"J'y suis confrontée tous les jours" : dans le camp présidentiel, le "sexisme insidieux" derrière la "parité de façade"

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
Brandie comme la grande cause des deux quinquennats d'Emmanuel Macron, l'égalité femmes-hommes est encore loin d'être une constante dans les rangs de la majorité. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)
A l'occasion des 80 ans de l'ordonnance de 1944 octroyant le droit de vote aux femmes ainsi que la possibilité de se présenter à une élection, franceinfo a enquêté sur la persistance de comportements sexistes au cœur du pouvoir.

"Si tu te mets en face de moi, je vais pouvoir te faire du pied." La petite phrase est lancée par un député MoDem à sa collègue Elodie Jacquier-Laforge, en début d'une réunion de groupe. La députée, vice-présidente de l'Assemblée nationale, écarquille des yeux, mais répond du tac-au-tac : "Qu'est-ce que c'est cette blague de beauf ?" L'échange s'arrête là. Mais il montre que dans les couloirs du pouvoir, en 2024, le sexisme n'a pas disparu. "Je pense que j'y suis confrontée tous les jours. Ce sont des réflexions sur la manière dont je m'habille, je me coiffe… Cela vient souvent d'une génération plus âgée que la mienne", poursuit cette élue de l'Isère de 45 ans.

Quatre-vingts ans après l'ordonnance du 21 avril 1944 accordant aux femmes le droit de voter et de se présenter à une élection, l'égalité entre hommes et femmes n'est toujours pas une évidence. Même dans un camp qui l'a affichée comme grande cause de ses deux quinquennats. Toutes les femmes macronistes interrogées par franceinfo assurent néanmoins que les comportements n'ont plus grand-chose à voir avec ce qu'ont pu subir leurs aînées. "A l'Assemblée, ils se tiennent à carreau", assure la députée Renaissance Sarah Tanzilli. Peut-être parce que l'hémicycle s'est féminisé, avec 39% de femmes élues en 2017 (contre 27% en 2012), et 37% en 2022.

"Boys' club" et "gouv sorority"

Il persiste néanmoins "un sexisme insidieux" , selon les mots d'Elisabeth Borne, sur RTL, le 8 mars. "C'est sournois, on ne m'a jamais fait de blague sexiste, mais le côté camaraderie entre hommes reste présent" , appuie une ancienne ministre.

"Ce sont des repas qui se font entre hommes, des petits apartés après le Conseil des ministres où les femmes ne sont pas incluses."

Une ancienne ministre

à franceinfo

Cette ancienne membre de l'exécutif se rappelle s'être retrouvée, une fois au banc lors des questions au gouvernement, assise entre Gérald Darmanin et Eric Dupond-Moretti. "Ils se parlaient par-dessus moi, j'étais transparente." Une autre membre du gouvernement d'Elisabeth Borne atteste aussi de "réunions de clans" entre des hommes "qui rigolent entre eux". "Cela m'indiffère et m'insupporte à la fois", soupire-t-elle. Cette atmosphère de boys' club n'est pas sans conséquence politique. "Cela leur permet plus facilement de mener des dossiers ensemble", assure une autre ex-ministre. "Les femmes sont toujours perçues comme des intruses sur la scène politique et on leur fait comprendre", observe la politologue et sociologue Mariette Sineau, co-autrice de l'ouvrage Femmes et République

Pour faire face à cette mise à l'écart, les femmes politiques imaginent leurs propres espaces. Lorsqu'elle occupait Matignon, Elisabeth Borne avait organisé un dîner entre femmes ministres, auquel était invitée sa prédécesseure Edith Cresson. "Ce n'était pas très naturel, on ne sait pas faire", se souvient une participante. Une boucle WhatsApp baptisée "gouv sorority" ("sororité gouvernementale") réunissait également les femmes membres de l'exécutif.

Aujourd'hui, les femmes membres du gouvernement se retrouvent à l'occasion de petits-déjeuners, dont le premier a été initié par la ministre du Travail et de la Santé, Catherine Vautrin, le 21 février. "L'idée, c'était de créer un moment convivial, de se présenter", explique l'entourage de la ministre. Un second a été organisé, un mois plus tard, par Amélie Oudéa-Castéra, la ministre des Sports. Au programme pour la dizaine de ministres présentes : initiation aux Jeux olympiques. Un autre est prévu fin avril, à l'invitation d'Aurore Bergé, en charge de l'Egalité entre les femmes et les hommes.

