Ce texte est rédigé de façon à permettre d'arrêter quiconque critique le pouvoir et d'obtenir des condamnations sans difficulté", analyse Nicholas Bequelin, chercheur invité à l'université de Yale et ancien directeur d'Amnesty International pour l'Asie orientale. La loi "crée de nouvelles infractions, notamment de sédition, révise la modalité des procès et transforme les organes judiciaires en outil au service du politique", détaille-t-il.

Les pouvoirs de surveillance de la police sont étendus et plusieurs dizaines d'opposants politiques sont arrêtés"Aucun d'entre eux n'a de procès équitable et nombreux sont ceux qui restent emprisonnés en dépit de l'état de droit, poursuit Nicholas Bequelin. Des organisations prodémocratie sont démantelées ou décident elles-mêmes de se dissoudre, par peur des représailles." En parallèle, le système électoral est réformé et les législatives sont repoussées d'un an, officiellement en raison de la pandémie de Covid-19.

"Avec la loi sur la sécurité nationale, c'est un nouvel ordre politique qui s'impose à Hong Kong. Un régime calqué sur celui en vigueur en Chine continentale, sans liberté de presse ou d'expression."

Nicholas Bequelin, spécialiste de la Chine

à franceinfo

Dans l'impossibilité de "continuer à travailler dans un environnement aussi instable"Amnesty International annonce qu'elle quitte Hong Kong en octobre 2021. "L'environnement de répression et de perpétuelle incertitude créé par la loi sur la sécurité nationale rend impossible de savoir quelles activités pourraient conduire à des sanctions criminelles", souligne alors l'ONG de défense des droits humains.

"La liberté de la presse n'existe plus"

Les médias prodémocratie sont, eux aussi, visés. Lily*, Hongkongaise qui travaille comme freelance pour plusieurs médias locaux, est présente "le soir de la fermeture d'Apple Daily". Muselé par Pékin, l'illustre quotidien prodémocratie voit ses actifs gelés et plusieurs de ses dirigeants arrêtés en juin 2021. "C'était surréaliste de me dire que ce journal, que je connaissais depuis l'enfance, allait disparaître des kiosques", raconte la journaliste. Mais ce n'est "pas non plus une surprise""Depuis 2019, j'ai vu la censure et l'autocensure à l'œuvre dans les médias pour lesquels je travaillais", poursuit-elle.

"J'ai moi-même commencé à me demander si je devais modifier ou supprimer certains témoignages critiques de mes sujets, parce que les personnes qui me parlaient risquaient de se retrouver en prison."

Lily, journaliste hongkongaise

à franceinfo

La fermeture, fin 2021, du site d'information Stand News, avec lequel Lily collaborait, finit de décourager la jeune femme. Elle quitte Hong Kong pour voyager et doit intégrer un master de journalisme en Europe, à l'automne 2022. "Cela me permettra de travailler pour des médias étrangers et de continuer à raconter ce qui se passe sur place, explique-t-elle. Car la liberté de la presse n'existe plus au sein des médias locaux."

Après les opposants politiques et les médias, la répression s'étend à d'autres cibles. "Il y a quelques mois, un magistrat a cité mon cabinet dans un jugement car nous proposions une aide juridique aux manifestants. Il a sous-entendu que nous encouragions les 'rassemblements illégaux', témoigne l'avocat britannique Michael Vidler. Suggérer qu'un avocat incite des clients à commettre des délits parce qu'il les conseille est inquiétant."

Exode massif

Visé par des "attaques de plus en plus nombreuses dans la presse pro-Pékin", Michael Vidler se résigne à fermer le cabinet qu'il dirigeait depuis dix-neuf ans. "En mai, un de ces médias m'a accusé de conspirer contre le gouvernement. J'ai réalisé que mon arrestation était imminente", poursuit l'avocat, qui avait notamment défendu l'opposant Joshua Wong en 2014. Quarante-huit heures après la publication de cet article, le Britannique quitte Hong Kong.

"Ces trois dernières années, j'ai vu avec horreur l'état de droit être peu à peu démantelé à Hong Kong. Non seulement je ne pouvais plus faire mon travail, mais ma famille et mes employés étaient eux aussi exposés. J'ai décidé qu'il était temps de partir."

Michael Vidler, avocat

à franceinfo

Michael Vidler n'est pas le seul à avoir fait ce choix. Depuis deux ans, Hong Kong fait face à un "exode massif", relève Nathan Law. "Plus de 100 000 personnes ont demandé un visa au Royaume-Uni en 2021. Et des milliers d'autres se sont installés au Canada, en Australie, aux Etats-Unis ou dans d'autres pays", souligne l'opposant hongkongais.

Le militant prodémocratie Nathan Law au siège de Reporters sans frontières, le 21 juin 2022, à Paris. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)

Nathan Law est lui-même parti début 2020, peu avant l'entrée en vigueur de la loi sur la sécurité nationale. "Il est très difficile de voir la société civile s'effriter, mes amis être emprisonnés, confie-t-il. J'ai aussi dû couper publiquement tout lien avec ma famille, pour les protéger d'éventuelles représailles." Pour le militant, l'exil était la seule solution pour "continuer à défendre la démocratie à Hong Kong". "En expliquant la réalité de ce qui s'y passe, je prépare en quelque sorte mon retour dans ma ville, le jour où les libertés y seront rétablies", insiste l'opposant.

"Il existe une peur diffuse de répression car, avec cette loi, n'importe qui peut-être arrêté, insiste Maya Wang, de HRW. On peut être dénoncé par son voisin parce qu'on porte du jaune [couleur des militants prodémocratie], perdre son emploi parce qu'on est critique de Pékin sur Facebook ou finir en prison pour des propos tenus avec un ami dans un café... Tout le monde est contraint de se méfier."

John Lee, "un des pro-Pékin les plus belliqueux"

La prise de fonction du nouveau chef de l'exécutif hongkongais, vendredi 1er juillet, pourrait mener à une nouvelle "escalade de la répression", selon la chercheuse. "J'ai côtoyé John Lee lorsque j'étais député et qu'il était responsable de la sécurité à Hong Kong. Je pense qu'il a été choisi parce qu'il est un des pro-Pékin les plus belliqueux", confirme Nathan Law, qui rappelle que John Lee était à la tête de la police lors de la répression de la contestation en 2019.

Le chef de l'exécutif hongkongais, John Lee, lors d'une interview avec le média d'Etat chinois Xinhua, le 30 mai 2022. (LUI SIU WAI / XINHUA / AFP)

Sous sa gouvernance, le nouvel exécutif devrait par exemple tenter de renforcer son contrôle sur internet et sur les réseaux sociaux, rapporte le magazine américain The Atlantic (en anglais). "L'objectif est de reproduire la situation en Chine continentale, mais les autorités n'en ont pas forcément les moyens, nuance Maya Wang. Sur l'île, la population a bénéficié de certaines libertés, dont l'accès à un internet libre, pendant de longues années. Beaucoup contourneront ces blocages."

"Hong Kong est une place financière extrêmement importante, y compris pour la Chine. Il y a un espoir que Pékin maintienne quelques libertés dans la ville, dans le but de permettre aux institutions financières de continuer à fonctionner", ajoute Nicholas Bequelin. Pour le chercheur, Hong Kong n'en demeure pas moins la preuve que la Chine est "prête à renier ses engagements internationaux""Lorsque Pékin veut consolider son pouvoir, elle fait des efforts de conciliation, assure-t-il. Mais une fois ce cap passé, la Chine fait ce qu'elle veut."

* Le prénom a été modifié.

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