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Récit "Couchez-vous, je vais vous tuer !" : un terroriste sème la mort dans l'Aude

Un Franco-Marocain a mené vendredi trois attaques dans l'Aude, revendiquées par le groupe Etat islamique. Elles ont fait quatre morts et quinze blessés. 

Article rédigé par franceinfo
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Les forces de l'ordre positionnées au supermarché de Trèbes (Aude) après une prise d'otages, le 23 mars 2018.  (MAXPPP)

La France est de nouveau frappée par le terrorisme. Il est environ 10 heures, vendredi 23 mars, quand un individu s'attaque aux occupants d'une voiture, puis à une compagnie de CRS avant de mener une prise d'otages dans un supermarché de Trèbes (Aude). Quatre personnes ont perdu la vie et quinze autres ont été blessées dans ces trois attaques. Quatre heures après le début des événements, le suspect, un Franco-Marocain de 25 ans, dénommé Radouane Lakdim, suivi par les services de renseignement depuis 2013, est abattu par les forces de l'ordre. Il avait auparavant revendiqué son appartenance au groupe Etat islamique. 

"Si nous sommes attaqués, nous réagirons sans faiblesse", a martelé depuis Bruxelles le président de la République ,Emmanuel Macron, avant de préciser en fin de journée que "notre pays a subi une attaque terroriste islamiste". Franceinfo fait le récit de cet attentat, qui survient six mois après la dernière attaque à la gare de Marseille

"L'individu a sorti une arme et a fait feu cinq fois"

L'information vient d'abord des réseaux sociaux. Sur son compte Twitter, le syndicat de CRS Unsa Police indique, en milieu de matinée, que "quatre collègues de la CRS 53 rentraient sur le cantonnement de la CRS 57 Carcassonne d'un footing" quand ils ont été attaqués par un individu. "Suivis par une voiture, l'individu a sorti une arme et a fait feu cinq fois", ajoute le syndicat, avant de préciser que le "collègue" est "blessé à l'épaule" et qu'une "prise d'otages est en cours à Trèbes". 

Contactée par franceinfo, une source policière précise que "c'est une compagnie de CRS de Marseille, en déplacement à Carcassonne, qui a été visée". Ces policiers qui "revenaient d'un jogging" n'étaient pas armés. "Ils se sont tout de suite mis au sol mais l'un d'entre eux a été touché à l'épaule", ajoute cette source. Après examen médical, il s'avère que le policier blessé a deux côtes cassées et un poumon perforé. Dans sa conférence de presse donnée en début de soirée, le procureur de la République, François Molins, précise que c'est à bord d'une "Opel Corsa blanche" que l'individu a tiré "à plusieurs reprises sur les policiers"

En réalité, l'auteur de cette attaque a déjà frappé une première fois, "à 10h13", précise François Molins. Radouane Lakdim a d'abord braqué un automobiliste, vers le parc des Aigles de Carcassonne, pour lui voler sa voiture. Il a ouvert le feu, et le passager est mort. Le conducteur a, lui, été blessé.

Le preneur d'otages de Trèbes dans l'Aude : un Franco-Marocain de 25 ans (CAPTURE ECRAN / GOOGLE MAP / FRANCEINFO / STEPHANIE BERLU)

"J'ai compris tout de suite"

Vers 11 heures, Redouane Lakdim se rend ensuite à Trèbes, à 8 kilomètres de Carcassonne. Il fait irruption dans le supermarché Super U, "où se trouvent une cinquantaine de personnes", précise François Molins. 

Il est entré dans le magasin Super U en criant 'Allah akbar' et en indiquant qu'il était un soldat de l'Etat islamique, se disant prêt à mourir pour la Syrie. Il sollicitait la libération de frères.

François Molins, procureur de la République

vendredi, pendant une conférence de presse

Attaques de l'Aude : la conférence de presse de François Molins
Attaques de l'Aude : la conférence de presse de François Molins Attaques de l'Aude : la conférence de presse de François Molins

L'homme ouvre le feu et tue un client et un employé du Super U. Ce dernier, habitant de Trèbes, marié et père de deux enfants, était, selon sa collègue Elodie contactée par franceinfo, "un homme bien, droit, hyper professionnel" . Il avait "toujours le sourire" et était "apprécié de ses collègues et de ses clients".

"J'ai vu la barbe, les cris et le flingue, j'ai compris tout de suite", assure à franceinfo François, l'un des vigiles du supermarché. Il entend des coups de feu et voit "une personne qui cri[e] et tir[e] dans le magasin avec deux personnes à terre". Il parvient à évacuer "le personnel et quelques clients pour les éloigner de la zone". 

On a l'habitude de voir ça à la télé. Le danger, on le connaît.

François, vigile du Super U

à franceinfo

A l'intérieur du magasin, c'est la panique. "J'étais au stand de la boucherie, dans le magasin, quand j'ai entendu un grand boum", relate sur LCI Jackie, boucher au Super U.  "Au début, je me suis dit : 'c'est un rayon qui est tombé ou quoi ?'. Mais non, c'étaient des coups de feu. Des gens sont passés devant moi en criant, en me disant : 'Il faut sortir, vite !'" Jackie parvient à s'échapper au début de l'attaque avec une bonne vingtaine de collègues et de clients pour se réfugier au garage d'à côté. "C'est là que mes collègues m'ont dit qu'ils avaient clairement entendu le tireur crier 'Allah akbar' et 'Couchez-vous, je vais vous tuer'", ajoute-t-il. Carole est elle aussi présente au début de la prise d'otages. "Un homme a crié et a tiré des coups de feu à plusieurs reprises", explique-t-elle à franceinfo. 