Ironie de l'histoire, toutes les invitées ne participent pas à ces rendez-vous. "J'emmène mes enfants à l'école à cette heure-là ! Sinon, aucun problème, mais à un autre moment de la journée", commente la porte-parole du gouvernement, Prisca Thevenot. Les députées organisent également des dîners entre elles. "Ce sont des cadres informels, plus propices à l'échange, qui permettent de recouper nos ressentis et de mieux visualiser certaines stratégies masculines", explique Elodie Jacquier-Laforge. 

Un déséquilibre persistant dans les cabinets

Ce que vivent ces élues et ministres existe de la même manière au sein des cabinets ministériels. Une ancienne directrice de cabinet témoigne, elle aussi, de moments informels auxquels les femmes n'étaient pas conviées. 

"Quand vous êtes directrice de cabinet et que vous n'avez pas autant de liens que d'autres avec vos collègues masculins, vous perdez de l'information. Or, l'information, c'est le pouvoir."

Une ancienne directrice de cabinet

à franceinfo

A son niveau, les femmes "dircab" – le poste le plus important, après le ministre – sont très rares. A l'heure actuelle, elles sont seulement huit à occuper un tel poste, pour 27 hommes. "Il est infiniment plus dur de trouver des femmes dircab pour des questions de vie personnelle", observe l'ancienne ministre chargée des Affaires européennes Nathalie Loiseau. Même au plus haut sommet de l'Etat, on retrouve, comme dans le reste de la société, les inégalités de partage du travail domestique. 

Depuis fin décembre 2023, un décret pris sur la base de la loi du 19 juillet 2023 impose d'avoir au moins 40% de femmes ou d'hommes dans les cabinets ministériels, avant une totale parité attendue pour 2026. "C'est par les quotas que l'on arrive à faire bouger les choses", défend la députée Renaissance Véronique Riotton, présidente de la délégation aux Droits des femmes et à l'Egalite des chances. Même si aucune sanction financière n'est prévue en cas de non-respect, "c'est du name and shame", c'est-à-dire une publication de l'identité des cabinets concernés dans le but de les exposer à la critique, précise Guillaume Gouffier-Valente, député Renaissance et rapporteur de la loi de juillet 2023. 

"Des stéréotypes de genre qui perdurent"

Aujourd'hui, 43% des conseillers ministériels sont des femmes. Mais ce chiffre cache d'importantes disparités selon les ministères et les postes. Les périmètres semblent toujours genrés et les plus hautes responsabilités majoritairement confiées à des hommes. De façon assez caricaturale, le ministre de la Défense compte le plus de conseillers hommes tandis que la ministre en charge de l'Egalité hommes-femmes dénombre le plus de femmes.

"Ce sont des stéréotypes de genre qui perdurent. On le constate au gouvernement, mais aussi à l'Assemblée. Il faut continuer de pousser pour que les femmes soient en responsabilité", insiste Véronique Riotton. "Il faut faire ce recensement pour nous bousculer et faire attention à la fausse parité. On doit être ultravigilant", assure Prisca Thevenot. "Je ne peux que constater qu'il y a encore beaucoup de travail à faire dans les cabinets", appuie Guillaume Gouffier-Valente. Le député rappelle "qu'une décision est bien meilleure lorsqu'elle est prise de manière mixte"

Interrogés sur ce point, les services du Premier ministre affirment que les cabinets sont incités à "assurer une proposition équilibrée d’hommes et de femmes" et "doivent se montrer exemplaires". Ils rappellent avoir envoyé une circulaire demandant que "les cabinets ne comptent pas moins de 40% de personnes du sexe le moins représenté". "Cette incitation concerne l’intégralité des postes et la parité au niveau des directions de cabinet est également encouragée. Les dérogations à ce principe sont exceptionnelles", ajoute-t-on encore à Matignon.

Le gouvernement de Gabriel Attal est certes paritaire (18 femmes et 17 hommes), mais là encore, les femmes sont loin d'être majoritaires sur les postes les plus importants. "C'est une parité de façade, qui dissimule une asymétrie du pouvoir, observe Mariette Sineau. Aucune femme n'occupe un poste régalien et elles sont seulement 38% à avoir un ministère de plein exercice. Il y a eu une régression par rapport aux gouvernements antérieurs."

