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"Emmerder" les antivax : derrière la phrase choc, la stratégie calculée d'Emmanuel Macron

Les propos du chef de l'Etat tenus face à des Français lors d'une rencontre organisée par "Le Parisien" font bondir l'opposition et provoquent une vague de commentaires dans les médias. Mais ces déclarations sont bien loin d'être une sortie incontrôlée. 

Article rédigé par Clément Parrot, Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Emmanuel Macron à l'Elysée, le 20 décembre 2021. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)

Mardi 4 janvier, 20h46. Les débats se sont enfin apaisés à l'Assemblée lorsqu'une "exclu" du Parisien s'affiche sur les téléphones portables des politiques et journalistes. Il s'agit d'une longue interview du président de la République réalisée par des lecteurs du journal. Les sujets abordés sont nombreux, mais c'est une petite phrase qui va mettre le feu aux poudres jusqu'à faire dérailler, pour la seconde fois, l'examen du pass vaccinal par les députés. "Eh bien, là, les non-vaccinés, j'ai très envie de les emmerder. Et donc on va continuer de le faire, jusqu'au bout. C'est ça la stratégie", déclare Emmanuel Macron.

La bronca de l'opposition est unanime et immédiate. De La France insoumise au Rassemblement national, les parlementaires s'indignent de la familiarité du chef de l'Etat mais aussi de ce qui est interprété comme une volonté de diviser les Français. Ces déclarations sont pourtant tout sauf improvisées. Pour preuve, l'interview a été relue par plusieurs conseillers de l'Elysée qui ne l'ont pas modifiée. "Il n'y a pas eu de discussion sur le terme", glisse un conseiller d'Emmanuel Macron. "Tout cela est pensé, la stratégie est millimétrée", estime le politologue Rémi Lefebvre. Le Palais savait pertinemment quelles réactions susciterait cette petite phrase. "On sait très bien que c'est le mot qui ressort, mais c'est quelque chose qui est assumé. C'est de l'ordre du combat politique", défend ce même conseiller.

"Il faut arrêter de faire les chochottes"

Au lendemain de cette interview choc, la majorité fait bloc derrière le président en reprenant ses propos. "Il faut arrêter l'hypocrisie ! Une petite minorité fait peser une menace sur la population, eh bien, oui, y compris pour leur bien, on va les emmerder", s'agace Jean-Marc Dumontet, producteur de spectacles à Paris et proche du chef de l'Etat. A l'Elysée, on se défend de tout "mépris" ou "petite phrase" mais on espère que ce genre de propos "aidera à réveiller certaines consciences". On se félicite d'ailleurs "des réactions des médecins" qui approuvent ces déclarations.

"C'est un président qui 'descend dans l'arène' pour protéger tous les Français grâce au vaccin."

L'Elysée

à franceinfo

Voilà l'image recherchée par l'Elysée : un président qui va au combat pour protéger les Français. La familiarité du propos est là pour jouer la proximité. "Il faut arrêter de faire les chochottes. Il arrive au président de parler comme les Français et il a compris qu'il était mieux compris par les Français quand il parlait comme eux", assure François Patriat, le chef de file des sénateurs LREM, qui glisse que "du côté des antivax, il y a bien plus brutal".

L'idée assumée est de parier sur cette majorité silencieuse contre ceux qui refusent la vaccination. "On a fait preuve de suffisamment de tolérance pour oser parler cash et dire ce que tout le monde pense, sans fioriture", glisse un conseiller ministériel. "Il ne faut pas aller chercher midi à 14 heures, le président parle cash, trash et dit tout haut ce que les Français pensent tout bas", veut croire François Patriat. "Ce qu'a dit le président de la République, je l'entends partout", a confirmé le Premier ministre, Jean Castex, aux sénateurs.

