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Coronavirus : la climatisation peut-elle favoriser la propagation de l'épidémie ?

Une étude chinoise portant sur le rôle de la climatisation dans la propagation du coronavirus dans un restaurant a fait couler beaucoup d'encre. Elle est néanmoins à prendre avec beaucoup de prudence, selon les spécialistes français interrogés par franceinfo.

Article rédigé par franceinfo
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La climatisation peut-elle être un vecteur de propagation du coronavirus ? Pour le moment, aucune donnée scientifique consolidée ne l'atteste.  (MAXPPP)

C'est un sujet qui peut susciter bien des cauchemars. Le coronavirus, on l'a compris, se transmet par les gouttelettes expulsées par un malade, d'où les mesures de distanciation sociale. Pourrait-il se transmettre par voie aérienne, via les systèmes de climatisation ? A l'approche du déconfinement, prévu le 11 mai, et surtout de l'été et de ses fortes chaleurs, la question a de quoi inquiéter, alors que les transports, les bureaux, les restaurants et les centres commerciaux sont de plus en plus climatisés.

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Une étude chinoise, qui a fait l'objet d'une publication préliminaire (dans une forme non définitive, donc) dans la lettre d'information Emerging Infectious Diseases (en anglais), a fait grand bruit. Les chercheurs, affiliés au centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC) de Canton, ont décortiqué le cas d'une contamination au sein d'un restaurant. Leurs résultats suggèrent que la climatisation a pu jouer un rôle de vecteur du virus. Ce cas d'espèce est néanmoins à prendre avec beaucoup des pincettes. Franceinfo fait le point. 

Un restaurant de Canton examiné

C'était l'un des premiers foyers de contamination de l'épidémie de coronavirus. Arrivé début février dans le port de Yokohama, au sud-ouest de Tokyo, le paquebot de croisière Diamond Princess a vu se diffuser le virus à une vitesse folle. Près de 3 700 passagers et membres d'équipage ont été placés en quarantaine à bord, avec finalement plus de 700 infections et 13 morts. A l'époque, la question du rôle de la climatisation se pose rapidement, car plusieurs dizaines de chambres n'ont pas de fenêtre. "Les particules virales émises sont-elles capables de franchir les filtres des systèmes de ventilation ? Il est encore trop tôt pour le dire", estime alors Le Figaro. 

Aucune étude scientifique n'a démontré, pour le moment, l'impact de ces systèmes de ventilation à l'intérieur du navire. Les chercheurs de Canton se sont penchés sur un foyer de contamination bien plus petit. Publiée mercredi 22 avril, leur étude s'intéresse à un déjeuner de famille, qui s'est déroulé le 24 janvier. Une famille de Wuhan se retrouve à Canton, pour un repas de fête dans un restaurant qui compte 73 personnes ce jour-là. Parmi eux, une femme de 63 ans qui sera, quelque temps plus tard, testée positive au Covid-19. Quinze jours après, neuf autres clients de ce restaurant développent à leur tour la maladie. 

Cette retraitée est la seule source connue de contamination pour au moins deux autres clients, qui n'étaient pas à sa table. Cette dame aurait contaminé des gens devant et derrière elle, dans la salle, mais pas les serveurs, qui sont pourtant venus près d'elle, ont touché son assiette, ses couverts. Pour les chercheurs chinois, la contamination vient du système d'aération du restaurant. Il favoriserait, par le flux d'air, la transmission d'aérosols contaminés vers les autres tables.

Des "charges virales probablement insuffisantes"

Premier écueil de cette étude chinoise : "les auteurs de cette hypothèse n'ont mené ni étude expérimentale simulant la transmission par voie aérienne, ni étude sérologique pour estimer le risque d'infection", rappelle Ouest-France. Jean-Christophe Lucet, chef de service de l'unité d'hygiène et de lutte contre les infections nosocomiales à l'hôpital Bichat, à Paris, est encore plus critique quant au rôle éventuel de la ventilation. "On voit qu'il y a moins d'un mètre entre le malade de la table A et les clients de la table B, or, les gouttelettes vont jusqu'à 1,50 m", explique-t-il à franceinfo. Concernant les clients contaminés de la table C, "cela ne colle pas". La climatisation qui se trouve au-dessus de cette table souffle dans le sens inverse de la contamination supposée par les auteurs de l'étude.

