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Lutte contre les violences faites aux femmes : on a dressé le bilan d'Emmanuel Macron sur la "grande cause du quinquennat"

Article rédigé par Mathilde Goupil
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Entre 2010 et 2019, le nombre de plaintes pour violences sexuelles a été multiplié par 2,4 note l'Insee. (ELLEN LOZON / FRANCEINFO)

Le sujet s'est imposé dans le débat public et a fait l'objet de plusieurs lois. Mais en dépit de nouveaux outils, les violences peinent à se réduire.

Elle devait être la "grande cause du quinquennat". Quatre ans après la promesse d'Emmanuel Macron, où en est la lutte contre les violences faites aux femmes ? "On a fait énormément de choses, même si le crime nous rappelle parfois, hélas, qu'on n'en a pas fait assez peut-être", a estimé le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, le 1er décembre, devant la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale. Le garde des Sceaux a-t-il raison ? Pour le savoir, franceinfo a dressé le bilan de la politique gouvernementale.

Une communication parfois contradictoire

La lutte contre les violences faites aux femmes s'est imposée dans le débat public, se réjouissent les personnes interrogées par franceinfo. "Je pense que ce gouvernement a eu à cœur de parler de ce sujet et il irrigue désormais la société", estime ainsi Danielle Bousquet, présidente de la Fédération nationale des centres d'information pour les droits des femmes (FNCIDFF).

Mais la mise à l'agenda de la problématique des violences n'est pas à mettre au seul crédit du gouvernement. "Le mouvement est parti de #MeToo, de la société qui s'est énormément mobilisée sur les réseaux sociaux, dans les milieux militants, lors de grandes manifestations", nuance Marylie Breuil, porte-parole du collectif #NousToutes.

Au contraire, la nomination de Gérald Darmanin au ministère de l'Intérieur alors qu'il était accusé de viol ou encore les propos d'Emmanuel Macron, qui a évoqué la peur d'une "société de l'inquisition" en réagissant à l'affaire Nicolas Hulot, ont été perçus comme des signes de résistance de la "culture du viol" au plus haut sommet de l'Etat.

Un arsenal législatif nettement étoffé

C'est certainement le pan de l'action gouvernementale qui est le plus largement salué. En cinq ans, "il y a eu des évolutions législatives importantes", note Françoise Brié, présidente de la Fédération nationale solidarités femmes (qui gère le numéro d'appel 3919). Quatre grands textes peuvent être mis au bilan de l'action du gouvernement :

La loi renforçant l'action contre les violences sexistes et sexuelles. Adoptée en 2018, elle allonge notamment de 20 à 30 ans le délai de prescription pour les crimes sexuels commis sur mineurs, élargit la définition du cyberharcèlement en incluant la répression des "raids numériques" et crée une nouvelle infraction d'outrage sexiste contre le harcèlement de rue.

La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Adoptée en 2019, elle étend la possibilité de placement sous surveillance électronique des condamnés pour violences conjugales, crée la possibilité de déposer une pré-plainte en ligne et renforce la possibilité d'éviction de l'auteur de violences conjugales du domicile.

La loi visant à agir contre les violences au sein de la famille. Ce texte, adopté en 2019, met en place une garantie locative pour les femmes victimes de violences, réduit à six jours le délai imparti à la justice pour se prononcer sur une demande d'ordonnance de protection, crée le dispositif du bracelet antirapprochement permettant de tenir l'auteur de violences à distance et instaure la suspension systématique de l'autorité parentale quand le parent est l'auteur de l'homicide conjugal.

La loi visant à protéger les victimes de violences conjugales. Cette législation, entrée en vigueur en 2020, instaure la levée du secret médical pour les cas de violences, reconnaît le "suicide forcé" (lorsqu'une personne est victime de harcèlement ou de violences), ordonne la saisie des armes dès le dépôt de plainte et permet au juge de suspendre le droit de visite et d'hébergement d'un enfant mineur dont un parent est placé sous contrôle judiciaire.

Un budget qui augmente (mais pas assez)

Autre sujet de satisfaction pour les associations : l'effort budgétaire consenti, même si les militantes rappellent qu'il était très "ténu" au départ et qu'il doit donc se poursuivre. Le budget du secrétariat d'Etat, puis du ministère délégué à l'Egalité entre les femmes et les hommes, a quasiment doublé entre 2017 et 2021, passant de 22,3 millions d'euros à 41,5 millions d'euros. La tendance devrait se poursuivre en 2022, avec une enveloppe de 50,6 millions d'euros, selon le projet de loi de finances.

