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Pass sanitaire, vaccins contre le Covid-19... Comment les leaders souverainistes se placent en tête du mouvement de contestation

Très actifs sur les réseaux sociaux, voire dans les manifestations, Florian Philippot, Nicolas Dupont-Aignan ou François Asselineau ont fait de la crise sanitaire leur cheval de bataille.

Article rédigé par franceinfo - Julien Nguyen Dang
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Le dirigeant des Patriotes, Florian Philippot (troisième en partant de la gauche) défile lors d'une manifestation contre le pass sanitaire, à Paris, le 21 août 2021. (JACOPO LANDI / HANS LUCAS / AFP)

"Liberté !" Devant plusieurs milliers de manifestants rassemblés samedi 31 juillet à Paris contre le pass sanitaire, Florian Philippot adopte un ton aux accents gaulliens. "Je vois des Françaises et des Français libres qui jamais ne plieront (...). Nous sommes des résistants", lance le président du parti d'extrême droite Les Patriotes.

Depuis le début de l'épidémie de Covid-19, plusieurs leaders souverainistes ont rejoint le mouvement de contestation. Florian Philippot donc, mais aussi Nicolas Dupont-Aignan et François Asselineau. Tous candidats déclarés à l'élection présidentielle de 2022. Défense de traitements controversés, remise en cause des vaccins, opposition au pass sanitaire... Ils prennent position sur tous les sujets polémiques. Mais les motivations réelles de leur activisme interrogent.

"Big Pharma", "apartheid", "coup d'Etat"

C'est d'abord sur les réseaux sociaux que les leaders souverainistes ont donné de la voix. Nicolas Dupont-Aignan s'est fait une spécialité des interventions minutées sur YouTube face caméra. En avril, le leader de Debout la France avance ainsi que les "enfants, [les] jeunes, (...) présentent une balance [bénéfices-risques pour la vaccination] très défavorable". François Asselineau, lui, tweete sans compter. En mai, le partisan du Frexit assène, ciblant les géants pharmaceutiques : "Les abus de la Covid-19 ont attiré l'attention de millions de personnes à travers le monde sur le gangstérisme de 'Big Pharma'." Avec près de 3 200 tweets depuis décembre 2020, selon l'outil Twitonomy, Florian Philippot n'est pas en reste : les mots-clés "#passsanitaire" et "passdelahonte" sont les plus employés par l'ancien bras droit de Marine Le Pen. 

Au fil des mois, les uns et les autres ont multiplié les prises de position contre la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement. Mais ils ont aussi remis en cause les chiffres de la pandémie, l'efficacité du confinement, du port du masque ou des vaccins. Quitte à verser dans la "fake news". Nicolas Dupont-Aignan a ainsi comparé la mise en place du pass sanitaire à un "coup d'Etat" en juillet. Florian Philippot, lui, y a vu un "apartheid", tout en déclarant que le Pakistan était le seul pays à avoir mis en place un "pass sanitaire comme le nôtre". Ce qui est faux. Quant à François Asselineau, il a suggéré, en juin, que les vaccins à ARN messager de Pfizer-BioNTech et Moderna pouvaient "peut-être (...) accélérer la propagation du Covid-19". Entre autres. 

Lettre et manifestation communes

Les trois candidats déclarés à la présidence de la République ont signé une lettre commune adressée au ministre de la Santé, Olivier Véran, en janvier pour lui demander notamment de s'exprimer sur l'ivermectine ou l'hydroxychloroquine – deux molécules dont il n'est pas prouvé qu'elles sont efficaces contre le Covid-19. Et ils ne se sont pas contentés de cette présence remarquée en ligne. Ils ont aussi rejoint sur le terrain les manifestants contre la stratégie vaccinale du gouvernement et le pass sanitaire. Florian Philippot a initié une plateforme qui, mi-août, répertoriait 500 lieux opposés au pass sanitaire. Un mouvement qui a pris de l'ampleur au cours de l'été et que les souverainistes ont accompagné. 

Florian Philippot et Nicolas Dupont-Aignan ont même défilé côte à côte à Paris à deux reprises, le samedi 17 juillet et le samedi 7 août. Le président de l'Union populaire républicaine (UPR), François Asselineau, lui, préfère faire bande à part au sein d'autres cortèges pour ne pas être assimilé à "l'extrême droite", explique-t-il à franceinfo. A l'instar de Florian Philippot, il a pris la parole au micro au cours de plusieurs manifestations, mais, tient-il à préciser, "parce qu'on [l'avait] invité à le faire". Contactés, Florian Philippot et Nicolas Dupont-Aignan n'ont pas répondu aux sollicitations de franceinfo. 

