Chine : "zéro Covid", pression de la rue, flambée des contaminations... Comment le tout-puissant Xi Jinping se retrouve fragilisé
De prĂ©sident tout-puissant Ă leader fragilisĂ©. Le prĂ©sident chinois Xi Jinping, en poste depuis 2013, semblait au sommet de son pouvoir en octobre dernier, aprĂšs avoir Ă©tĂ© rĂ©Ă©lu en grande pompe Ă la tĂȘte du Parti communiste. Une Ă©tape qui l'assure d'ĂȘtre rĂ©Ă©lu prĂ©sident en mars 2023 pour un troisiĂšme mandat, solidifiant son emprise sur le rĂ©gime. Mais les manifestations liĂ©es Ă sa politique "zĂ©ro Covid" et le chaos crĂ©Ă© par renversement total de la politique de santĂ© sont passĂ©s par lĂ .
Pékin a reconnu samedi 14 janvier que 60 000 personnes étaient mortes en un mois dans des structures médicales. Selon les autorités, 13 millions de personnes ont contracté le Covid-19 depuis début décembre. Ce chiffre est largement sous-estimé, affirme l'ONU (contenu en anglais), qui a également émis des doutes, début janvier, sur le nombre de décÚs communiqué par la Chine. Ainsi, la situation pourrait fragiliser le pouvoir en place.
Rembobinons. DĂ©but 2020, critiquĂ©e pour avoir mal communiquĂ© et gĂ©rĂ© l'apparition du Covid-19 Ă Wuhan, la Chine souhaite apparaĂźtre comme un modĂšle en termes de gestion de la pandĂ©mie. TrĂšs vite, elle dĂ©finit sa doctrine, caractĂ©risĂ©e par le triptyque "tester, tracer, isoler". GrĂące Ă des confinements ciblĂ©s, des campagnes de dĂ©pistages massives et un dĂ©ploiement impressionnant de moyens, le pays rĂ©ussit Ă rĂ©duire considĂ©rablement les contaminations et le nombre de morts liĂ©s au Covid-19.Â
Le pouvoir ne cache pas son sentiment de supĂ©rioritĂ©, alors que l'Europe et les Etats-Unis enchaĂźnent les vagues de contaminations. "Quand on regarde la situation au dĂ©but de 2021, la Chine sort quand mĂȘme plus ou moins gagnante de la lutte contre la pandĂ©mie avec un nombre de morts trĂšs bas", relate Jean-Louis Rocca, professeur Ă Sciences Po et spĂ©cialiste de la Chine. AprĂšs le cafouillage du dĂ©but de la pandĂ©mie, "la politique 'zĂ©ro Covid' a permis de prouver au monde que la Chine avait mieux gĂ©rĂ© les choses que les autres pays", mais aussi "de montrer aux Chinois que le gouvernement Ă©tait capable de les protĂ©ger", rĂ©sume le chercheur.
Un refus d'abandonner le "zéro Covid"
La situation évolue au cours de l'année 2021. Les pays occidentaux abandonnent peu à peu les confinements, à mesure qu'ils vaccinent leurs populations. La Chine, elle, s'accroche à sa politique "zéro Covid". Pékin ne bouge pas non plus lorsque, début 2022, des pays comme Taïwan, l'Australie ou la Corée du Sud, qui avaient adopté une stratégie similaire, décident de s'ouvrir au reste du monde. "A partir de ce moment-là , le gouvernement verse dans l'autosatisfaction et s'affranchit de la réalité", estime Steve Tsang, le directeur de l'institut chinois de la School of Oriental and African Studies à Londres.