J'ai vu une porte de frigo, j'ai demandé aux gens de venir se mettre à l'abri.

Carole, cliente du Super U

à franceinfo

"Nous étions dix et nous sommes restés une heure", poursuit-elle. Avec ses compagnons d'infortune, elle réussit à sortir par la porte de secours de derrière et se réfugie dans la salle de sport à côté du magasin. 

Coïncidence, un policier retraité se trouve avec son épouse et sa belle-sœur dans le supermarché au moment de l'attaque. Il fait même face à l'assaillant. "On est entrés faire quelques courses et quelque temps après on a entendu plusieurs détonations, donc je suis allé voir ce qu'il en était, raconte Christian Guibbert à BFMTV"Il y avait un homme à terre et une personne très excitée qui avait une arme de poing dans une main, un couteau dans l'autre et qui criait 'Allahou akbar'". L'ancien policier met à l'abri ses proches et des clients dans un frigo de boucher et reste dans le magasin pour transmettre de précieux renseignements aux gendarmes. "Je leur ai donné le signalement de l'individu et dit ce qu'il avait dans les mains." Mais Christian Guibbert est repéré par le terroriste. 

J'étais caché dans un rayon, il m'a aperçu et m'a couru après. J'ai pris la fuite, je n'ai pas demandé mon reste.

Christian Guibbert, ancien policier

à BFMTV

A l'extérieur, c'est aussi le chaos. "J'ai vu les caissières, elles étaient en pleurs. Tout le monde était en pleurs évidemment. Ils sont très, très choqués", raconte de son côté Michel à Europe 1. Ce gérant d'un garage a recueilli "une cinquantaine de personnes" du supermarché. Karim, 55 ans, travaille dans un magasin de construction à une centaine de mètres de là. Lui aussi "a entendu des coups de feu" lorsque l'assaillant a tiré dans le supermarché. "A ce moment-là, il n'y avait que quelques gendarmes, mais maintenant, il y a au moins 200 ou 300 gendarmes", raconte-t-il, expliquant que "tout le quartier est bouclé".

Un gendarme "tombé en héros" 

Dans le même temps, les élèves des écoles et du collège de Trèbes sont confinés. "Une cellule d'urgence médico-psy" est activée dans la petite commune, informe la préfecture de l'Aude sur Twitter. La section antiterroriste du parquet de Paris ouvre une enquête sur les chefs d'"assassinat en relation avec une entreprise terroriste" et "tentative d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste", "séquestrations sous conditions en relation avec une entreprise terroriste" et "association de malfaiteurs terroriste criminelle". Vers midi, le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, précise se rendre sur les lieux

Un contact s'établit avec le preneur d'otages. Ce dernier aurait exigé la libération de Salah Abdeslam, le seul survivant des attentats du 13-Novembre, même si "c'était sans doute une revendication a posteriori", nuance Gérard Collomb. 

Vers 13 heures, on apprend que la prise d'otages a déjà fait un mort. Une heure plus tard, le bilan s'alourdit et passe officiellement à deux morts. Il ne reste plus qu'une femme à l'intérieur du magasin. "Les otages ont été libérés au cours d'une négociation", explique François Molins. Un gendarme prend une décision grave : le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, 44 ans, "s'est volontairement substitué" à l'otage retenu par le terroriste, annonce Gérard Collomb lors d'un point presse. "Son héroïsme et son courage forcent notre respect", poursuit-il.

L'échange d'otages est tendu. L'assaillant sort du supermarché "en menaçant le [lieutenant-]colonel de gendarmerie avec son arme", sollicite "la remise d'un chargeur" et menace "de tout faire sauter en cas d'intervention des forces de gendarmerie", continue François Molins. Le lieutenant-colonel se retrouve seul à l'intérieur avec le terroriste et a alors le réflexe "de laisser son téléphone ouvert sur la table", indique Gérard Collomb. "Nous avons pu entendre ce qu'il s'est passé. C'est quand nous avons entendu des coups de feu que nous sommes intervenus", explique-t-il. Le terroriste vient de tirer "à plusieurs reprises sur le [lieutenant-]colonel qu'il blesse très grièvement", selon le procureur de Paris

Il est 14h45 et le GIGN donne l'assaut. Le preneur d'otages est abattu. Deux gendarmes sont blessés, ainsi que le lieutenant-colonel Beltrame qui se trouve alors dans un état critique. Une heure plus tard, le groupe Etat Islamique revendique l'attaque, évoquant, dans un communiqué en ligne, les actions d'un "soldat du califat".

En fin de journée, François Molins révèle qu'une proche du suspect a été placée en garde à vue "du chef d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste". Quelques heures plus tard, Gérard Collomb annonce sur son compte Twitter la mort du lieutenant-colonel Beltrame.

Suit un communiqué d'Emmanuel Macron, pour qui Arnaud Beltrame est "tombé en héros" et "mérite respect et admiration de la nation tout entière".

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