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Après le décollage de la fusée Ariane 5, on vous explique la mission Juice de l'Agence spatiale européenne, qui part explorer Jupiter et ses lunes glacées

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
La sonde Juice entame un voyage de huit ans dans l'espace direction Jupiter et ses lunes. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)
La plus grande planète de notre système solaire compte des satellites exceptionnels, dont certaines caractéristiques rappellent celles d'exoplanètes.

Direction Jupiter. Après un report lié à la météo jeudi, la mission Juice a décollé, vendredi 14 avril, à 14h14 heure de Paris, depuis la base de Kourou (Guyane) pour rendre visite à la plus grande planète de notre système solaire. Juice ("jus", en anglais) est la contraction de "Jupiter and Icy Moons Explorer", qui se traduit par "explorateur de Jupiter et des lunes glacées". La mission vise autant à comprendre la géante gazeuse que ses principaux satellites naturels. Voici ce qu'il faut savoir de cette ambitieuse mission de l'Agence spatiale européenne (ESA).

1 A quoi va ressembler la mission Juice ?

La sonde Juice entame un voyage de huit ans dans l'espace. Cet engin de 6,2 tonnes – avec ses 10 instruments scientifiques, son antenne de 2,50 mètres de diamètre et ses 85 m2 de panneaux solaires – sera lancé depuis Kourou par une fusée Ariane 5.

La sonde européenne Juice déballée lors de son arrivée sur la base de Kourou (Guyane), le 9 février 2023. (ESA-CNES-ARIANESPACE / OPTIQUE VIDEO DU CSG / S. MARTIN)

La route sera sinueuse, car il est impossible d'atteindre Jupiter par une trajectoire directe. Juice devra donc compter sur l'assistance gravitationnelle de la Terre, puis celle de Vénus et n'arriver dans les environs de Jupiter et ses lunes qu'en 2031. L'ESA a partagé cette infographie qui détaille les principales étapes de ce long périple.

Une fois sur place, le vaisseau qui comptera déjà quelque deux milliards de kilomètres au compteur devra s'insérer dans l'orbite de Jupiter au terme d'un freinage réalisé en totale autonomie. Une manœuvre délicate. De là, la sonde inspectera le système jovien, survolera 35 fois ses lunes, avant de se placer en orbite autour de Ganymède, la plus grosse. C'est là que Juice achèvera sa mission en 2034. Cette échéance est celle prévue dans le programme initial, mais les scientifiques contactés par franceinfo se montrent confiants quant à une prolongation de la durée de la mission.

2 Où se trouve Jupiter ?

C'est la cinquième planète en partant de notre soleil. La Terre, elle, arrive en troisième position. Jupiter appartient à ce que les scientifiques appellent le "système externe", la partie de notre système solaire qui se trouve au-delà de Mars. Le "système interne" comprend Mercure, Venus, la Terre, et Mars.

Illustration représentant notre système solaire. La Terre est la troisième planète en partant du Soleil, Jupiter est la cinquième. (THE INTERNATIONAL ASTRONOMICAL UNION / MARTIN KORNMESSER / ESA)

L'image ci-dessus ne rend pas compte des distances. Jupiter se trouve à une moyenne de 775 millions de kilomètres de la Terre. Saturne, dont on connaît les anneaux grandioses, se situe en moyenne à 1,4 milliard de kilomètres. Une vue plus précise est disponible sur le site de la Nasa (en anglais).

3 Que reste-t-il à découvrir de Jupiter ?

Si le système externe ne nous est pas inconnu, il reste plus mystérieux que le système interne. Mars, par exemple, est actuellement le terrain d'exploration des robots américains Curiosity, Perseverance, de l'hélicoptère Ingenuity ou encore du robot chinois Zhurong. Jupiter, elle, demeure encore relativement peu explorée. La sonde Galileo lui a bien rendu visite. Mais son décollage remonte à 1989.

"Il faut se rendre compte que nous n'avons pas tellement étudié le système solaire externe."