Le choix des autoritĂ©s chinoises s'explique en partie par l'Ă©chec relatif de sa campagne de vaccination. PĂ©kin refuse notamment d'utiliser des vaccins Ă©trangers alors que les vaccins chinois sont moins efficaces, selon une Ă©tude publiĂ©e par The Lancet* en avril dernier. La vaccination des seniors est aussi Ă la peine. En novembre 2022, seuls 68,2% des plus de 60 ans avaient reçu trois doses de vaccin, rapporte Reuters*. En dĂ©coule un risque de congestion du systĂšme hospitalier, dĂ©jĂ saturĂ©, en cas de vague de contamination.Â
Résultat : les confinements de grandes villes s'enchainent en 2022, au prix d'une organisation souvent dysfonctionnelle. "La Chine est trÚs forte dans les situations d'urgence, explique Jean-Louis Rocca. Mais le problÚme, c'est que la politique du 'zéro covid', était gérée sur le long terme par les autorités locales, qui n'avaient pas toujours les compétences et qui n'ont parfois pas fait les bons choix." La politique anti-Covid a "fait dérailler l'économie", explique le HuffPost, avec une croissance ralentie et de plus en plus de personnes au chÎmage. Un problÚme pour Xi Jinping, qui a fait des bons résultats économiques un des arguments de sa mainmise sur le pouvoir.
Une politique contestée dans les rues
Les trois annĂ©es de confinements rĂ©pĂ©tĂ©s finissent par agacer une partie des Chinois. Fin novembre, un peu plus d'un mois aprĂšs la rĂ©Ă©lection triomphale de Xi Jinping Ă la tĂȘte du parti communiste, des manifestations Ă©clatent dans plusieurs grandes villes chinoises, notamment Shanghai et PĂ©kin. Ces rassemblements inquiĂštent le pouvoir. "On ne peut pas dire qu'elles sont sans prĂ©cĂ©dent, puisque les grĂšves pour des revendications prĂ©cises sont courantes en Chine", prĂ©cise Jean-Louis Rocca. Mais "c'est la premiĂšre fois depuis 1999 que les manifestants demandent au gouvernement de dĂ©missionner, et que les revendications portent sur la politique globale des autoritĂ©s", complĂšte Steve Tsang.Â
Sous la pression de la rue, le gouvernement chinois finit par prendre, le 7 décembre, une décision considérée comme impossible quelques semaines plus tÎt : l'abandon presque total de la politique "zéro Covid". "Un retournement comme ça, c'est du jamais-vu", explique Stéphanie Balme, professeure, directrice de recherche au Centre de recherches internationales de Science Po et spécialiste de la Chine. "Cela montre la grande fébrilité des autorités. La réalité a été niée pendant trÚs longtemps par le pouvoir, mais elle les a rattrapés et les digues ont sauté."
Les consĂ©quences de l'abandon des tests et isolements obligatoires ne se font pas attendre. Les hĂŽpitaux et crĂ©matoriums se retrouvent trĂšs vite dĂ©bordĂ©s par l'ampleur des infections et les mĂ©dicaments viennent Ă manquer. Peu vaccinĂ©e, la population chinoise n'a pas dĂ©veloppĂ© d'immunitĂ© face au virus. Les autoritĂ©s se retrouvent mĂȘme incapable d'estimer l'ampleur rĂ©elle de la vague de contaminations, la Commission nationale de santĂ© ayant arrĂȘtĂ© de communiquer sur le sujet. Selon une estimation de l'entreprise spĂ©cialisĂ©e Airfinity* en date du 13 janvier, le nombre d'infections journaliĂšres serait de 3,7 millions. Un chiffre vertigineux.
Une remise en cause du contrat social
La situation inquiĂšte les citoyens chinois, d'autant que leurs dirigeants nient les problĂšmes. "C'est simple, ils n'avaient rien prĂ©vu alors qu'ils avaient trois ans pour le faire", assĂšne Steve Tsang. "Cette situation impacte fortement la relation de confiance de la sociĂ©tĂ© civile Ă l'Ă©gard du pouvoir, juge StĂ©phanie Balme. Beaucoup de gens se disent que les trois derniĂšres annĂ©es n'ont servi Ă rien. D'autres sont effrayĂ©s parce que le gouvernement leur a dit pendant trois ans que le Covid Ă©tait extrĂȘmement dangereux." En une dĂ©cision, c'est le contrat social entre le parti communiste et la population qui est remis en question : "Les Chinois acceptent que le parti gouverne en Ă©change de protection et de prospĂ©ritĂ©, et lĂ , ça n'est plus le cas", rĂ©sume Jean-Louis Rocca.