La réalité est un tout petit peu moins belle, soulignent les sénateurs Arnaud Bazin et Eric Bocquet dans un rapport d'information daté de juillet 2020. Ils rappellent que le ministère a intégré davantage de missions, ce qui explique en partie la hausse des crédits. Par ailleurs, une partie de cette enveloppe supplémentaire provient de la réallocations d'anciens crédits non utilisés. La mise en œuvre de certaines mesures "se fait donc au détriment d'autres actions initialement prévues", regrettent-ils.

Reste que ce budget ne tient pas compte de l'ensemble des moyens dédiés à la lutte contre les violences faites aux femmes, qui fait l'objet de mesures spécifiques dans d'autres ministères. Au total, le gouvernement revendiquait une enveloppe de plus d'"un milliard" d'euros fin 2019. Soit autant que le budget de l'Espagne, souvent citée en exemple sur le sujet, et que ce que recommande un rapport du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (PDF)

>> Violences conjugales : à la rencontre des "agents protecteurs" espagnols, qui veillent 24 h/24 sur les victimes

Mais là encore, le compte n'y est pas, selon les sénateurs. Ce milliard s'échelonne en effet "sur plusieurs exercices budgétaires" et correspond pour trois quarts à de l'aide aux pays en développement. Par ailleurs, les fonds dédiés à la France (282 millions d'euros en 2020) participent, pour presque la moitié (138 millions), à la rémunération des enseignants, qui abordent en classe les questions d'égalité entre les sexes. 

Des outils renforcés et de nouveaux créés

En cinq ans, le budget supplémentaire a permis de renforcer des dispositifs déjà existants et d'en créer de nouveaux, qui souffrent toutefois d'un manque de notoriété. En voici quelques-uns :

Le développement du 3919. Ce numéro d'écoute, gratuit et anonyme, qui existe depuis 1992, couvre l'intégralité du territoire depuis cette année. Il est également devenu accessible aux personnes en situation de handicap et peut désormais être joint 24 h/24 et 7 jours sur 7. 

La création de places d'hébergement supplémentaires. Un peu plus de 2 700 places d'hébergement pour les femmes victimes de violences ont été créées sous le quinquennat, passant de 5 100 places en 2017 à 7 820 places fin 2021. Par ailleurs, 1 000 places supplémentaires ont été annoncées pour 2022. "Pour répondre pleinement aux besoins, le nombre de places devrait être multiplié de trois à cinq fois", regrettent néanmoins des associations dans un récent rapport (PDF). Par ailleurs, 30 centres d'hébergement pour les auteurs de violences ont été créés depuis 2020, permettant d'accueillir 6 075 personnes, selon le ministre de la Justice.

Le lancement de la plateforme Arretonslesviolences.gouv.frLancée en 2018 par le ministère de l'Intérieur, elle permet de trouver des informations, de signaler des violences et de dialoguer 24h/24 et 7 jours sur 7 avec des policiers formés à la lutte contre les violences sexuelles. 

La création de l'infraction d'outrage sexiste. Critiqué à son lancement pour son application difficile (elle nécessite que l'auteur soit pris sur le fait), l'outrage sexiste reste un outil marginal. Entre le 3 août 2018 et le 31 décembre 2020, seules 2 600 infractions ont été enregistrées en France, soit environ trois par jour, selon les derniers chiffres du ministère de l'Intérieur. Elle reste néanmoins "intéressante du point de vue de l'évolution des mentalités pour faire comprendre qu'on ne peut harceler impunément", estime l'avocate Carine Durrieu-Diebolt.

La multiplication des ordonnances de protection. Cette procédure, qui existe depuis 2010 mais reste peu connue, permet au juge d'assurer la protection de victimes de violences conjugales, par exemple en interdisant à son auteur d'entrer en contact avec la victime. "Les demandes d'ordonnances de protection ont fortement augmenté entre 2018 et 2020 (+78,4%), de même que le taux d’acceptation de celles-ci (de 61,8% à 66,7%)", note un rapport du ministère de la Justice (PDF). Mais leur nombre (3 320 en 2020) reste très faible, comparé à l'Espagne : en 2019, 70% des 40 720 ordonnances sollicitées dans le pays avaient été accordées (soit 28 682).

