Déclaration de politique générale de Michel Barnier : pourquoi le gouvernement va avoir du mal à mener des réformes d'ampleur

Sans majorité et avec une Assemblée divisée en trois blocs, le nouveau Premier ministre dispose d'une marge de manœuvre très réduite pour faire voter des textes.
Article rédigé par Margaux Duguet, Clément Parrot
France Télévisions
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Michel Barnier prononce sa déclaration de politique générale devant les députés de l'Assemblée nationale, le 1er octobre 2024, à Paris. (AFP / GETTY IMAGES / PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)

"C'est un CDD de trois ou six mois." Voilà résumée, dans la bouche d'un député LR, l'idée que se font de nombreux parlementaires d'un poste au gouvernement. Michel Barnier est finalement parvenu à constituer au forceps une équipe gouvernementale allant du MoDem aux Républicains. Mais à l'heure de prononcer sa déclaration de politique générale, mardi 1er octobre à 15 heures, le nouveau Premier ministre sait que le plus difficile est devant lui. L'ancien négociateur du Brexit doit détailler sa feuille de route, tout en sachant que les obstacles s'annoncent nombreux.

"Il n'y a pas de légitimité pour des réformes importantes. S'il fait passer le budget, ce sera déjà colossal", prédit un député Renaissance. "Il n'y aura pas de grandes réformes, ça passera par beaucoup de décrets, par du réglementaire", confirme une députée LR. Grâce aux décrets, le gouvernement peut se passer de l'avis du Parlement pour légiférer, mais cette procédure ne peut s'appliquer dans tous les domaines. "Il est sûr que Michel Barnier manque de marge de manœuvre", admet Philippe Juvin, député LR.

"Il y a une réelle fragilité du gouvernement, liée au fait que le Rassemblement national va saisir la première opportunité pour le censurer."

Un député des Républicains

à franceinfo

La donne politique à l'Assemblée ressemble effectivement à un casse-tête pour le chef du gouvernement. Avec au mieux 234 députés (en comptant l'intégralité des membres du groupe Liot), la majorité relative reste très loin de la barre des 289 parlementaires nécessaire au vote d'un texte de loi. "L'équation s'annonce très compliquée, la situation est précaire, mais on doit pouvoir trouver des solutions, des compromis", espère Jean Terlier, député Renaissance.

Le Rassemblement national en arbitre

Pour y parvenir, le gouvernement devra composer avec sa gauche ou son extrême droite. "Le Nouveau Front populaire va se placer dans une opposition franche, il faut donc pour le gouvernement trouver sur chaque texte un accord allant du MoDem jusqu'au Rassemblement national", constate le constitutionnaliste Benjamin Morel, maître de conférences à l'université Paris-Panthéon-Assas. Pour l'instant, Marine Le Pen et ses troupes ont promis qu'il n'y aurait pas de censure automatique, tout en prévenant qu'ils plaçaient le gouvernement "sous surveillance". "Le RN a un intérêt stratégique à laisser vivre le gouvernement Barnier, car il se trouve dans un rôle d'arbitre extrêmement favorable", traduit Benjamin Morel.

Concrètement, le parti d'extrême droite va parfaire son image de respectabilité, avec la "stratégie de la cravate", mais n'hésitera pas à négocier sur chacun des textes de loi arrivant dans l'hémicycle. Et ce, dès le projet de loi de finances qui doit être examiné prochainement. La gauche va à son tour tracer un certain nombre de lignes rouges et le RN pourra choisir d'en reprendre certaines pour faire plier Michel Barnier. "Le Rassemblement national tentera alors de s'attribuer les mérites de ces amendements au budget", prédit Benjamin Morel.

"Le RN est dans une position idéale. Seul inconfort : le gouvernement va tenir grâce à eux, alors que leurs électeurs aimeraient le voir tomber." 

Benjamin Morel, politologue

à franceinfo

Face à l'état des finances publiques, le gouvernement cherche des ressources et la majorité relative a commencé à se diviser sur la question des possibles hausses d'impôts. "Un budget normal avec une majorité solide, c'est déjà difficile, alors un budget très contraint avec un groupe majoritaire hétéroclite, c'est objectivement très difficile", résume le député Horizons Loïc Kervran.

