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Bretagne : qui sont les "Bonnets rouges" ?

Alors qu'ils doivent redescendre dans la rue ce samedi, francetv info a rencontré et interrogé des "Bonnets rouges" pour comprendre cette mobilisation. 

Article rédigé par Salomé Legrand - Envoyée spéciale en Bretagne,
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Les "Bonnets rouges" lors de la manifestation à Quimper (Finistère), le 2 novembre 2013.  (FRED TANNEAU / AFP)

Depuis que des militants d'extrême droite ont hué le président de la République, lundi 11 novembre, à Paris, arborant leur couvre-chef favori, ils sont quelques-uns à demander qu'on fasse la distinction entre ces faux-nez et les vrais "Bonnets rouges".

Il n'empêche, les groupes Facebook restent actifs, les appels à manifester se multiplient pour le samedi 30 novembre et la Bretagne bouillonne. Au-delà de ceux qui surfent sur un mouvement médiatique, francetv info est allé à la rencontre de ceux qui se mobilisent, à des degrés divers. Qu'ils soient anonymes ou leaders locaux, même si leur vase n'est pas tout à fait plein de la même eau, tous sans exception évoquent l'écotaxe comme "la goutte qui l'a fait déborder". Profils.

Les victimes de la crise

C'est le gros des troupes, et aussi la frange la moins remuante. Futurs licenciés de Tilly-Sabco ou de Marine Harvest, anciens d'Alcatel, de Doux ou de PSA, ils sont touchés par l'un des nombreux plans sociaux qui ont frappé la Bretagne en 2013. Sur le parking de l'usine dont ils ont été licenciés, les ex-Gad ont la mine assortie au ciel plombé. "Les 'Bonnets rouges', à la base, c'est nous, et on n'avait pas de bonnets", pestent-ils, amers.  

D'anciens salariés des abattoirs Gad, sur le parking de l'usine, à Lampaul-Guimiliau (Finistère), le 12 novembre 2013.  (SALOME LEGRAND / FRANCETV INFO)

Lire : Les Gad, toujours en lutte, déjà désabusés

Marie et son conjoint tiennent le bar-tabac-PMU-cartes postales de Lampaul-Guimiliau (Finistère), à quelques dizaines de mètres des abattoirs en question, où 839 postes ont été supprimés. Derrière leur comptoir chaleureux, ils attendent encore de recevoir leurs bonnets rouges. S'ils servent kirs, bières et cafés à un rythme régulier, ils s'attendent à une baisse de 20 à 30% de leur chiffre d'affaires. "Si on doit fermer, on fermera", marmonne la patronne, en désignant du menton les deux autres troquets de la place de l'Eglise qui ont baissé le rideau à la rentrée.

"Ils savent très bien que ça ne va pas, et ils mettent des taxes toutes les semaines", susurre le taulier, qui confie s'engager pour la première fois "par solidarité""Il est temps que toute la France s'y mette, on ne va pas tous aller vivre dans les pays de l'Est", s'inquiète-t-il, tandis que Marie se réjouit du reportage du Télégramme sur les femmes du Bangladesh qui défilent pour demander des augmentations de salaires. "A la base, le mouvement est économique, pas politique", rappelle le barman.

Il y a aussi Ronan, Carhaisien depuis sa naissance il y a 44 ans, et formateur en transport routier. Militant au MoDem, il a mis son engagement politique entre parenthèses "le temps de la mobilisation". Son employeur est directement touché car transporteur de Doux, en redressement judiciaire depuis juin 2012. "L'activité ne tient qu'à un fil. On perd encore un client et en trois jours, on dépose le bilan", s'alarme-t-il. Autour de Christian Troadec, le maire de Carhaix, il a fait partie du noyau des premiers mobilisés.

Il a aussi fait les deux manifestations autour du portique de Pont-de-Buis. "Vu comme on nous a gazés, j'ai l'impression qu'on n'est pas entendus par le haut." Et d'avertir : "Ça fait beaucoup : le Breton est fier, gentil, travailleur, mais il a horreur d'être méprisé." Il réclame la suppression de l'écotaxe et le démontage effectif des portiques par l'Etat, mais aussi "qu'on nous accepte à la table des négociations". Avec, en ligne de mire, le modèle des Länder allemands ou des régions autonomes espagnoles.

