"Tous ces débats réduits à néant" : le projet de loi sur la fin de vie victime de la dissolution de l'Assemblée nationale

Article rédigé par Mathilde Goupil, Lucie Beaugé
France Télévisions
Publié
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Un infirmier tient la main d'un patient du service de soins palliatifs de l'hôpital d'Argenteuil (Val-d'Oise), le 22 juillet 2013. (FRED DUFOUR / AFP)
L'examen du texte, qui avait démarré en avril, s'est brutalement arrêté avec la décision d'Emmanuel Macron de dissoudre l'Assemblée nationale. L'avenir de cette "grande loi de société" est désormais incertain, suspendu aux résultats des législatives anticipées.

C'est l'une des nombreuses conséquences de la dissolution de l'Assemblée nationale. L'examen du projet de loi sur la fin de vie, qui était prévu jusqu'au 18 juin, a été suspendu dimanche 9 juin. Et pour cause : les députés ne retrouveront les bancs du Palais Bourbon qu'après les élections législatives anticipées prévues les 30 juin et 7 juillet. Pour que le texte soit à nouveau examiné, il faudra qu'il soit réinscrit à l'ordre du jour après le scrutin par le gouvernement. Une hypothèse incertaine, qui dépendra de la composition de l'Assemblée.

En l'état actuel, le projet de loi examiné en première lecture réservait l'aide à mourir aux personnes de plus de 18 ans, françaises ou résidant en France. Elles devaient souffrir d'une "affection grave et incurable, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale", cette dernière provoquant une souffrance physique ou psychologique réfractaire ou insupportable. Ceux qui souhaitaient en bénéficier devaient également être aptes à manifester leur volonté de façon libre et éclairée, les députés ayant écarté la possibilité d'inscrire le recours à l'aide à mourir dans les directives anticipées. Ils avaient également supprimé la possibilité donnée à un tiers d'administrer la substance létaleSi le dossier est réouvert, les nouveaux députés devront néanmoins se pencher sur l'intégralité du texte, en commission puis dans l'hémicycle, la dissolution annulant le travail déjà réalisé.

"Hélas, cette décision bloque le processus"

Parmi les soutiens du texte, la désillusion est palpable. "L'arrêt brutal de ce qui allait être la grande loi de société de cette décennie est une très grande déception", reconnaît ainsi Olivier Falorni, le rapporteur général du projet de loi. "Je crains fortement que l'examen soit interrompu pour longtemps", souffle le député sortant MoDem, alors que le Rassemblement national, majoritairement hostile au projet de loi, part favori des législatives anticipéesSi l'extrême droite remporte le scrutin, "ça sera la fin de la loi sur la fin de vie, très clairement". Si la majorité garde la main sur l'Assemblée, le texte restera-t-il parmi les priorités parlementaires ? "Très sincèrement, l'enjeu des trois prochaines semaines, c'est de faire front. Ensuite, l'avenir de la loi dépendra du résultat des élections", balaie le rapporteur, alors que la Charente-Maritime, où il est élu, a largement plébiscité la liste conduite par Jordan Bardella.

"Toutes ces semaines d'auditions, de débats à l'Assemblée, réduites à néant ! C'est d'une violence absolue", se désole aussi Jean-Luc Roméro-Michel, président d'honneur de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD).

"C'est l'un des plus gros coups de massues qu'on ait connu, après avoir eu l'espoir fou de voir cette loi aboutir, même si ce n'est pas celle qu'on aurait souhaité."

Jean-Luc Roméro-Michel, président d'honneur de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité

à franceinfo

"La question de la fin de vie ne méritait-elle pas qu'on attende de finir l'examen de ce texte [pour dissoudre l'Assemblée] ?" s'interroge de son côté la députée sortante écologiste Sandra Regol, déçue de voir le texte "jeté à la poubelle". "Il y a beaucoup de déception", renchérit Martial Breton, l'un des participants à la Convention citoyenne sur la fin de vie, joint par l'AFP.