Athéna Coustenis, membre du comité scientifique de la mission Juice

à franceinfo

La sonde Juno, lancée en 2011, s'est placée en orbite autour de cette géante gazeuse en 2016. Elle avait aussitôt capturé des images surprenantes, même pour les spécialistes. "Les premiers clichés du pôle Nord de Jupiter nous paraissent être complètement différents de ce que nous avons vu ou imaginé auparavant", déclarait alors Scott Bolton, principal scientifique de la mission. Depuis, la sonde a pris de nombreuses autres photos, comme celle-ci.

Des nuages chaotiques au pôle Nord de Jupiter, photographiés par la sonde Juno le 26 décembre 2019. (NASA / JPL-CALTECH / SWRI / MSSS)

Beaucoup de caractéristiques de Jupiter, 318 fois plus massive que la Terre, restent à éclairer. Parmi elles, les circulations dans son atmosphère qui diffèrent selon les altitudes (avec des vents jusqu'à 1 450 km/h et des grêlons d'ammoniaque), ou encore la genèse des "vents zonaux". Ces derniers, à l'origine des bandes de couleurs qui habillent la planète, seraient produits "par des structures tourbillonnaires profondes, non détectées pour l'instant", explique le CNRS. Juice doit contribuer à l'élaboration d'une carte des vents stratosphériques grâce à ses 67 orbites autour de Jupiter.

Jupiter, la plus grande planète de notre système solaire, et sa lune Europe (à gauche), capturées par le téléscope spatial Hubble, le 25 août 2020. (NASA / ESA / STSCI / A. SIMON, M.H. WONG AND THE OPAL TEAM)

La grande tache rouge de la planète n'a pas non plus livré tous ses secrets. Il s'agit d'un anticyclone d'environ 15 000 km de long (et donc plus large que la Terre), qui rétrécit et pourrait, selon le CNRS, disparaître d'ici à trente-cinq ans.

Le champ magnétique de Jupiter, jusqu'à 20 fois plus puissant que celui de la Terre, intrigue toujours les scientifiques. Il va jusqu'à 5 millions de km en direction du Soleil alors que de l'autre côté, il forme une queue longue d'environ 700 millions de km. Si des zones d'ombre subsistent, l'existence de ce champ magnétique est liée à une configuration qui fait consensus, explique Benoit Langlais.

"La structure interne de Jupiter comporte une couche fluide qui conduit de l'électricité et qui est en mouvement. Nous savons que ce n'est pas du fer liquide, comme sur Terre ou sur Mercure, mais que c'est une couche d'hydrogène à très haute pression, qui prend alors les propriétés d'un métal."

Benoît Langlais, chercheur CNRS au Laboratoire de planétologie et géosciences

à franceinfo

Contrairement à ce que l'on observe sur Terre ou sur les planètes rocheuses en général, le champ magnétique de Jupiter n'est pas causé par des mouvements en profondeur, mais relativement "en surface". Sur Jupiter, les éléments en profondeur se trouvent sous forme solide, et ne sont pas en mouvement.

4 Quelles lunes vont être observées ?

Jupiter compte environ 90 satellites. Tous ne présentent pas le même intérêt scientifique, et la même taille. Les principaux sont qualifiés de "galiléens", après leur découverte par l'Italien Galilée en 1610. Ils sont au nombre de quatre : Io, Europe, Ganymède, Callisto, dans l'ordre selon leur distance par rapport à Jupiter. Io ne fait pas partie des cibles principales, car sa proximité avec la planète l'expose davantage à son puissant champ magnétique, augmentant les risques d'endommager les instruments embarqués. Un "regret", pour Olivier Grasset, du Laboratoire de planétologie et géosciences, qui a porté la proposition de mission auprès de l'ESA. En effet, Io, avec ses quelque 400 volcans, est la zone volcanique la plus active de notre système solaire.

Io, lune volcanique de Jupiter, prise en photo par le satellite Galileo, le 3 juillet 1999. (NASA / JPL / UNIVERSITY OF ARIZONA)

En revanche, les trois autres lunes principales sont au menu de Juice. "Une caractéristique originale des trois lunes glacées de Jupiter est la possible présence d'eau liquide, à quelques kilomètres sous la glace pour Europe, plus profondément pour les autres", écrit le spécialiste sur le site du CNRS.

