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Avec ses drones kamikazes, l'Iran se rapproche de la Russie et s'implique dans la guerre

La menace de sanctions supplémentaires plane sur l'Iran. En cause : ses drones kamikazes utilisés de plus en plus fréquemment par l'armée russe sur le terrain ukrainien.

Article rédigé par Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Un immeuble détruit par un drone russe Shahed-136 de fabrication iranienne, à Kiev (Ukraine, le 17 octobre 2022). (OLEKSII CHUMACHENKO / MAXPPP)

Ils sont en forme d'aile delta – comme un triangle large et plat – et sont faciles à repérer car ils volent à basse altitude, avec un gros bruit de moteur de mobylette ou de tondeuse à gazon. Les médias ukrainiens ont donné à ce drone  le surnom de "balalaïka volant" en raison de sa forme rappelant le traditionnel instrument de musique slave.

Lancés depuis la Biélorussie ou la Crimée, ces drones filent à plus de 180km/h droit vers leur cible, verrouillée par coordonnées GPS avant le décollage; c'est en s'écrasant qu'ils libèrent leur charge explosive. Lundi 17 octobre à Kiev, un seul de ces appareils a tué quatre personnes dans un immeuble d'habitation.

L'armée russe s'en est fait livrer plusieurs centaines cet été. Des Shahed-136, ("martyr" en farsi) qu'elle a étonnamment rebaptisés Geranium-2. Le tout premier a été aperçu le 13 septembre ; depuis ils sont chaque jour plus nombreux dans le ciel ukrainien.

Une industrie d'armement affaiblie

Ces drones, la Russie n'est pas capable de les fabriquer elle-même. Cela témoigne de l'impact des sanctions et des contrôles à l'exportation imposés par les pays occidentaux : son industrie d'armement est affaiblie, désorganisée, manque de composants électroniques, de personnel aussi – ce qui la rend également dépendante de la Corée du Nord.

Ces drones ne sont pas des appareils de haute technologie, au contraire, ils sont assez rudimentaires. L'Iran arrive même à en fabriquer en grande quantité (parfois au détriment de leur fiabilité), à 20 000 dollars pièce : bien moins cher que des missiles de croisière à deux millions de dollars. 

Envoyés par paquets, de façon simultanée comme lundi 17 octobre sur la capitale ou le lundi précédent sur tout le pays, ces drones peuvent ponctuellement donner l'avantage à l'armée russe. Mais d'après les experts militaires ils ne sont pas réellement de nature à changer le cours de la guerre.

Malgré tout, ils entraînent l'implication de l'Iran dans le conflit. Pour l'Ukraine, "fournir des armes à la Russie" est "un acte d'hostilité". En représailles, le pays a déjà retiré son accréditation à l'ambassadeur iranien et réduit fin septembre son personnel diplomatique à Téhéran.

Pour aller plus loin, Kiev réclame plus de matériel à ses alliés. Car parfois, c'est avec leurs simples armes de service que les policiers ou les militaires tentent d'arrêter les appareils. Souvent sans succès.

La semaine dernière, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a cité les récentes frappes aériennes de la Russie pour demander aux pays de l'OTAN de fournir à son pays des systèmes avancés de défense aérienne. L'Ukraine réclame à présent plus de sanctions économiques contre l'Iran.

Menaces de sanctions américaines

Message reçu cinq sur cinq à Washington. "Le renforcement de l'alliance entre la Russie et l'Iran devrait être considéré par le monde entier (...) comme un grave danger" dit le porte-parole du département d'État, qui brandit donc la menace de sanctions contre les individus, les entreprises ou les États participant au programme de drones iraniens. Moscou et Téhéran, parias sur la scène internationale, se sont rapprochés à la faveur de la guerre. Au point de devenir de vrais alliés.

Raison, pour Antony Blinken, de fournir "tout ce qui est possible" à l'Ukraine avant l'hiver. Car avec ces drones, les Russes "attaquent des infrastructures essentielles" dit le secrétaire d'Etat : centrales électriques, hôpitaux... "dont les gens ont besoin dans leur vie quotidienne et qui ne sont pas des cibles militaires". "C'est un signe de désespoir de la part de la Russie", ajoute Antjony Blinken, qui répondait aux journalistes depuis l'université de Stanford en Californie.

Selon le Washington Post, qui s'appuie sur les déclarations de responsables de la sécurité des États-Unis et de leurs alliés, l'Iran renforcerait même son engagement en acceptant d'envoyer non seulement des drones, mais aussi des missiles sol-sol de fabrication iranienne, destinés à être utilisés contre les villes et les positions des troupes ukrainiennes.

Le 18 septembre, Téhéran a envoyé des responsables en Russie pour finaliser ces livraisons. Il s'agirait des premières livraisons de tels missiles à la Russie depuis le début de la guerre, ce qui pourrait donner à la Russie de nouvelles armes puissantes à un moment où les forces de Kiev récupèrent les territoires conquis dans de larges pans du sud et de l'est de l'Ukraine, des succès dus en partie à l'artillerie fournie par l'Occident. Selon les experts militaires, ces projectiles sont à la fois puissants et relativement précis à courte distance. Certains modèles s'accompagnent d'un guidage électro-optique permettant à l'opérateur de diriger le missile juste avant qu'il n'atteigne sa cible.

Téhéran revendique sa "neutralité active"

Pourtant Téhéran répond en gros : "c'est pas moi !" À plusieurs reprises déjà les autorités ont nié toute implication. Le ministre iranien des Affaires étrangères déclare que "la République islamique d'Iran n'a pas fourni et ne fournira pas d'armes destinées à être utilisées dans la guerre en Ukraine". Hossein Amirabdollahian revendique pour son pays "une politique de neutralité active" et dénonce "des informations non fondées", relayées par "la propagande des médias étrangers".

Face aux drones iraniens qui équipent les Russes, les Ukrainiens disposent de drones de fabrication turque, les Bayraktar – c'est le nom du gendre du président Erdogan. Et dans ce conflit où aucune des deux parties n'a la maitrise du ciel, les drones sont aussi devenus un vecteur d'influence.

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