Florian Philippot, "le plus actif dans la tentative de récupération"

"Celui qui semble le plus actif dans la tentative de récupération des contestations sanitaires, c'est clairement Florian Philippot", observe Tristan Mendès France, maître de conférence, spécialiste des cultures numériques et membre de l'Observatoire du conspirationnisme, qui ajoute : "Il a installé des tribunes pendant les manifestations pour se mettre en scène."

L'ancien numéro 2 du Front national multiplie les manifestations, en particulier sur la Côte d'Azur où le mouvement anti-vaccin et la mobilisation contre le pass sanitaire sont forts, donnant l'impression d'être en campagne. Il est à Hyères (Var) le jeudi 12 août, il mène l'un des trois cortèges des manifestations contre le pass sanitaire à Paris le samedi 14 août. Il prononce un discours de 30 minutes le samedi 31 juillet, rebelote le samedi suivant... Une estrade idéale pour le souverainiste qui a dû céder son siège de conseiller régional, en juin, après avoir été éclipsé au premier tour des régionales avec moins de 7% des voix en Moselle.

Le dirigeant du parti Les Patriotes Florian Philippot prend la parole lors d'une manifestation contre le pass sanitaire, le 7 août 2021 à Paris. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

De la récupération politique ? François Asselineau s'en défend : "Cela n'a pas de sens. En politique, il y a toujours des gens qui sont là pour défendre des intérêts. (...) Certains jettent de l'huile sur le feu, moi j'essaie de mettre de l'eau sur le feu (...) pour restaurer la confiance", avance le candidat déclaré à l'Elysée. Et de rappeler qu'il n'est pas anti-vaccin, bien qu'il mette en doute la pertinence des vaccins à ARN messager.

"Ce n'est pas étonnant de le retrouver parmi ceux qui minimisent l'épidémie et tiennent en suspicion la campagne de vaccination", commente Rudy Reichstadt, directeur de l'Observatoire du conspirationnisme. Le complotisme est pour François Asselineau une stratégie de pensée." Le spécialiste souligne l'existence, dans le programme du candidat à la présidentielle de 2017, d'une proposition contre "tout puçage des êtres humains", reprenant une théorie du complot très relayée. De son côté, Nicolas Dupont-Aignan a eu pour conseiller santé, pendant onze ans, l'ancien pharmacien Serge Rader, "antivax" notoire, rappelle France Inter. Serge Rader est mort, en mai, après avoir contracté le Covid-19.

Le candidat déclaré à l'élection présidentielle François Asselineau (à g.) salue des manifestants contre le pass sanitaire et la vaccination contre le Covid-19, à Paris, le 24 juillet 2021. (DJOUDI HAMANI / HANS LUCAS / AFP)

A l'inverse, "la conversion de Florian Philippot est quand même spectaculaire", note Rudy Reichstadt. Et pour cause : en avril 2020, l'ex-bras droit de Marine Le Pen considérait le masque "dans tous les cas, indispensable pour lutter contre le coronavirus [et] réussir [le] confinement dans de bonnes conditions". Il a ensuite rejoint les militants anti-masques. "Les deux premiers mois, j'ai tâtonné", s'expliquera plus tard l'intéressé dans Ouest-France. Désormais, le président des Patriotes "veut capter le narratif", souligne Tristan Mendès France. Chaque semaine, il "laisse entendre qu'il est à la tête de cette contestation : si on l'écoute, ça fait une trentaine de semaines qu'il a poussé ces manifestations."

"L'enjeu, c'est de savoir qui va tirer les marrons du feu, qui va être en position, éventuellement, de se présenter à la présidentielle", juge Rudy Reichstadt. Le vocabulaire que choisissent les leaders souverainistes n'est pas anodin. Ils emploient "des termes très vagues et généraux, des concepts comme la 'dictature sanitaire' ou le mot 'liberté' de Florian Philippot, relève Tristan Mendès France. Ce sont des mots-valises (...) qui permettent à chacun d'y injecter ses propres biais, ses propres préjugés, frustrations, inquiétudes..." Car sur les réseaux sociaux comme dans les manifestations, cette communauté anti-vaccin et anti-pass sanitaire est des plus hétérogènes, allant de l'ex-"gilet jaune" à l'adepte des médecines douces, en passant par le militant d'extrême droite et le complotiste convaincu.

