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Vrai ou faux Covid-19 : peut-on dire qu'il n'y a pas eu de tri des patients à l'hôpital, comme l'affirme Emmanuel Macron ?

Les services de réanimation définissent au quotidien des patients prioritaires, estimant le bénéfice d'une admission pour chacun. Avec la crise sanitaire, les critères médicaux sont devenus plus stricts. Les professionnels assurent cependant que le tri a été très limité, au prix d'une forte mobilisation de l'hôpital.

Article rédigé par Pauline Lecouvé, Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Un patient malade du Covid-19 pris en charge dans une unité de soins critiques, à l'Institut Mutualiste Montsouris, à Paris, le 31 janvier 2021. (ANDRE ALVES / HANS LUCAS / AFP)

Une interview riche en petites phrases polémiques. Dans son long entretien avec les lecteurs du Parisien, mardi 4 janvier, Emmanuel Macron a d'abord déclaré qu'il avait "très envie" "d'emmerder" "les non-vaccinés". Le chef de l'Etat a aussi taxé les "antivax" d'être des irresponsables, ajoutant qu'"un irresponsable n'est plus un citoyen". Une troisième déclaration du président de la République au sujet de l'épidémie de Covid-19 a attiré l'attention de franceinfo.

Le chef de l'Etat a affirmé qu'en dépit de l'afflux de malades, les hôpitaux n'avaient pas eu à trier les patients depuis le début de la crise sanitaire. "Le tri, ça a un sens. Cela veut dire que quelqu'un arrive aux urgences et qu'on dit : 'Non, on ne le prend pas'. C'est une ligne rouge pour moi", a déclaré Emmanuel Macron, asssurant : "Nous n'avons jamais été confrontés à ça. Aujourd'hui, il n'y a pas de tri." Mais dit-il vrai ou fake ?

Définir les patients prioritaires, une pratique habituelle

Le "tri" est un mot du vocabulaire médical qui fait référence à une pratique courante dont les soignants rappellent qu'elle n'a pas le même sens que dans le langage courant. Il s'agit avant tout de définir qui sont les patients prioritaires, en évaluant le bénéfice d'un traitement, comme l'explique Jean-Michel Constantin, chef du service anesthésie-réanimation à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière. "Il y a toujours du tri en réanimation, parce que la réanimation, c'est très éprouvant. Ça ne vaut le coup que si on a un espoir de retour à un état satisfaisant. C'est un pari." 

Pour Jean-Michel Constantin, il s'agit avant tout de ne pas aller à l'encontre de l'intérêt du patient. "On prend plus volontiers le pari sur un jeune de 15 ans que sur une personne de 80 ans avec une métastase. Sur le plan médical, on peut appeler ça du 'tri'. Mais pour sortir du jargon médical, on peut appeler ça de la 'priorisation'." 

"Je pense que ce n'est pas une chance de venir mourir en réanimation. Ça m'arrive de refuser des patients, même si j'ai quatre places libres, parce qu'il n'y a aucune chance d'amélioration."

Jean-Michel Constantin, chef du service anesthésie-réanimation de la Pitié-Salpêtrière

à franceinfo

Le tri des patients à l'hôpital repose sur des critères médicaux, afin de prendre la meilleure décision pour chaque cas. Bruno Megarbane, chef du service de réanimation médicale de l'hôpital Lariboisière, rappelle l'importance de ne pas pratiquer d'acharnement thérapeutique. "Depuis toujours, en réanimation, on fait un tri basé sur des critères médicaux. Nous avons des moyens médicaux très puissants. Mais il ne faut les appliquer qu'aux personnes qui ont une chance de survie en bonne condition. Si on poursuivait les soins, certains pourraient survivre, mais grabataires ou amputés."

Avant même le début de l'épidémie de Covid-19, la réduction du nombre de lits d'hôpitaux forçait cependant déjà les services de réanimation à trier leurs patients, rappelle Djillali Annane, chef du service de réanimation de l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches. "C'est le quotidien, c'est quelque chose qu'on gère en dehors de la pandémie. En hiver, en Ile-de-France, quand il y a des grippes très sévères, on est souvent confrontés à des situations ou à plus de demandes que de lits disponibles. Alors on passe notre temps, en tant que réanimateurs, à rationaliser l'admission en réanimation, car c'est une ressource rare."