Jean-Christophe Lucet rappelle également que la transmission aérienne n'a jamais été prouvée scientifiquement, prenant l'exemple de la grippe. "Il y a une vingtaine d'années, un avion est tombé en panne et a dû atterrir en urgence en Alaska. La ventilation a été coupée. Or, un des passagers avait la grippe et plusieurs autres ont été contaminés", raconte-t-il. Première analyse établie par les scientifiques : la grippe peut se transmettre par voie aérienne. Jusqu'à ce que des recherches plus poussées démontrent que tous les passagers infectés s'étaient rendus aux toilettes situées près du passager malade. La contamination s'était bien faite par les gouttelettes expulsées par ce dernier.

"Pour le moment, la seule chose scientifiquement avérée par évidence expérimentale, c'est qu'il existe un effet d'aérosol dans la chambre d'un patient malade", explique à Ouest-France Daniel Camus, infectiologue à l'Institut Pasteur de Lille. 

Il n'a pas été montré que les systèmes d'aération, de ventilation ou d'air conditionné présentaient un danger particulier. Les charges virales sont probablement insuffisantes.

Daniel Camus, infectiologue à l'Institut Pasteur de Lille

à Ouest-France

Que dit l'OMS à ce sujet ? "Les études menées à ce jour semblent indiquer que le virus responsable de la Covid-19 est principalement transmissible par contact avec des gouttelettes respiratoires, plutôt que par voie aérienne", écrit l'organisation sur son site (en anglais)

Prudence donc et plus encore, il ne faut pas tout confondre. C'est le mauvais usage de la climatisation qui est ici en cause, rappelle Le Figaro. En effet, la ventilation, lorsqu'elle est bien utilisée, permet "de diluer les aérosols chargés de virus, qui sont ensuite extraits de la pièce". "Une hausse des taux de ventilation est d'ailleurs préconisée pour contrôler les maladies aéroportées, à condition que ces systèmes soient utilisés de manière appropriée : sans faire recirculer l'air et en dirigeant les flux des zones propres vers les zones potentiellement contaminées", précise le journal. 

"Lorsque l'on a une climatisation qui fonctionne et qui ne met pas en contact un réservoir d'agents infectieux avec l'air qui circule, cela ne pose pas de problème", renchérit Jean-Christophe Lucet. Le spécialiste rappelle au passage que le seul agent infectieux connu et documenté pouvant se diffuser à travers un système d'aération reste la légionellose. Dans les années 1960, rappelle Jean-Christophe Lucet, il avait été démontré qu'elle pouvait être transmise dans les systèmes de climatisation, car "à l'époque, on faisait circuler l'air au contact de l'eau pour humidifier". "Depuis, les systèmes de circulation sont différents", ajoute-t-il.  

Méfiance avec les aspirateurs

Les auteurs de l'étude chinoise s'appuient tout de même sur leurs résultats pour formuler plusieurs recommandations pour les lieux clos. Ils préconisent ainsi la prise de température des clients et leur installation à plus d'un mètre de distance et surtout l'amélioration de la ventilation des salles. En Italie, le déconfinement, qui sera progressif, se prépare. Et la question de la climatisation n'est pas anodine. Les bars et restaurants devront ainsi maintenir la distance d'un mètre minimum entre les clients et privilégier les espaces ouverts à ceux climatisés. 

Si vous bénéficiez de la climatisation dans votre logement, pensez à bien nettoyer "les orifices de VMC" et à entretenir les "filtres", recommande, de son côté, Daniel Camus. L'infectiologue met cependant en garde contre les appareils soufflants, comme les aspirateurs. "Ils peuvent générer un aérosol. Un aspirateur passé dans l'appartement d'une personne contaminée peut remettre les particules en suspension. Pas les systèmes de ventilation. Il n'y a aucun doute", livre-t-il à Ouest France. 

Cet été, si vous vous réfugiez dans un lieu climatisé pour échapper à la chaleur, il convient donc de continuer à respecter les consignes sanitaires. "Ce n'est pas la climatisation qui pose un problème, mais elle peut éventuellement propager un peu plus loin les grosses gouttelettes, d'où la nécessité de porter un masque pour éviter leur propagation", conclut Jean-Christophe Lucet. 

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