Les députés de la majorité n'en pensent pas moins. "On a quand même tout essayé en un an (…) Aujourd'hui, il ne reste plus que la contrainte pour motiver ceux qui restent", soutient Damien Adam, député de Seine-Maritime. D'autres sont néanmoins plus circonspects sur le choix des mots. "La seule chose que je peux vous dire, c'est qu'au fond il a raison", glisse le député Sacha Houlié, sans se prononcer sur les termes choisis. "On peut être interrogatif sur la forme", concède un conseiller ministériel qui a plus d'états d'âme sur l'autre déclaration remarquée du président : "Quand ma liberté vient menacer celle des autres, je deviens un irresponsable. Un irresponsable n'est plus un citoyen." "Irresponsable, oui. Mais 'n'est plus citoyen' est peut-être en trop", estime ce conseiller. 

"Il est redevenu le maître du temps"

Avec son interview, Emmanuel Macron adopte un "stratagème du clivage très net, qui permet de remobiliser son électorat tout en créant une forme d'hystérisation du débat", analyse le politologue Rémi Lefebvre. "Il s'adresse à son électorat et au monde des soignants, même si l'on ne peut pas le dire puisqu'il doit en théorie s'adresser à tous les Français", complète un poids lourd de la majorité.

Le chef de l'Etat parvient en tout cas à se placer au centre du jeu politique, se réjouit le député MoDem Christophe Jerretie. "Il est redevenu le maître du temps. La preuve : vous en parlez tous, les politiques ne parlent que de ça, il a donc gagné." 

"Le président a compris que les oppositions sont devenues des commentatrices politiques et qu'elles ont une position ambiguë sur le pass vaccinal."

Christophe Jerretie, député MoDem

à franceinfo

Les réactions épidermiques à l'Assemblée semblent prouver que le chef de l'Etat a fait mouche. "Il faut juste faire attention à ce qu'il ne se retrouve pas face à un front commun de l'opposition. Cela pourrait être dommageable en définitive dans l'opinion", prévient un conseiller ministériel.

Pour Rémi Lefebvre, le président de la République a très bien étudié les enquêtes du Cevipof, qui montrent notamment des électorats de gauche polarisés sur la question du vaccin. "Il cherche donc à tenir le discours de la raison face aux antivax pour séduire cet électorat de gauche, d'autant qu'il ne peut pas le faire sur d'autres registres, car il ne va pas changer de politique économique…" explique le politologue.

Un "piège" tendu aux Républicains

Du côté de LR, on flaire le piège tendu par le président en pleine campagne électorale. Le groupe Les Républicains est divisé depuis le début de la semaine à l'Assemblée sur l'attitude à adopter vis-à-vis du pass vaccinal, et les propos d'Emmanuel Macron risquent de braquer un peu plus les opposants au projet de loi. "La stratégie, c'est d'essayer d'isoler l'opposition LR et, effectivement, le groupe se retrouve quand même bousculé, admet le député LR Philippe Gosselin. On voit le trou et les piques en dessous… Il faut faire attention à ne pas tomber dans le piège, mais ce n'est pas évident."

"Si le texte sur le pass vaccinal est là pour emmerder les gens, on ne peut pas le voter… Et d'un autre côté, on ne veut pas passer pour des inconscients ou des irresponsables."

Philippe Gosselin, député LR

à franceinfo

En polarisant le débat, le chef de l'Etat chercherait à affaiblir Valérie Pécresse par rapport à ses concurrents d'extrême droite, croit savoir l'opposition LR. "Il veut braquer une partie de la population avec un calcul électoral. Il espère que ça ira vers des candidatures radicales. C'est du cynisme", analyse de son côté un ancien candidat à la primaire de la droite. "La stratégie est assumée, complète Philippe Gosselin. C'est un peu du Mitterrand qui avait instrumentalisé le FN dans les années 1980. Mais attention, le contexte n'est pas le même. En pleine crise pandémique, avec des menaces de mort qui arrivent dans les boîtes aux lettres des parlementaires… C'est un jeu extrêmement dangereux." Le scrutin du printemps dira si la stratégie choisie était la bonne. 

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