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: Infographies Comment l'expression "violences policières" cristallise les clivages politiques

A l'Assemblée, sur les réseaux sociaux ou les plateaux de télévision, le débat sur les violences policières est devenu un sujet récurrent du quinquennat. L'expression, controversée, fait émerger de fortes divisions au sein de la sphère politique.

Article rédigé par Brice Le Borgne
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8 min
Des participants à la manifestation contre les violences policières font face aux forces de l'ordre, à Nantes, le 3 août 2019. (JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP)

Il était encore candidat à l'élection présidentielle. En mai 2017, Emmanuel Macron était interrogé par Mediapart sur le contrôle au faciès et les violences policières : "Je serai intraitable. Et ce que je ne comprends pas, c'est qu'on ne mette pas en cause la hiérarchie policière quand il y a de manière évidente un problème." Le candidat d'En marche était sans doute loin d'imaginer que les violences policières allaient devenir, plus de trois ans après son élection, un leitmotiv de son quinquennat. 

De l'affaire Benalla aux manifestations en mémoire d'Adama Traoré, en passant par les dizaines de rassemblements de "gilets jaunes", les violences policières ont formé un axe incontournable du débat public. Récusée par l'exécutif et une partie de la droite, ou brandie à l'envi par l'extrême gauche, l'expression de "violences policières" cristallise de forts clivages à l'Assemblée et au gouvernement, que franceinfo a tenté de décrypter.

Les députés n'en ont jamais autant parlé que lors de cette mandature

Les premières traces de cette expression sur le site de l'Assemblée nationale remontent à 1976. Le député Louis Baillot (PCF) dénonçait alors les "violences policières" dont avaient été victimes des viticulteurs de Charente. "Il élève la plus énergique protestation contre ce genre de brutalités parfaitement inutiles", indique l'archive. Quarante-quatre ans plus tard, l'expression est plus fréquente. Depuis le début de leur législature, les députés ont publié, sur Twitter, près de 400 messages utilisant l'expression "violences policières". 

Alors que les élus restaient relativement silencieux sur le sujet en début de quinquennat, un premier pic se forme en janvier 2019. Les manifestations de "gilets jaunes", qui tournent parfois à l'émeute, s'installent dans la durée, et chaque samedi fait émerger son lot d'images de violences policières, comme à Toulon, lors du 8e samedi de mobilisation. Des images documentées par le journaliste David Dufresne, qui les égrène dans des tweets pour alerter le ministère de l'Intérieur, l'opinion et les médias, contribuant à placer le sujet au premier plan. 

En janvier 2020, la mort de Cédric Chouviat et les manifestations contre la réforme du système de retraite engendrent un nouveau pic sur cette thématique. C'est le cas également en juin dernier, avec les manifestations en mémoire d'Adama Traoré (mort en 2016), en écho à la mort de George Floyd aux Etats-Unis.

L'expression "violences policières" a ainsi pris la suite d'autres thématiques, comme le "contrôle au faciès" ou les "bavures policières". "C'est une expression présente depuis longtemps dans le champ politique, mais via des acteurs issus de sphères militantes, relativement marginales. Certains représentants politiques s'en sont emparés et l'expression a pénétré le jeu politique récemment", analyse Jérémie Gauthier, sociologue spécialiste de la police.

Pour David Dufresne, "c'est un sujet ancien. On se souvient de Malik Oussekine ou de Rémi Fraisse [morts en 1986 et en 2014]. Mais jamais, depuis les années 1980, la question des violences policières, du racisme dans la police ou du rôle de l'IGPN n'a été autant débattue."

Les "insoumis" s'en emparent sur les réseaux sociaux

Pour autant, le sujet est très loin d'entrer dans le jeu politique de manière homogène. De même que le député Louis Baillot dénonçant les violences policières en 1976 était communiste, c'est à du côté de la gauche de la gauche que le sujet est le plus brandi. Dans les députés les plus actifs sur la question, on ne retrouve que des membres de La France insoumise.

La députée de Paris Danièle Obono arrive en tête, avec 133 tweets, très souvent pour relayer ses interventions médiatiques sur le sujet. A eux seuls, les députés de La France insoumise concentrent 75% des tweets sur le sujet. Un positionnement en écho à l'origine historique de la gauche radicale et de l'extrême gauche, liée aux mouvements sociaux, qui n'étonne pas Fabien Jobard, chercheur au CNRS et spécialiste de la police française. "Les 'insoumis' font le pari qu'il y a un espace sur ce sujet. Si un parti espère tirer profit, ou se greffer aux luttes et à la mobilisation des 'gilets jaunes', il est normal qu'il se saisisse de ce sujet."

Dans le classement des députés les plus actifs sur le sujet, l'un d'entre eux fait figure d'exception : Aurélien Taché, élu sous la bannière d'En marche en 2017. Alors que l'Assemblée, à l'exception des "insoumis", reste globalement silencieuse, le député du Val-d'Oise prend la parole pour dénoncer les positions du gouvernement ou de certains de ses collègues. Ce sera d'ailleurs un motif de rupture avec le parti présidentiel : en mai 2020, il annonce quitter La République en marche, et interroge le camp qu'il quitte, dépité : "Est-ce que des voix se sont élevées dans notre camp pour dénoncer les violences policières constatées dans les manifestations et dans les quartiers populaires ?" 