Les chefs d'entreprise et les agriculteurs

La plupart d'entre eux se mobilise pour la toute première fois. Comme Régis, assureur à Douarnenez (Finistère). L'air du bon père de famille, visage rond, rasé de près et yeux rieurs, il pose ses lunettes pour développer son propos. "On n'est pas manifestant par principe mais par conviction", explique-t-il, en entamant une interminable liste de motifs d'insatisfaction.

Les impôts, d'abord, avec la refiscalisation des heures supplémentaires, que ses employés "ont pris dans la gueule l'an dernier", à raison de 50 à 80 euros en moins par mois "pour des gens payés entre 1 250 et 1 500 euros par mois". Mais aussi la politique du gouvernement en matière d'assurances complémentaires. Ou encore la médecine du travail et la formation, pour lesquelles il paye chaque année alors que "deux fois sur trois, la formation est annulée et que [ses] salariés n'ont plus qu'une visite médicale tous les deux ans, assurée par un infirmier"

"On fait partie de la petite économie, on est nombreux mais pas unis et on a l'impression qu'on est complètement ignorés par les Parisiens qui ne voient que le CAC 40", se désole-t-il. Tout comme Anne et Paul, à la tête d'une entreprise de paysagisme et élagage, qui ne décolèrent pas. 

Lire : Paul et Anne, chefs d'entreprise autonomistes 

Anne, "Bonnet rouge" de Quimper (Finistère), lors de la manifestation du 2 novembre 2013. (FRANCETV INFO )

Valentin*, un quadra de Pornic qui participe à tous les collectifs, administre un des comptes Twitter des "Bonnets rouges". Il est en communication permanente avec tous les collectifs qui composent le mouvement. Lui, qui est aussi "Pigeon", souhaite la jonction des deux causes. A la tête d'une entreprise "proche de la grande distribution", il demande la suppression définitive de l'écotaxe ou, "au pire, son application au même moment pour toute l'Union européenne". En écho, François Palut, éleveur de porcs et délégué FDSEA, martèle que lui et ses gars resteront mobilisés tant que ne sera pas mis fin "à toutes les distorsions de concurrence".

François Palut, membre de la FDSEA Finistère, sur son exploitation d'élevage porcin à Calarnou (Finistère), le 12 novembre 2013. (SALOME LEGRAND / FRANCETV INFO)

Lire : François Palut, éleveur, "étouffé par les normes"

Les indépendantistes et les groupuscules de casseurs 

"Je rentre en Bretagne tous les week-ends car il y a urgence", explique Marc*, "Breton exilé en Vendée". "La révolte en Bretagne court depuis des années, c'est pour ça que c'est dur à cerner", explique ce régionaliste pure souche. Citant des chiffres de l'Institut de Locarn, un centre de prospective économique, il affirme : "Les Bretons sont des bons payeurs mais 80% de l'impôt payé par la Bretagne ne revient pas en Bretagne." Pour autant, il ne cautionne pas la destruction organisée du mobilier urbain.

"D'un côté, il y a des gens au bout du bout qui n'ont plus rien à perdre et qu'on ne peut plus contrôler, de l'autre, il y a pas mal de petits groupes qui vont en profiter pour s'amuser, aller à la casse", distingue Marc, pour qui la seule solution réside dans "l'arrêt du mépris jacobin". Mais il prévient : "La révolte, elle arrive, elle n'est pas finie." Une menace qui rappelle celle proférée par "Œil de faucon", un jeune hacker figurant parmi les appuis logistiques des casseurs, avec qui francetv info a essayé en vain de prendre rendez-vous. "On est proche de la remise à zéro du système", jure-t-il dans un mail. 

"Nous en sommes là, bientôt la France ne sera plus qu'un champ de ruines moral et matériel. (…) Je tire la sonnette d'alarme si un homme politique ou influent pouvait nous entendre, nous demandons juste de vivre normalement", écrit-il encore"Mettre la pression, faire brûler les représentations de l'Etat français", encourage un message posté par un autre contestataire sur l'une des pages Facebook du mouvement.

Capture d'écran d'un message posté sur un groupe Facebook de "Bonnets rouges" bretons, en novembre 2013. (SALOME LEGRAND / FRANCETV INFO)

Décriés par la majorité des "Bonnets rouges", ces "groupes fantômes", comme ils se qualifient eux-mêmes, se donnent rendez-vous par SMS à la dernière minute, pour éviter d'être repérés par les services de renseignement, et incendient à l'aide de pneus les radars, qu'ils anéantissent aussi à coups de masse. Ce qui oblige les chefs de file des "Bonnets rouges" à opérer recadrages et dénonciations à grands coups de communiqués et d'appels au calme. 

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