Coronavirus : pourquoi est-il si difficile de prévoir l'arrivée d'une deuxième vague ?
Les épidémiologistes tentent de prédire l'évolution de la pandémie. Franceinfo développe trois questions qui animent les chercheurs et qui expliquent pourquoi il est difficile de prévoir l'imminence d'une résurgence du virus.
Epidémiologistes, médecins, virologues... Tous se posent la question de la possibilité d'une deuxième vague de l'épidémie de Covid-19. Un sujet qui divise la communauté scientifique autant qu'elle enflamme les débats dans la population. Jeudi 21 mai, la directrice du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), Andrea Ammon, a mis en garde contre la survenue de ce "temps 2" de la pandémie, au moment où de nombreux pays amorcent un déconfinement. La question n'est pas de savoir s'il y aura une nouvelle vague de contaminations en Europe, mais "quand et de quelle ampleur", explique cette médecin de formation. "Maintenant que l'on voit clairement [les infections] baisser, les gens pensent que c'est fini. Mais ça ne l'est pas."
Dans le même temps, quelques scientifiques, aux positions toutefois minoritaires, estiment que cette deuxième vague ne viendra pas. C'est le cas notamment du très médiatique professeur Didier Raoult, directeur de l'Institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection à Marseille, lequel estimait, le 1er mai, qu'une deuxième vague relevait "de la science-fiction".
Plus prudents, d'autres notent qu'il n'y a pour l'instant pas de signes d'une reprise de l'épidémie, même 11 jours après le début du déconfinement, mais qu'il demeure impossible d'écarter l'hypothèse d'une deuxième vague à moyen terme. En réalité, tous font face à la même difficulté : prédire l'évolution d'un virus que nul ne connaît. Franceinfo revient sur les trois inconnues qui empêchent de trancher la possibilité d'une nouvelle vague, aussi redoutée qu'imprévisible.
Le déconfinement va-t-il remettre le virus en circulation ?
Les déconfinés vont-ils relancer l'épidémie en retrouvant le chemin du travail, en faisant les magasins ou profitant d'un week-end à la plage ? Alors que la tension continue de décroître dans les hôpitaux 11 jours après le début du déconfinement, de nombreux experts notent qu'il est trop tôt pour déterminer l'impact de l'assouplissement des mesures sur l'épidémie.
"Le confinement a permis d'arrêter l'épidémie. Affirmer que cela va repartir ou pas... on va rester extrêmement prudent", a déclaré jeudi 21 mai sur franceinfo le docteur Yves Gaudin, virologue, directeur de recherche CNRS à l'Institut de biologie intégrative de la cellule (I2BC à l'université de Paris-Saclay). Ce même jour, le ministre de la Santé soulignait qu'il était "trop tôt pour tirer des conclusions" sanitaires de la levée partielle du confinement, notant qu'il n'avait pas relevé de signes d'une "recroissance" de la circulation du coronavirus. "La troisième semaine va être cruciale", avait prévenu dimanche 17 mai Gilbert Deray, chef du service néphrologie à l'hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière. En attendant, "on invite les gens à rester en déconfinement, mais avec tous les gestes proposés".
Du coup, les autorités martèlent l'importance d'adopter les gestes barrières, sans avoir la certitude qu'ils suffiront à empêcher un retour de l'épidémie : "Aujourd'hui personne ne peut affirmer ce qui va se passer", déclare à l'AFP Nicolas Hoertel, psychiatre et modélisateur à l'hôpital Corentin-Celton à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), co-auteur d'une étude selon laquelle la distanciation physique et le port du masque sont des mesures cruciales après le confinement, mais qui pourraient toutefois ne pas suffire à éviter un second pic épidémique. "Ce risque n'est pas nul, donc notre message est plutôt un message de prudence, un appel à la vigilance collective et au respect des mesures de protection", prévient-il.
Le virus est-il saisonnier ?