Europe. Elle orbite à environ 671 100 km de Jupiter. Pour de nombreux scientifiques, ce satellite de quelque 3 100 km de diamètre est la meilleure chance de trouver de la vie microbienne dans le système solaire. Le réservoir d'eau liquide sous la croûte d'Europe pourrait mesurer une centaine de kilomètres d'épaisseur.

Europe, l'une des lunes de Jupiter, prise en photo par la sonde Juno, le 29 septembre 2022. (NASA / JPL-CALTECH / SWRI / MSSSIMAGE)

Ganymède. C'est le plus grand satellite présent dans notre système solaire. Avec un diamètre de 5 260 km, Ganymède est plus imposante que la planète Mercure (4 878 km). Ce corps, qui orbite à 800 000 km de Jupiter, présente la particularité d'être l'un des seuls satellites à disposer de son propre champ magnétique, synonyme d'importants mouvements internes.

Ganymède, le plus grand satellite de Jupiter, et le plus grand satellite de notre système solaire, capturé par la sonde Juno, le 7 juin 2021. (NASA / JPL-CALTECH / SWRI / MSSS / KALLEHEIKKI KANNISTO)

Cette lune est présentée comme l'un des objectifs principaux de l'opération. Juice doit d'ailleurs achever sa mission en se plaçant en orbite autour de Ganymède. Une prouesse technique : c'est la première fois qu'un objet de fabrication humaine se placera autour d'un satellite autre que la Lune. De quoi récolter une énorme quantité de données.

"En se mettant en orbite autour de Ganymède, la masse d'informations est 100 ou 1 000 fois supérieure à un survol."

Benoit Langlais, chercheur CNRS au Laboratoire de planétologie et géosciences

à franceinfo

Callisto. La plus éloignée des lunes galiléennes orbite à 1 880 000 km de Jupiter. Sa surface est constellée de cratères lui donnant l'apparence d'une balle de golf. Callisto doit être survolée 21 fois par Juice.

Callisto, l'un des principaux satellites de Jupiter, capturé par la sonde Galileo en mai 2001. (NASA / JPL / DLR)

Athéna Coustenis souligne que sa surface est très probablement la plus vieille de notre système solaire.

"C'est un satellite dont on ne connaît pas grand chose, mais c'est le meilleur témoin des temps primitifs."

Athéna Coustenis, membre du comité scientifique de la mission Juice

à franceinfo

5 Pourquoi étudier Jupiter et ses satellites ?

"Aller observer d'autres planètes permet de mieux comprendre ce qu'il s'est passé ailleurs que sur la Terre, d'affiner nos modèles de formation planétaire", explique Benoit Langlais. Les observations de Juice vont donc faire progresser nos connaissances sur notre système solaire, Jupiter et ses lunes. "L'intérêt pour les satellites des planètes géantes est assez nouveau. Avant, on pensait qu'il s'agissait de mondes morts", rappelle Athéna Coustenis.

Mais au-delà de notre voisinage, les données recueillies par la sonde européenne vont également aider les scientifiques à mieux comprendre les exoplanètes, qui se trouvent hors de notre système solaire, et leurs éventuelles lunes (on parle alors d'exolunes). Parmi les quelque 5 000 exoplanètes découvertes jusqu'à maintenant, beaucoup sont des géantes gazeuses, comme Jupiter. "Pourquoi ne verrions-nous pas des corps de la taille de la Terre orbiter autour d'exoplanètes qui sont des super Jupiter ?", s'interroge Benoit Langlais. "Dans notre système, on a déjà une centaine de satellites. On peut potentiellement parler de dizaines de milliers d'exolunes", et donc de nombreuses potentielles cousines de la Terre, s'enthousiasme Athéna Coustenis.

"Dans l'étude des conditions d'émergence de la vie et de son maintien, on va se focaliser à l'avenir sur les exolunes."

Athéna Coustenis

à franceinfo

Sans s'avancer sur les exolunes, Olivier Grasset préfère souligner que Ganymède et Callisto "sont les modèles réduits de ce que peut être une exoplanète riche en eau", avec "des océans piégés entre une surface glacée et un noyau dur". Etudier Jupiter et ses lunes pourrait donc nous éclairer sur les nouveaux mondes lointains. Avec, en toile de fond, une question récurrente : une forme de vie est-elle apparue ailleurs que sur Terre ?

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