Cet article date de plus de deux ans.

Reportage Dans le Var, épicentre de l'opposition au pass sanitaire : "Soit on se couche et on meurt, soit on se lève et on se bat"

Article rédigé par franceinfo, Charles-Edouard Ama Koffi
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Plusieurs centaines de personnes participent au meeting des Patriotes et de l'avocat Fabrice Di Vizio contre le pass sanitaire à Hyères (Var), le 12 août 2021.  (CHARLES-EDOUARD AMA KOFFI / FRANCEINFO)

Franceinfo est allé dans ce département de Provence-Alpes-Côte d'Azur à la rencontre des opposants au pass sanitaire et au vaccin contre le Covid-19, qui manifestent, plus nombreux chaque samedi.

La contestation contre le pass sanitaire s'est trouvée une nouvelle capitale. Devant Paris, Toulon est devenue, samedi 7 août, la ville qui a regroupé le plus grand nombre de manifestants. Quelque 19 000 personnes s'y sont rassemblées, selon le décompte de la préfectureUn record national. Pour ce samedi 14 août, les autorités s'attendent à une mobilisation plus importante encore, dans la préfecture du Var, comme dans le reste du pays. Parmi les manifestants toulonnais, il y aura Sylvie. Cette infirmière à la retraite a prévu de se déplacer de son village de Pierrefeu-du-Var pour rejoindre la place de la Liberté, en compagnie des autres opposants au pass sanitaire, comme chaque samedi depuis le 24 juillet. 

Malgré ses 67 ans et son historique médical qui la place parmi les personnes immunodéprimées donc à risque face au Covid-19, la retraitée refuse de se faire vacciner. "Je ne prendrai pas de risque avec ce vaccin, puisque ce virus n'en nécessite pas", affirme-t-elle. Il faut le soigner avec un traitement comme l'hydroxychloroquine ou l'ivermectine." Deux médicaments dont l'efficacité face au coronavirus n'est pourtant pour l'heure ni prouvée ni reconnue, comme l'a expliqué franceinfo ici et . Mais qu'importe pour Sylvie, persuadée qu'il y a un "conflit d'intérêts entre le gouvernement et les labos" qui ont développé les vaccins, sans pouvoir dire lequel. L'ancienne soignante assure ne pas être "complotiste", juste "lucide et pragmatique."

"Un avant et un après l'allocution d'Emmanuel Macron"

Pour cette grand-mère de cinq petits-enfants, "il y a un avant et un après l'allocution d'Emmanuel Macron" du 12 juillet, au cours de laquelle le président a notamment annoncé l'extension du pass sanitaire. Pour moi, c'était un coup d'Etat et un attentat dans sa violence verbale", assène l'ex-infirmière. Si la sexagénaire manifeste avec acharnement, c'est parce qu'en "2021, devoir sortir un papier pour prendre un café en terrasse, c'est très grave". Celle qui a été "deux fois femme de militaire de carrière" et a la "France chevillée au corps" se voit, avec ses camarades de manifestation, comme une "résistante". "En 1940, il y avait une minorité de résistants et le mouvement a pris, aujourd'hui la symbolique est la même", croit-elle.

"Soit on se couche et on meurt, soit on se lève et on se bat, pas dans la violence, mais en étant dans la rue. C'est ça la résistance. C'est le pendant de la liberté."

Sylvie, opposante au pass sanitaire

à franceinfo

"Liberté". Le mot revient aussi, scandé par les manifestants qui entourent Florian Philippot, jeudi 12 août, à Hyères. Le leader du mouvement Les Patriotes a organisé un nouveau rassemblement dans ce Sud-Est hostile au pass sanitaire et au vaccin contre le Covid-19. L'ancien bras droit de Marine Le Pen a depuis des mois fait de cette lutte son nouveau cheval de bataille. Parmi la centaine de manifestants, certains hurlent leur colère contre Emmanuel Macron, qu'ils souhaitent voir "en prison".