La crise risque bien "d'affaiblir" la mainmise de Xi Jinping sur son parti, comme l'estime The Guardian*. Conscient du problĂšme, le prĂ©sident a rĂ©agi en parant son discours de Nouvel An du 31 dĂ©cembre d'un ton inhabituellement conciliant. Xi Jinping a ainsi jugĂ© que "la prĂ©vention de l'Ă©pidĂ©mie rentrait dans une nouvelle vague", intimant les Chinois "de travailler plus dur, car la persistance et l'unitĂ© se traduisent par une victoire", rapporte Euronews*. "Son discours essayait de projeter la Chine dans l'avenir, en rĂ©affirmant que le parti reste l'autoritĂ© suprĂȘme qui est Ă mĂȘme d'assurer le bonheur du pays, analyse StĂ©phanie Balme. Il a lancĂ© moins d'attaques contre l'Occident et s'est attelĂ© Ă dire qu'il fallait respecter les opinions diffĂ©rentes des Chinois."
Le pouvoir communiste en danger ?
Cette fĂ©brilitĂ© du pouvoir est-elle suffisante pour remettre en cause la reconduction de Xi Jinping Ă la tĂȘte du pays, prĂ©vue pour mars ? "Le Covid a certes endommagĂ© sa rĂ©putation, mais il reste en contrĂŽle du parti et de l'armĂ©e, ça n'est pas suffisant pour le remettre en cause complĂštement", tranche Steve Tsang. Une opinion que ne partage pas Jean-Louis Rocca.
"Pour moi, Xi Jinping est surtout le symbole de l'unitĂ© du parti, si cette crise fragilise trop l'appareil de l'Etat, personne n'hĂ©sitera Ă le faire sauter. Il faut plutĂŽt se poser la question du lien entre l'Etat et la population."Â
Jean-Louis Rocca, professeur Ă Sciences PoĂ franceinfo
Difficile de savoir ce qu'il se passe au ComitĂ© central du parti communiste, petit groupe de personnes au sommet du pouvoir, tant les arcanes du gouvernement sont inaccessibles. Pour essayer de comprendre l'ampleur de l'impact de cette crise sur le parti communiste, "il faudra garder un Ćil sur les cĂ©lĂ©brations du Nouvel An chinois, le 22 janvier, ainsi que la rencontre des deux assemblĂ©es populaires prĂ©vues en fĂ©vrier et le choix du prochain Premier ministre", suggĂšre StĂ©phanie Balme.
La contestation des autoritĂ©s par la population dĂ©pendra de la suite des Ă©vĂšnements... et du nombre de morts. "S'il y a 1,7 million de morts d'ici Ă avril, comme le prĂ©dit Airfinity, alors cela pourrait avoir un impact sur le parti communiste", pense Jean-Louis Rocca. "Attention, le Covid seul ne fera pas tomber le gouvernement", rĂ©torque Steve Tsang. "On parle quand mĂȘme d'un parti qui a causĂ© 40 millions de morts Ă la fin des annĂ©es 1950 avec la grande famine cause par sa politique Ă©conomique et qui est restĂ© au pouvoir." Â
Le Covid n'est de toute façon pas le seul sujet qui occupe l'esprit des Chinois, mais "un élément parmi d'autres", selon Jean-Louis Rocca : "Les choses se jouent sur la question de l'emploi, de la prospérité et de la reproduction de la classe moyenne." Si l'économie ne repart pas, les Chinois pourraient perdre la conviction que leur gouvernement fait mieux que les autres. Et cela "pourrait avoir des conséquences totalement imprévisibles", estime Stéphanie Balme.
* Les liens suivis d'un astérisque sont en anglais.
Commentaires
Connectez-vous Ă votre compte franceinfo pour participer Ă la conversation.