Du reste, quand certains députés tweetent sur le sujet, c'est parfois pour récuser l'expression. A l'image d'Aurore Bergé (LREM), qui dénonce ceux qui parlent "de violences policières plutôt que des violences contre les forces de l'ordre", ou de Marine Le Pen, qui critique le fait que "le débat médiatique tourne en boucle sur les 'violences policières'".

Les "insoumis" la martèlent à l'Assemblée nationale, contrairement à la droite

Les députés ont également fait entrer le sujet des violences policières à l'Assemblée nationale via leurs amendements, questions au gouvernement ou interventions dans l'Hémicycle. Et là aussi, les élus de La France insoumise sont en pointe sur le sujet.

 

Le député le plus actif est Ugo Bernalicis (Nord), avec notamment huit interventions dans l'Hémicycle sur le sujet. Sans oublier que les "insoumis" ont déposé collectivement 16 amendements abordant les violences policières, dans le cadre de lois sur le maintien de l'ordre ou sur la prorogation de l'état d'urgence sanitaire. 

Ailleurs dans l'Hémicycle, on trouve d'autres députés relativement actifs, à l'image de la communiste Elsa Faucillon. Le reste de la gauche se fait en revanche plus discrète. Olivier Faure, premier secrétaire du PS et député de Seine-et-Marne, prend toutefois la parole le 9 juin 2020, pour annoncer que son groupe demande la création d'une commission d'enquête parlementaire sur les violences policières. 

Dans le même temps, les députés Les Républicains se posent, eux, en premiers défenseurs des forces de l'ordre. Ils n'utilisent quasiment jamais l'expression à l'Assemblée, mais plutôt dans les médias pour la réfuter. "Les violences policières, c'est un mensonge, ça n'existe pas", déclarait ainsi Christian Jacob en juin sur Europe 1. Eric Ciotti, lui, proposait dès le mois de février 2017 d'interdire simplement "toute manifestation qui parle de violences policières". En janvier 2019, Arnaud Viala, député LR de l'Aveyron, s'est lui démarqué des collègues de son parti en employant l'expression à l'Assemblée, tout en saluant le courage des forces de sécurité et en ajoutant : "Aucun corps de notre société n'est uniformément irréprochable".

La majorité et l'exécutif rejettent cette expression

Côté LREM, peu de députés reprennent à leur compte l'expression "violences policières". Quand, en mars 2019, la députée Marie Guévenoux s'adresse au gouvernement en commission, elle ne manque pas de critiquer "certains de nos collègues n'hésitant pas à évoquer – sans preuve – des violences policières". Ces mots sont à peine employés par la députée LREM Fiona Lazaar, en juillet 2020, lors d'une mission d'information après l'article de Streetpress titré Violences en série, menaces de viols, racisme : enquête sur la police d'Argenteuil. "Ce qui ressort de ces témoignages, c'est ce sentiment d'impunité", déclare-t-elle, contrastant avec les déclarations de ses collègues. 

Cette prudence est aussi celle du gouvernement. Depuis le début de la crise des "gilets jaunes", l'exécutif a tenté de rejeter l'usage de cette expression. "Je récuse le terme de 'violence policière', la violence est d'abord dans la société", a déclaré Emmanuel Macron en janvier 2020. En demandant néanmoins au gouvernement des propositions pour améliorer la déontologie des forces de l'ordre.

Du côté de Beauvau, la volonté est la même. "Il faut arrêter de parler de violences policières, je ne connais pas de policier qui attaque des manifestants", a affirmé Christophe Castaner en mars 2019. Et plus récemment, Gérald Darmanin, une fois ministre de l'Intérieur, a déclaré devant des députés : "Quand j'entends 'violences policières', personnellement, je m'étouffe." Une raison pour expliquer la position de la droite et de la majorité, avancée par Fabien Jobard, du CNRS, est le poids de l'institution policière. "Un parti politique prétendant exercer le pouvoir ne peut pas se mettre à dos les syndicats de police", estime-t-il. Pointant au passage un paradoxe dans lequel se trouve La France insoumise.

L'enjeu central pour l'exécutif est aussi d'éviter que ces mots s'imposent dans le débat public. "Il y a une tentative d'interdit qui pèse sur l'expression même de 'violences policières'. Et définir les termes d'un débat, c'est déjà gagner le débat", juge Fabien Jobard.

En repensant à la déclaration d'Emmanuel Macron en 2017, lors de la campagne électorale, Jérémie Gauthier abonde dans ce sens. "A chaque fois qu'un représentant politique arrive en fonction, il oublie ce type d'engagement, estime-t-il. Je pense qu'il y a quelque chose de très puissant : le poids des syndicats policiers majoritaires, qui est en opposition envers toute reconnaissance de ce type de faits. Pour une partie de la classe politique, ces faits n'existent pas".

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