"Lorsqu'on a un lit disponible pour trois prétendants à la réanimation, on est bien obligé de choisir. Si la ressource est rare, on est obligé de sélectionner."

Djillali Annane, chef du service de réanimation de l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches

à franceinfo

Un tri plus strict depuis le début de la crise sanitaire

L'afflux de patients provoqué par la crise sanitaire a mis sous tension les services de réanimation et conduit les médecins à un tri plus strict encore. Dès le début de l'épidémie, en mars 2020, des recommandations ont été émises par l'Agence régionale de santé (ARS) d'Ile-de-France, par la Société française d'anesthésie-réanimation et le Service de santé des armées, par la Conférence nationale de santé (PDF) ou encore par le Comité consultatif national d'éthique (PDF).

"Les critères médicaux d'admission en réanimation était un peu plus stricts que d'habitude, relate Bruno Megarbane. Les patients qu'on a refusés avaient des risques de mortalité extrêmement élevés et ont plutôt bénéficié de soins palliatifs. En temps normal, ils auraient peut-être été pris en réanimation."

A la Pitié-Salpêtrière, Jean-Michel Constantin assure cependant que, depuis le début de l'épidémie, aucun patient pour qui la réanimation représentait un bénéfice médical n'en a été écarté. "Je crois qu'on peut affirmer qu'on n'a jamais eu besoin de trier en dehors de critères médicaux de bénéfice de la réanimation", assure-t-il.

"En toute honnêteté, j'ai pu soigner tous ceux qui devaient aller en réanimation. Il n'y a pas eu de tri dans le sens où des personnes qui auraient dû avoir la chance d'être réanimées mais n'ont pas pu l'être."

Jean-Michel Constantin, chef du service anesthésie-réanimation à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière

à franceinfo

Les Hôpitaux civils de Lyon affirment également à franceinfo qu'aucun tri de patients ayant des chances de survie en bonne condition n'y a été effectué. "Il n'y a jamais eu aucun tri concernant les patients, quelles que soient les vagues, que ce soit dans les soins critiques, en médecine ou aux urgences. En réanimation, nous avons toujours eu des lits d'avance dans la région, nous permettant de faire face."

Une mobilisation humaine et matérielle hors norme

A l'échelle nationale, Emmanuelle Durand, médecin au service d'anesthésie et de réanimation du CHU de Reims, estime que "le tri a été réduit à son minimum" et qu"'il y a eu des dégâts très limités". Si un tri drastique a pu être évité, c'est grâce à "une très très forte mobilisation de l'hôpital dès la première vague", juge la vice-présidente du Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes réanimateurs élargi aux autres spécialités (SNPHARE). Les soignants n'ont pas compté leurs heures et ont renoncé à leurs congés, les étudiants et réservistes ont été appelés en renfort, d'autres travaillant dans des zones plus épargnées par l'épidémie sont allés prêter main forte à leurs collègues des régions les plus touchées... S'ajoutent à cet effort considérable, "un déploiement énorme" de moyens et une "grande organisation" à l'échelle nationale. 

Des places de réanimation ont été créées de toutes pièces, en convertissant des services hospitaliers. De 5 080 lits de réanimation fin 2019, l'hôpital public est passé à 10 705 au pic de la première vague, le 15 avril 2020, selon un rapport d'information du Sénat (PDF). Des transferts de patients par TGV ou par avion ont permis à des centaines de malades hospitalisés dans des hôpitaux saturés d'être pris en charge dans des services de réanimation d'autres régions.

Des patients d'outre-mer ont été transférés dans l'Hexagone depuis La Réunion (en mars 2021) ou la Polynésie (en septembre 2021). Des soignants hexagonaux ont aussi répondu par dizaines à l'appel à la solidarité nationale, partant prêter main forte à leurs collègues ultra-marins, en août 2021 notamment. Plusieurs praticiens hospitaliers interrogés par franceinfo estiment toutefois que la situation a été plus critique encore en outre-mer.