L'équipe du président de la République n'échappe pas à ce déséquilibre. Ils sont 58 hommes à conseiller Emmanuel Macron, contre 21 femmes. Le seul pôle à compter plus de femmes que d'hommes est le pôle social.

"Le président est entouré de mecs, relève un ancien conseiller de l'exécutif. On en rigolait parfois, les femmes sont sur les sujets sociétaux et les hommes sur l'économie et le régalien". "Ça lui passe au-dessus et il ne montre pas non plus l'exemple, il suffit de voir ses équipes à l'Elysée", abonde une députée de la majorité. L'Elysée n'a pas répondu à nos sollicitations sur ce sujet. 

"La référence, c'est les hommes"

Elisabeth Borne a, elle, eu le loisir d'embrasser tous les sujets pendant 20 mois à Matignon. Après deux Premiers ministres – Edouard Philippe et Jean Castex – Emmanuel Macron a tardivement exaucé son propre "souhait" de 2017 de nommer une femme cheffe du gouvernement. L'ancienne Première ministre, qui siège à présent dans le groupe Renaissance, à l'Assemblée, s'est encore peu livrée sur son expérience. Mais, le 8 mars, elle a tenu à raconter – un peu – ce milieu politique toujours régi par des "codes masculins". "La référence, c'est les hommes", a-t-elle martelé sur RTL.

"Il y a eu tous ces petits commentaires : 'Elle est froide, pas sympa, elle ne mange que des graines…'. Mais s'il y a eu des moments de tension entre Matignon et l'Elysée, ce n'est pas parce qu'elle mange des graines !", se rappelle une ancienne conseillère de l'exécutif. "'Autoritaire', 'techno'… Si vous donnez à un homme tous les qualificatifs qui ont été atribués à Borne, il devient un héros !", soupire une autre, qui se souvient de coups de téléphone au cours desquels la locataire de Matignon était la dernière sollicitée, après une ribambelle d'hommes. Elisabeth Borne s'est aussi étonnée de constater que seuls des noms d'hommes avaient circulé pour la remplacer.  

"[C'était] comme si les commentateurs se disaient : 'On vient d'avoir pendant vingt mois une femme Première ministre, ça, c'est fait, on reprend une vie normale, donc le prochain sera un homme'."

Elisabeth Borne, ancienne Première ministre

à RTL

Depuis le départ d'Elisabeth Borne, les cadres de la majorité, à l'exception de la présidente de l'Assemblée, Yaël Braun-Pivet, ne sont plus que des hommes. "La réunion à l'Elysée sur le déficit [le 20 mars] est assez symptomatique : il n'y avait que des mecs, comme si les finances étaient trop importantes pour que les femmes s'en occupent", soupire une députée de la majorité.

Valérie Hayer "est en permanence cornaquée"

La désignation de Valérie Hayer comme tête de liste de Renaissance pour les élections européennes provoque un commentaire ironique d'un député du camp présidentiel : "Une femme, qui plus est jeune… On n'a pas été très habitués à ça en macronie !" Mais l'attitude des cadres de la majorité envers leur candidate – présentée dans la presse comme un choix par défaut – fait tiquer en interne.

"Ils ne la laissent pas être elle-même ! Elle est en permanence cornaquée. Quand elle est venue en réunion de groupe, elle était flanquée d'Olivier Dussopt et de Pieyre-Alexandre Anglade à la tribune…", s'agace une cadre de Renaissance. Ce qui rappelle à l'eurodéputée Nathalie Loiseau sa propre expérience. "Tout un tas d'hommes se sont demandés pourquoi cela avait été moi et pas eux, se remémore la tête de liste de Renaissance aux élections européennes de 2019. Je l'ai senti brutalement, on vient vous dire qu'il faudrait changer de coiffure, de lunettes…"

Pour la sociologue Mariette Sineau, "il reste en politique des réflexes machistes propres à la culture française et qui remontent à la royauté, où la loi salique empêchait les femmes de gouverner, contrairement à d'autres pays européens." Dans la majorité, le sujet suscite quelques signes d'agacement. "Certains me disent : 'Ça suffit, on a beaucoup travaillé sur le sujet', mais l'effort à faire est encore considérable !", affirme Guillaume Gouffier-Valente. "On y croit !", sourit Elodie Jacquier-Laforge. 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.