Cet article date de plus de quatre ans.

Mort de Steve Caniço : pourquoi le rapport de l'IGPN est critiqué

Présentées par Edouard Philippe mardi, les conclusions de l'enquête de l'Inspection générale de la police nationale sur l'intervention des forces de l'ordre le soir de la Fête de la musique à Nantes ont engendré interrogations et critiques.

Article rédigé par franceinfo
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Des pancartes en hommage à Steve Maia Caniço, jeune homme mort à Nantes, lors d'une manifestation à Toulouse, le 30 juillet 2019. (ALAIN PITTON / NURPHOTO / AFP)

Des enquêtes judiciaires sont en cours, mais celle de "la police des polices" est terminée. L'intervention des forces de l'ordre à Nantes "était justifiée et n'est pas apparue disproportionnée", conclut l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) dans sa synthèse publiée mardi 30 juillet. Selon ce document, "il ne peut être établi de lien entre l'intervention des forces de police (...) et la disparition de M. Steve Maia Caniço"

En évoquant ces conclusions, le Premier ministre Edouard Philippe a toutefois reconnu que "le déroulement de cette soirée, l'enchaînement des faits" restaient "confus", avant d'annoncer la saisine de l'Inspection générale de l'administration (IGA). Ce rapport et sa présentation, le jour de l'identification du corps de Steve Maia Caniço, ont par ailleurs suscité de vives critiques. Voici ce qui est reproché à l'enquête administrative de l'IGPN.

Parce que son contenu est jugé "partial" 

"Je crains que ce rapport ne soit rédigé d'une manière très contestable et très critiquable", a commenté l'avocate de la famille de Steve, sur Europe 1. Pour elle, cette enquête administrative a, en outre, été menée "très rapidement" : "Pas d'audition des témoins, y compris ceux qui se sont retrouvés dans l'eau au même moment que le pauvre Steve […], pas d'expertise balistique sur le nombre de projectiles lancés par la police pendant son intervention..., note l'avocate. Ce rapport est d’une partialité qui me dérange hautement", insiste-t-elle.

On ne peut pas faire un rapport sur une affaire aussi complexe en quelques jours, alors que l’on n’a pas encore le corps de la victime lorsque le rapport est rédigé, donc aucun élément médico-légal.

Me Cécile de Oliveira

sur Europe 1

"Ce n'est pas sérieux", estime aussi la journaliste Alexandra Schwartzbrod, dans son édito pour Libération au sujet de ce rapport "bouclé avant la découverte du corps de Steve". D'autres éditorialistes analysent le document, ainsi que la découverte du corps de Steve, trente-huit jours après les faits, de façon similaire. Cette situation "interroge sur le comportement des policiers, elle questionne sur la lenteur des recherches, elle interpelle sur l'impartialité du rapport de l'IGPN", juge Jean-Michel Servant dans Midi libre.

Interrogée par l'AFP, la maire de Nantes, Johanna Rolland (PS), trouve par ailleurs "troublant et inquiétant" que l'IGPN ne soit "pas en mesure de dire ce qui s'est passé dans la nuit du 21 au 22 juin dernier sur le quai Wilson à Nantes". Son adjoint PCF à la mairie Aymeric Seassau déclare avoir "honte d'imaginer qu'on puisse être dans autant de déni". Il accuse lui aussi l'IGPN de partialité, rappelant ses conclusions dans l'interpellation des lycéens de Mantes-la-Jolie et dans la mort de l'octogénaire Zineb Redouane, tuée par une grenade de désencerclement alors qu'elle fermait ses volets, à Marseille. L'IGPN avait alors écarté toute faute des forces de l'ordre.

C'est "le fonctionnement" même de l'IGPN qui "est en cause""le modèle de l’inspection interne qui aujourd’hui est en crise parce que ce sont des policiers qui enquêtent sur des collègues policiers", estime le sociologue Sébastian Roché, directeur de recherche au CNRS, interrogé par franceinfo.

Parce qu'il a été bouclé avant la découverte du corps de Steve

L'IGPN a été saisie le 24 juin de l'enquête administrative concernant l'intervention des forces de l'ordre, dans la nuit du 21 au 22, pour mettre fin à "des troubles à l'ordre public". Mardi 30 juillet, un document de dix pages a été transmis à la presse. Il s'agit de la synthèse adressée à la directrice de "la police des polices", Brigitte Jullien, par la délégation de l'IGPN à Rennes. Sur sa première page, il mentionne toutefois une "enquête administrative comprenant 235 feuillets au total". L'intégralité du document n'a pas été communiquée.