Les malades, concernés directement par ce projet de loi, ont aussi vu leurs espoirs balayés d'un revers de main. "Je suis fort désolée de voir ce projet ajourné", lâche Martine, dont le cancer du sein s'est propagé au reste de son corps en janvier, et qui avait confié à franceinfo son espoir de voir le texte adopté. Elle ajoute : "Cette décision politique est très brutale et ne tient aucun compte du bien commun." Pour Chris, atteinte d'un cancer du pancréas depuis trois ans, la nouvelle est "difficile à vivre". Agée de 80 ans, celle qui a entamé sa 78e cure de chimiothérapie lundi ne souhaitait pas recourir à l'aide à mourir : "C'est mon choix personnel, mais je souhaite que les autres puissent faire ce qu'ils veulent." Aux élections législatives, elle sera attentive aux positions des candidats de sa circonscription du Rhône à ce sujet.

"J'aurai du mal à voter pour quelqu'un opposé au projet de loi tel qu’il avait été avancé."

Chris, malade atteinte d'un cancer du pancréas

à franceinfo

Dans le corps médical, ce revirement est aussi un coup dur. "Voilà des années qu'on nous répète que la loi sur la fin de vie, ce n'est pas le moment. (...) Pour une fois, on avait une porte entrouverte. Alors que la loi allait aboutir, hélas, cette dissolution de l'Assemblée bloque le processus", a regretté Denis Labayle, médecin et coprésident de l'association Le Choix, sur France Inter. Auprès de franceinfo, François Blot, médecin réanimateur à l'Institut Gustave-Roussy, craint le scénario du "pire", c'est-à-dire "un changement de Premier ministre et le texte mis dans un tiroir". Mais la reprise à zéro de l'examen parlementaire serait aussi un "crève-cœur terrible" pour certains malades, à qui le temps manque. "Il y a des patients en fin de vie qui espéraient bénéficier, dans les mois à venir", de la légalisation de l'aide à mourir, souligne François Blot. 

"Je ressens une forme de soulagement"

Du côté de ceux qui combattent le texte, la "satisfaction" est de mise. "Je n'imagine pas qu'il soit reprogrammé tout de suite", avance Patrick Hetzel, le député sortant des Républicains, opposé comme la majorité de sa famille politique à l'aide à mourir. "Et avec les navettes parlementaires nécessaires sur un texte comme celui-ci", même s'il réussit finalement à trouver une majorité, ça ne sera pas avant "2026 ou plus". "Je ressens une forme de soulagement", abonde Claire Fourcade, vice-présidente de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs, opposée de longue date à l'euthanasie. "Ce texte partait dans une direction qui ne nous paraissait pas être la bonne", estime-t-elle. Cette dernière compte utiliser le délai fourni par les législatives pour continuer "à s'adresser à tous ceux qui veulent en savoir plus sur notre opposition à l'aide à mourir".

En revanche, la médecin espère que "la question du développement des soins palliatifs" ne restera pas lettre morte, estimant qu'un "consensus" a été atteint. Avant la suspension des débats, les députés ont en effet consacré, contre l'avis du gouvernement, un "droit opposable" aux soins palliatifs, alors qu'une personne sur deux n'y a pas accès aujourd'hui. Un souhait partagé par Patrick Hetzel :

"Les soins palliatifs et la question de la dépendance me paraissent prioritaires par rapport à l'aide à mourir."

Patrick Hetzel, député des Républicains opposé au projet de loi

à franceinfo

Pour d'autres opposants au projet de loi, le délai supplémentaire n'est pas synonyme de victoire. "La boîte de Pandore est ouverte, il faut aller jusqu'au bout de la discussion maintenant", estime ainsi François Braun, ancien ministre de la Santé, qui n'avait pas caché ses réserves sur l'aide à mourir quand il était encore au gouvernement. "Reporter encore la discussion reviendrait à rouvrir une nouvelle fois ces débats."

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