Aux abords de la manifestation, Brigitte, une agente d'accueil administrative, est l'une des rares à porter le masque, pourtant redevenu obligatoire en extérieur dans le département. "J'ai l'impression d'avoir été une bonne élève depuis le début. J'ai respecté toutes les heures de sortie pendant les confinements à la minute près, je n'ai plus embrassé ma mère depuis un an et demi, énumère-t-elle. Je suis pacifique et modérée, mais l'allocution de Macron a été trop violente, estime-t-elle. Avec ce pass, on est en train de donner des outils dangereux. Je crois que ça ira plus loin que la simple utilisation sanitaire." Autour d'elle, plusieurs autres manifestantes acquiescent. "Il y a eu un déclic chez beaucoup de gens", approuve l'une d'elles. Comme Sylvie, Brigitte aussi boude ce vaccin, dans lequel elle n'a pas confiance. 

Une soignante d'un hôpital de Toulon participe au meeting de Florian Philippot, président des Patriotes, contre l'extension du pass sanitaire à Hyères (Var), le 12 août 2021. (CHARLES EDOUARD AMA KOFFI / FRANCEINFO)

Chez certains, l'intervention du président de la République semble avoir eu l'effet inverse de celui escompté. "J'allais me faire vacciner mais son discours m'a fait basculer du côté obscur, sourit William*, gérant d'un café-restaurant à Toulon. Pourquoi forcer les gens ?" Le gouvernement aurait dû "faire autrement", selon lui. Depuis, le restaurateur ne cache pas son scepticisme face au vaccin.

Après quelques minutes à discuter du pass sanitaire, qu'il préfère ne pas contrôler dans son établissement, il évoque la vaccination d'un ses employés. Il en prend un autre à témoin pour raconter la scène invraisemblable. "Timothée* ! Viens voir s'il te plaît et dis au monsieur ce qui est arrivé au bras de Medhi*." Le serveur s'exécute, avec conviction : "Ah oui ! Quand il est revenu après son injection ? Il avait l'épaule qui était aimantée." 

"On est obligé de se faire une opinion sur le vaccin"

Un second employé vient attester de l'impossible, à l'aide d'une vidéo enregistrée sur son téléphone portable. On y voit une manche de tee-shirt relevée qui laisse entrevoir une épaule, nue, sur laquelle colle une cuillère à café. "Le jour précédent, c'était une cuillère à soupe qui collait", assure le serveur. "Quand on voit ça, on est obligé de se faire une opinion sur le vaccin, vous croyez pas ?", tranche le restaurateur. 

Le phénomène n'est pourtant pas provoqué par le vaccin injecté dans l'organisme, mais par le sébum, gras et collant, sécrété naturellement par la peau, comme l'a démontré franceinfo. Mais cette croyance en un magnétisme du vaccin contre le Covid-19 a la vie dure et alimente la défiance à l'égard de la vaccination.

La vaccination boudée en Paca

A Toulon, la couverture vaccinale contre le virus est inférieure de près de quatre points à la moyenne nationale, selon les données de l'assurance-maladie. A l'instar de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, qui ne compte que 53,5% de vaccinés contre le Covid, contre 57% pour le reste du territoire national au 12 août, selon les données de l'Agence régionale de santé (ARS). Dans certaines intercommunalités du Var, elle accuse même 22 points de retard. "Nous sommes plus en difficulté qu'ailleurs ici, il y a un vaccino-scepticisme assez établi", reconnaît Evelyne Falip, médecin en charge de la stratégie vaccinale au sein de l'ARS de Paca. 

Le personnel soignant ne fait pas exception. "Quand un médecin ou un soignant proposent un vaccin aux patients, les patients demandent d'abord s'ils sont eux-mêmes vaccinés et ce n'est pas toujours le cas...", déplore la généraliste. Selon les chiffres de l'ARS arrêtés au 8 août, seuls 77,2% des soignants libéraux de la région sont vaccinés, contre 84,8% dans le reste du pays. Dans les Ehpad, ce pourcentage tombe également à 57,9%, contre 67,5%. Après les efforts de persuasion, place à l'obligation vaccinale pour les personnels des établissements de santé. Au grand dam des réfractaires.