Des divisions en interne

D'autant que le RN ne devrait pas faciliter la tâche de l'exécutif. Pour ne pas être accusé de complaisance en ne votant pas la censure, le parti présidé par Jordan Bardella hausse le ton sur les plateaux de télévision. Quand Antoine Armand, le nouveau ministre de l'Economie, exclut le Rassemblement national de l'arc républicain, les responsables d'extrême droite organisent ainsi un tir groupé, avec des menaces de censures explicites.

Antoine Armand a ainsi été vite recadré "clairement et fermement" par Matignon et Michel Barnier a même appelé Marine Le Pen pour s'expliquer, ce qui a provoqué la colère d'une partie des députés de Renaissance. L'épisode montre à quel point la solidarité s'annonce difficile pour le nouvel exécutif, ce qui explique sans doute le besoin de nommer une ministre chargée de la Coordination gouvernementale.

"On a envie de rappeler à Michel Barnier qui va voter ses textes, parce que là il pense uniquement à ceux qui vont s'abstenir."

Un cadre de Renaissance

à franceinfo

Le gouvernement a également montré ses divisions, à travers l'échange à distance entre Didier Migaud et Bruno Retailleau"Il doit savoir que la justice est indépendante dans notre pays", a lancé le garde des Sceaux sur France 2, en réponse à la déclaration du ministre de l'Intérieur qui réclamait des "sanctions fermes et rapides pour les délinquants". L'arrivée de ce fervent conservateur à la Place Beauvau a crispé une partie du bloc central et les positions d'une partie des membres du gouvernement contre le mariage pour tous ou l'inscription de l'IVG dans la Constitution ont conduit Gabriel Attal à réclamer des garanties au Premier ministre. "Il n'y a aucune ambiguïté", lui a répondu Michel Barnier sur France 2

L'ancien commissaire européen sait aussi que les tensions risquent d'apparaître quand viendront les débats de société clivants. Bruno Retailleau a déjà annoncé son intention de réformer l'aide médicale d'Etat par voie réglementaire. "Une suppression ne serait pas acceptable", a prévenu Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition écologique. Le ministre des Républicains ne s'interdit pas, par ailleurs, "une nouvelle loi" immigration. "C'est l'un des sujets les plus sensibles. Mais mettons déjà en œuvre le texte voté et les dispositions européennes", répond un ancien ministre macroniste redevenu député. Dimanche, deux jours avant le discours de Michel Barnier à l'Assemblée, de nouveaux propos de Bruno Retailleau sur "l'Etat de droit" qui "n'est pas intangible, ni sacré", ont été vivement critiqués par des figures de l'ex-majorité

A la recherche de consensus

Le dossier de la réforme des retraites va également vite revenir sur la table. Le RN comme la gauche veulent passer par une proposition de loi pour abroger le texte décrié du précédent gouvernement. Même si les deux blocs parviennent à s'entendre sur une abrogation, le Sénat s'y opposera et en cas d'échec de la commission mixte paritaire, le gouvernement n'est pas contraint de donner le dernier mot à l'Assemblée. Même si Michel Barnier s'est dit ouvert à des "améliorations" pour les plus fragiles, "il ne souhaite pas mettre en pièces la réforme et ce serait de toute façon une ligne rouge pour notre groupe", prévient Jean Terlier.

Sur quels autres textes le gouvernement peut-il avancer ? "De grandes réformes clivantes, marqueurs d'une famille politique, ce sera difficile. Mais on peut imaginer des réformes consensuelles comme sur la fin de vie", ose un ancien ministre. La présidente de l'Assemblée Yaël Braun-Pivet souhaite d'ailleurs que le texte soit "réexaminé avant la fin de l'année". D'autres dossiers ont été laissés en suspens par le précédent gouvernement, comme la réforme de l'assurance-chômage ou le projet de loi d'orientation agricole. Il y a aussi des urgences à gérer, comme la situation en Nouvelle-Calédonie où la réforme électorale a été suspendue par Emmanuel Macron. Sur chacun de ces textes, le gouvernement sera contraint de trouver des majorités de circonstance. A défaut, l'expérience Barnier sera de courte durée.

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