"On n'en est plus à sauver les gens dans une médecine de catastrophe, sauf ce qui est sauvable""avec un tri des patients", racontait en août 2021 sur franceinfo l'urgentiste Olivier Bertet depuis le CHU de Fort-de-France (Martinique). L'afflux de patients était "tellement énorme" que les soignants avaient dû "installer jusqu'à 17 personnes sur des brancards dehors, sans oxygène parce qu'on n'avait plus de bouteille". Le médecin expliquait également que la "limite d'âge d'accès à la réanimation (...) descend(ait) de plus en plus", "à 60" ans.

Même tension à la même période à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe). Marc Valette, chef du service réanimation du Centre hospitalier universitaire, racontait à franceinfo la "priorisation des malades""On y est contraint, cela fait partie de la médecine de catastrophe que nous sommes obligés de pratiquer, car nous n'avons plus de places disponibles sur le territoire, malgré le fait que nous ayons triplé nos places en réanimation." Le médecin confiait essayer avec ses collègues de "prendre les moins mauvaises décisions, qui restent inhumaines, puisqu'elles nous conduisent à prioriser les patients qui ont le plus de chance de s'en sortir".

"La déprogrammation, c'est le seul moyen d'y arriver"

Pour faire face à l'épidémie, l'hôpital est depuis deux ans contraint de procéder à une autre forme de tri : une sélection entre les malades du Covid-19 et les autres. Vague après vague, les autorités sanitaires ont dû décider de déprogrammer des consultations et des opérations jugées non urgentes, afin de libérer de la place dans les services. "Si l'hôpital tient, c'est au prix de déprogrammations nombreuses", soulignait fin décembre sur franceinfo Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France et maire Agir de Fontainebleau (Seine-et-Marne).

En mars 2020, alors que la France subissait sa première vague, le ministère de la Santé a ordonné les premières déprogrammations. Un an plus tard, en mars 2021, face à la troisième vague, l'ARS d'Ile-de-France a décidé de déprogrammer 40% des interventions, puis 80%. Le scénario se répète avec la cinquième vague, à Marseille. "La déprogrammation, c'est le seul moyen d'arriver à accueillir des gens porteurs d'un Covid-19, et notamment ceux qui ont des Covid graves qui vont en réanimation", explique à franceinfo Jean-Luc Jouve, président de la commission médicale d'établissement de l'Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM). "Pour des pathologies très sérieuses et vitales, pour l'instant, on parvient à opérer les choses qui sont urgentes, c'est-à-dire les accidents, la traumatologie, la cancérologie, les problèmes cardiaques ou neurochirurgiens aigus. Mais il y a des patients qui ne pourront pas attendre tout le mois de janvier pour qu'on les opère."

Retards de diagnostic et de traitement de cancers, reports d'opérations de chirurgie orthopédique... Ces déprogrammations ne seront pas sans conséquences sur la santé des patients concernés, avertissent les praticiens hospitaliers. Il y a "inévitablement, pour certaines de ces personnes, des risques de perte de chances réelles que l'on mesure mal, mais qui néanmoins vont peser et qui sont dans le quotidien de beaucoup de Français", reconnaît Frédéric Valletoux. "On se retrouve confrontés maintenant à une situation où on n'arrive pas à reprendre le cours des choses et on a des patients dont l'état de santé s'aggrave et qu'on n'arrive pas à prendre en charge dans les bons délais", confirme Emmanuelle Durand.

Une étude britannique parue en novembre 2020 dans le British Medical Journal (en anglais), analysant une trentaine de travaux publiés, avait calculé que chaque mois de retard entre le diagnostic et le début des traitements entraînait une hausse du risque de mortalité de 6 à 8%, selon le type de cancer. Le président de la Ligue nationale contre le cancer, Axel Kahn, avait estimé, à la vue des travaux, qu'en France, cela représentait une surmortalité d'au moins 13 500 morts dans les cinq à six ans à venir.

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