Le développement du téléphone grave danger. Ce dispositif, testé dès 2009 et généralisé en 2014, est en plein essor. Alors que 543 téléphones étaient déployés en 2017, ils sont 3 036 à l'être fin 2021 et seront 5 000 fin 2022, a assuré le ministre de la Justice. Mais tous ne sont pas nécessairement utilisés, en raison d'un manque de connaissance des magistrats : sur les 1 716 téléphones disponibles début janvier, seuls les trois quarts (1 274) étaient attribués, selon le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes.

Le développement du bracelet antirapprochement. Ce dispositif, expérimenté en 2020 dans cinq juridictions et généralisé en 2021, fonctionne à l'aide d'un GPS qui permet de géolocaliser les conjoints ou les ex-conjoints violents et de déclencher un système d'alerte lorsque ces derniers s'approchent de leur victime. Un millier de bracelets sont disponibles, mais seuls 676 d'entre eux ont été attribués à la date du 3 novembre, selon le ministre de la Justice.

Des policiers et gendarmes plus formés

Depuis 2019, les gendarmes ont dix heures de formation sur les violences faites aux femmes au sein de leur cursus et les policiers douze heures, assure le ministère de l'Intérieur. Cette formation initiale est complétée par une formation continue pour ceux déjà en poste, mais elle reste souvent optionnelle ou conditionnée à une mutation vers un poste spécialisé sur les violences. Au total, plus de 88 200 policiers et gendarmes ont reçu une formation pour un meilleur accompagnement des victimes depuis le début du quinquennat, assure néanmoins le gouvernement.

De leur côté, les magistrats reçoivent aussi une formation spécifique de neuf heures lors de leur cursus initial. Celle-ci est complétée par des sessions de formation en continu de quelques jours à l'Ecole nationale de la magistrature et, depuis 2019, par une obligation de formation lors de tout changement de fonction.

Certains professionnels spécialisés bénéficient de formations plus longues (environ une semaine), mais ils ne sont pas assez nombreux pour être présents dans chaque commissariat ou gendarmerie, regrettent les associations féministes. On ne compte ainsi que 276 brigades de protection de la famille pour les plus de 600 commissariats existants, rapporte Le Parisien (article payant).

Des résultats encore peu visibles

Les efforts consentis durant le quinquennat d'Emmanuel Macron ont-ils porté leurs fruits ? Entre 2010 et 2019, le nombre de plaintes pour violences sexuelles a été multiplié par 2,4, relève l'Insee dans son étude "Sécurité et société" parue en 2021. Une hausse que l'institut attribue aux "mouvements de libération de la parole" et à "l'amélioration des politiques d'accueil des victimes dans les commissariats et les brigades de gendarmerie". 

C'est ce que confirme le collectif #NousToutes, sur la base de témoignages recueillis en ligne : entre 2018 et 2021, la part de femmes estimant avoir été mal accueillies lors d'un dépôt de plainte est passée de 91% à 66%. Un niveau contrastant toutefois avec les 90% de satisfaction dont se targuait le ministère de l'Intérieur en 2020, selon La Croix.

Néanmoins, malgré des plaintes plus nombreuses et un meilleur accueil des victimes, les conséquences sur la condamnation des auteurs de violence sont variées. Entre 2016 et 2020, le nombre d'hommes condamnés pour violences conjugales a largement augmenté, passant de 15 328 en 2016 à 19 501 en 2020. En revanche, le nombre de condamnations pour viol a baissé :  en 2010, 1 342 infractions de viol ont été sanctionnées, contre 1 269 en 2018, selon les données du ministère de la Justice. 

Enfin, et alors que le traitement médiatique de ces affaires a pris de l'ampleur, le nombre de féminicides ne parvient pas à baisser durablement. En 2006, le ministère de l'Intérieur recensait 137 féminicides commis en France. Une décennie plus tard, ce chiffre (qui varie selon les années) continue de rester au-delà de 100 femmes tuées chaque année : 118 en 2015, 109 en 2016, 130 en 2017, 121 en 2018, 146 en 2019, 102 en 2020...

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