"Je me fais vacciner à contre-cœur"

Dans le centre de vaccination du Forum du casino d'Hyères, où quelque 500 personnes défilent en moyenne chaque jour depuis début août, certaines injections sont plus douloureuses que d'autres. "Je travaille dans un Ehpad à Toulon, mais je me fais vacciner à contre-cœur", peste Olivier*. Si cet habitant de La Crau est venu, c'est à cause de la pression du directeur de son établissement, raconte-t-il. "Il a commencé à vérifier les QR codes de tout le monde à l'entrée et il m'a demandé de me faire vacciner. J'ai une famille à nourrir et un loyer à payer et comme je n'ai pas envie de me faire sucrer mon salaire le 15 septembre..." Selon lui, son immunité naturelle aurait suffi à le protéger de ce virus. 

"J'ai 34 ans et je suis sportif donc je ne vois pas l'utilité de ce vaccin. Je suis loin d'être un extrémiste, mais j'ai peur des risques."

Olivier*, employé d'un Ehpad

à franceinfo

A quelques mètres de lui, dans la salle d'attente, le quart d'heure obligatoire d'observation après la première injection touche à sa fin pour Florian. Mais ses doutes sur le vaccin persistent. "Si on ne me l'avait pas demandé pour le travail, je ne l'aurais pas fait, concède cet électromécanicien en aéronautique de 25 ans. "J'ai entendu, au travail et dans ma famille, que le vaccin pouvait modifier la génétique et poser problème si jamais on veut avoir des enfants." Deux accusations infondées, là encore, comme l'a expliqué franceinfo, ici et .

Depuis l'annonce de l'extension du pass sanitaire, certaines personnes, qui viennent se faire vacciner en s'y sentant parfois contraintes, laissent éclater leur colère, confirme Brigitte, l'une des huit infirmières du centre. "Les personnes qui viennent parce qu'elles sont obligées de le faire, on les voit directement. Elles expriment leur violence verbale contre le gouvernement à travers nous." Et leurs arguments contre la vaccination sont parfois flous, constate l'infirmière. "Elles font un mélange entre les décisions politiques, le manque de recul sur le vaccin selon elles, les laboratoires... Et elles ne veulent pas entendre ce qu'on a à leur dire."

Une femme accompagne son fils au centre de vaccination contre le Covid-19 d'Hyères (Var), le 11 août 2021. (CHARLES-EDOUARD AMA KOFFI / FRANCEINFO)

"Cette partie de la population qui se fait vacciner en ce moment, c'est essentiellement pour le pass sanitaire, observe Valérie Llabres, directrice du service santé de la ville. Nous avons eu un creux à la mi-juin et les gens sont revenus se faire vacciner quand la question du départ en vacances a commencé à se poser." Après l'allocution d'Emmanuel Macron, la vaccination a connu une progression, sans pour autant rattraper le retard pris sur le reste du territoire national. Y compris chez les jeunes.

Selon l'ARS, 44,7% des 18-24 ans de la région ont un schéma vaccinal complet, contre 53,8% sur l'ensemble du pays et 46% des 25-39 ans ont une protection maximale contre les formes graves du virus alors qu'ils sont 54,3% dans toute la France. "On est peut-être moins obéissants dans le Sud, avance Rémy Thiebaud, adjoint à la mairie de Hyères, en charge de la sécurité et de la santé. On est plus méfiants envers tout ce qui vient de Paris. Les gens ici ont peur du vaccin, mais n'ont pas peur du Covid, à moins qu'il ne touche quelqu'un de leur famille."

Mercredi, environ 60 personnes ne se sont pas présentées à leur rendez-vous dans le centre de vaccination. Un casse-tête avant la fermeture pour Valérie Llabres. "Là, vous voyez, j'ai cinq heures pour écouler ces doses sinon elles ne sont plus utilisables, déplore-t-elle en montrant les petits flacons emballés dans du plastique. On est obligés d'arrêter les gens dans la rue pour leur demander s'ils veulent se faire vacciner pour ne pas jeter des doses." Un exercice qui se répète trop souvent à son goût. "Quand on entend qu'on vaccine moins dans le Sud, ça fait mal au cœur parce que vraiment, on se donne du mal". 

* Le prénom a été modifié à la demande de l'intéressé.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.