Surtout, le document est daté du 16 juillet 2019, deux semaines avant sa diffusion, qui a eu lieu le jour de l'identification du corps de Steve Maia Caniço et le jour où le parquet de Nantes annonce l'ouverture d'une information judiciaire "contre X" pour "homicide involontaire". Le choix de "garder [le rapport] en réserve pour le publier le jour où on retrouve le corps de Steve Maia Caniço est assez incompréhensible", pour le journaliste du Monde Nicolas Chapuis. 

Selon lui, le rapport a été transmis au ministère de l'Intérieur le 22 juillet et Christophe Castaner a ensuite proposé une rencontre à la famille de Steve Maia Caniço. "Rendez-vous devait être pris cette semaine et le rapport devait être communiqué ensuite à la presse", explique-t-il sur le site du Monde. "La découverte du corps a chamboulé cet agenda. Edouard Philippe a pris la décision de communiquer le rapport suite à l'authentification de la dépouille, ce qui a manifestement choqué la famille", selon ses informations.

L'avocate de la famille Caniço, Cécile de Oliveira a, pour sa part, rappelé qu'"au-delà d'être un fait divers, une affaire sensible, une affaire d'Etat, pour la famille, c'est le jour de l'annonce de la mort de leur fils (...), je leur souhaite de pouvoir avoir aussi du silence et du recueillement".

Parce que les conclusions du rapport ont été présentées par le Premier ministre

Outre la date de publication du rapport, la communication du gouvernement, mardi, a surpris. "Le chef du gouvernement prend la parole sur une affaire judiciaire en cours. C’est extrêmement gênant", a déclaré l'avocate de la famille de Steve Caniço, Cécile de Oliveira, mercredi matin, sur Europe 1D'autres professionnels du droit s'indignent aussi de ce choix. Sur Twitter, un avocat interroge le Premier ministre Edouard Philippe sur le respect de la séparation des pouvoirs et de l'indépendance de la justice.

Toutefois, pour les magistrats contactés par franceinfo, la prise de parole du gouvernement, concernant l'enquête de l'IGPN, ne pose pas de problème. "Chacun est dans ses attributions respectives", estime Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature. "Pour l'instant, le rapport administratif a été remis au ministre de l'Intérieur, on ne peut donc pas reprocher au gouvernement de communiquer sur ce dossier qui n'a pas encore été versé au dossier judiciaire", confirme Jacky Coulon, secrétaire général de l'Union syndicale des magistrats (USM).

Certains observateurs soulignent le silence du ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, pendant que le Premier ministre s'exprimait, mardi. "C'est surréaliste de voir le Premier ministre parler devant le ministre de l'Intérieur, qui est silencieux", observe Michel Wieviorka, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), auprès de franceinfo. "On a le sentiment d'un gouvernement gêné aux entournures", ajoute-t-il.

Le Premier ministre vient protéger, en quelque sorte le ministre de l'Intérieur, en prenant les choses en main.

Michel Wieviorka

à franceinfo

Pour le Rassemblement national, c'est un aveu de faiblesse. "Le ministre de l'Intérieur et sa stratégie, ou plutôt son absence de stratégie en ce qui concerne le maintien de l'ordre, que ce soit lors des manifestations de gilets jaunes ou pendant cette Fête de la musique (...) semblent complètement dépassés par les événements", estime le porte-parole du parti, Sébastien Chenu. Une critique qu'Edouard Philippe a tenté de balayer, face à la presse, mercredi. "Le ministre de l'Intérieur n'est pas fragilisé", Christophe Castaner a son "soutien" et sa "confiance", a-t-il insisté.

Dans l'opposition de gauche, certains demandent des comptes au gouvernement. "L'attitude du Premier ministre dans cette affaire n'est pas digne, a réagi sur franceinfo Ian Brossat, porte-parole du PCF, et adjoint à la mairie de Paris. Le gouvernement a mis énormément de temps à réagir à cette affaire, tout cela pour, au final, ne rien dire. C'est inquiétant", selon lui.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.