La vraie deuxième vague pourrait ne pas être celle liée à la fin du confinement, mais arriver plus tard, à l'automne. Mais là encore : aucune certitude. "La saisonnalité du coronavirus est une hypothèse. Il faut attendre la fin de l'été pour la confirmer. Elle est évoquée parce que des pays chauds ont connu des épidémies moins sévères, comme la Thaïlande et le Cambodge, explique l'épidémiologiste membre du Conseil scientifique Arnaud Fontanet, interrogé le 18 mai par franceinfo. Il n'y a aucun argument rationnel pour dire que le virus ne reviendra pas après l'été car seulement 5% de la population en France est immunisée et que le virus va continuer de circuler ailleurs si ce n'est pas en France. On peut s'attendre à une deuxième vague et c'est ce qu'on a vu sur toutes les pandémies grippales sur le siècle dernier", a-t-il affirmé.
Même hypothèse pour le Dr Yves Gaudin, également cité par franceinfo : "Les infections respiratoires ont souvent un caractère saisonnier, indique le virologue. Le virus a peu circulé. On voit bien qu'il y a des 'clusters' qui réapparaissent." "Le respect des gestes barrières et le beau temps devraient nous aider cet été" à éviter la propagation du virus, mais pour l'instant "l'hypothèse d'une seconde vague en automne n'est pas du tout exclue. Le virus tourne autour de la planète, au Brésil, au Chili, en Argentine. Il n'est pas exclu qu'il revienne. Donc, il faut être extrêmement prudent."
Peut-on miser sur l'immunité ?
Troisième inconnue : l'immunité. Dans quelles mesures (et pour combien de temps), les personnes qui ont contracté le Covid-19 sont-elles immunisées face à la maladie ? A ce stade de la pandémie, ces questions toujours en suspens empêchent de prédire avec exactitude son évolution. Interrogés par l'AFP, l'épidémiologiste Laurent Toubiana, chercheur à l'Inserm, et Jean-François Toussaint, directeur de l'Institut de recherche biomédicale et d'épidémiologie du sport (Irmes), pensent que la deuxième vague n'aura pas lieu. Ils estiment qu'il est possible que toute la population soit immunisées contre le virus. "Raisonner sur l'intégralité de la population induit que toute la population serait susceptible (de contracter le Covid-19). Je pense que ce n'est pas le cas", affirme le premier. Une position néanmoins minoritaire parmi ses confrères.
En se basant sur des données de SOS Médecins, il juge que le Covid-19 a en fait frappé beaucoup plus de Français que ce qu'on croit, près de 18 millions (dont 5,5 sans symptômes). "Une partie non négligeable de la population pourrait ne pas être sensible au coronavirus, parce que des anticorps non-spécifiques de ce virus peuvent l'arrêter", postule-t-il, en concédant qu'il s'agit "d'une hypothèse, difficile à vérifier". Le Pr Toussaint, lui, avance l'idée que le virus ne puisse en fait "atteindre que 20 ou 30% de la population" pour des raisons inconnues.
Dans une étude publiée le 13 mai, des chercheurs de l'Institut Pasteur estiment que seuls 4,4% de la population française (soit 3,7 millions de personnes) ont été contaminés à la date de la levée du confinement le 11 mai, sur la base de modélisations (simulations mathématiques). C'est très loin des 70% qu'il faudrait pour atteindre la fameuse "immunité collective", qui signe la fin de la propagation d'une épidémie. La France, qui combat le virus en ralentissant sa circulation, repousse donc le moment de cette immunité.
De plus, il n'y a "actuellement aucune preuve que les personnes qui se sont remises du Covid-19 et qui ont des anticorps soient prémunies contre une seconde infection", a mis en garde fin avril l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Dans un avis rendu le 2 mai, la Haute Autorité de santé (HAS), indiquait à son tour qu'il n'existait pas de certitude concernant l'immunité des personnes ayant contracté une première fois le Covid-19. "Les anticorps ne semblent pas, chez tout le monde, signifier qu'on est immunisé", avance Jean Sibilia, doyen de la faculté de médecine de Strasbourg, sur France Bleu Alsace. Un point supplémentaire qui fait planer le risque d'une nouvelle vague.
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