Une "appétence" de l'extrême droite pour les théories du complot

Dans une enquête parue en novembre 2020, la Fondation Jean-Jaurès exposait qu'"à âge, niveau de diplôme et catégorie socioprofessionnelle similaires, les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, de Marine Le Pen, de François Asselineau et de Nicolas Dupont-Aignan sont beaucoup plus anti-vaccins que les autres électeurs." Quant à "l'appétence pour les théories du complot", explique à franceinfo l'auteur de l'étude, Antoine Bristielle, celle-ci demeure "surreprésentée dans la partie d'extrême droite de l'échiquier et plus on s'éloigne du pouvoir".

Pourtant, du côté de Marine Le Pen, finaliste du duel présidentiel de 2017, c'est la prudence qui domine. Vaccinée mais opposée à l'obligation vaccinale, la députée n'est jamais descendue dans la rue pour protester contre le pass sanitaire ou la vaccination, se contentant de demander le report de l'application du pass sanitaire.

Le risque d'être associé aux "débordements" antisémites

"Marine Le Pen ne veut pas s'engager dans une voie à sens unique", analyse le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste de l'extrême droite. "Avec le processus de dédiabolisation, elle ne veut pas prendre le moindre risque. Imaginez si sa base s'était retrouvée à côté de la pancarte de Metz", explique l'expert, en référence à ce panneau antisémite brandi lors d'une manifestation anti-pass sanitaire par une ex-candidate du Front national aux législatives de 2012.

Des "débordements" qui, s'il "faut faire attention à ne pas généraliser", "sont aussi le symptôme de quelque chose qu'on ne peut pas balayer et mettre sous le tapis", juge Tristan Mendès France à la vue des étoiles jaunes détournées par certains opposants à la vaccination ou du slogan complotiste et antisémite "Qui ?" repris par "une frange" de certains cortèges. "Il n'y avait aucun propos antisémite, minimisait Nicolas Dupont-Aignan sur BFMTVLes étoiles jaunes étaient de l'exagération ridicule, scandaleuse, sur la mesure discriminatoire du gouvernement qui classait les Français." 

"Du monde sur le créneau du souverainisme antivax"

La mobilisation des leaders souverainistes au sein de ce mouvement de contestation leur profitera-t-elle ? Rien n'est moins sûr. Sur les réseaux sociaux, ils peuvent espérer renforcer leur audience voire leur base militante, en séduisant avec leur discours aux accents parfois conspirationnistes les militants des sphères complotistes, de "vrais petits soldats digitaux", "particulièrement actifs en ligne", observe Tristan Mendès France, qui fait le parallèle avec l'armada numérique de l'UPR, étudiée par 20 Minutes en 2017.

Mais pourront-ils transformer ce soutien en vote ? "Il commence à y avoir du monde sur le créneau du souverainisme antivax. Or il n'y aura pas de place pour tout le monde", avertit le politologue Jean-Yves Camus. Lors des élections européennes de 2019, les trois candidats souverainistes avaient recueilli 5% des suffrages à eux tous.

Une personne brandit une pancarte pour marquer son opposition au pass sanitaire lors d'une manifestation organisée par Les Patriotes de Florian Philippot, le 7 août 2021, à Paris. (MAGALI COHEN / HANS LUCAS AFP)

Face au regain de visibilité de Florian Philippot, instigateur de plusieurs manifestations hebdomadaires, le politologue reste circonspect : "Il s'agit d'une cote de popularité résultant d'une exposition médiatique, mais il ne faut pas la confondre avec un sondage d'intention de vote. Aura-t-il ses 500 parrainages ? Qu'en fera-t-il ? Et avec quels moyens fera-t-il campagne ? s'interroge Jean-Yves Camus. Si vous regardez le site des Patriotes, l'équipe dirigeante est composée d'une dizaine de personnes tout au plus."

La caractéristique de ces mouvements de protestation horizontaux, c'est la "difficulté à accepter des figures politiques (...). C'est ce qu'on a vu avec les listes 'gilets jaunes' pour les élections", constate Antoine Bristielle. En 2019, l'Alliance jaune portée par Francis Lalanne pour les élections européennes avait en effet recueilli 0,54% des suffrages, bien loin des 5% requis pour obtenir un siège. "On peut arriver dans une situation où ces personnes ne croient tellement plus dans le processus électoral qu'elles vont se dire qu'elles ne vont pas aller voter. Le danger [pour ces souverainistes], c'est que l'électorat qu'ils réussissent à mobiliser devienne incontrôlable." 

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