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Législatives : décrets, référendums… De quelles armes dispose la majorité présidentielle pour gouverner malgré l’opposition ?

Article rédigé par franceinfo
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Publié Mis à jour
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Une vue de l'Assemblée nationale, le 17 mai 2022, à Paris.  (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

Les partis qui soutiennent Emmanuel Macron n'ont obtenu qu'une majorité relative lors des législatives. Cela va contraindre le gouvernement à négocier avec le Parlement et à mettre en œuvre plusieurs stratégies pour faire voter des lois. Sans garantie de succès.

Emmanuel Macron et son gouvernement vont devoir composer avec une majorité relative à l'Assemblée. Après les résultats des élections législatives, il manque près de quarante députés au camp présidentiel pour avoir les mains libres et faire passer ses lois. Mais même sans majorité absolue, l'exécutif dispose de quelques atouts dans son jeu pour gouverner. 

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Un accord de coalition : peu probable en l'état

"Il faudra clarifier dans les prochains jours la part de coopération que les formations de l’Assemblée nationale sont prêtes à prendre", a déclaré mercredi soir Emmanuel Macron dans son allocution. S'il a écarté l'idée d'un gouvernement d'union nationale, il a de cette manière laissé la porte ouverte à un accord de gouvernement. A l'image de l'Allemagne, où les formations politiques parviennent à mettre sur pied de larges accords de coalition, le gouvernement pourrait trouver une solution en ouvrant ses portes à d'autres partis, et ainsi obtenir une majorité stable dans l'Hémicycle.

Et c'est vers la droite que les regards se tournent en premier. "On travaillera naturellement avec Les Républicains", a reconnu jeudi sur LCI Elisabeth Borne, tout en assurant pouvoir travailler avec tout le monde. Pour l'instant, LR adresse une fin de non-recevoir à toute idée de grande coalition. "Il n'est pas question de pacte, ni de coalition, ni d'accord de quelque nature que ce soit", a répété le patron de LR, Christian Jacob. "Il ne peut y avoir de chèque en blanc, de surcroît sur un projet peu clair", a ajouté le nouveau président du groupe LR, Olivier Marleix, en réaction aux propos d'Emmanuel Macron. 

Des compromis au cas par cas : le scénario privilégié

Si un accord de coalition semble pour l'instant écarté, le gouvernement ne renonce pas à trouver des accords au cas par cas en fonction des textes pour éviter le blocage institutionnel. Sur LCI, Elisabeth Borne s'est ainsi dite "très confiante" sur le fait de "trouver des députés pour voter des textes parce qu'on a intégré leurs propositions". Pour cela, l'Elysée et Matignon passent de nombreux coups de fil depuis le début de la semaine et multiplient les consultations avec les différentes forces politiques. Objectif : trouver la quarantaine de parlementaires qui permettraient de s'assurer une majorité.

Au-delà des débauchages individuels, la majorité souhaiterait s'appuyer sur la constitution de deux "groupes flotteurs" à l’Assemblée, comme le rapporte Le Parisien, l'un sur son aile gauche et l'autre sur son aile droite. L'objectif est de s'assurer de la présence de groupes bienveillants pour permettre de passer les textes au cas par cas. La cheffe du gouvernement n'exclut pas non plus de trouver des majorités plus larges sur certains textes "avec les partis républicains". Elle a pour cela ouvert la porte à certains compromis de la part du gouvernement, prenant l'exemple du texte sur le pouvoir d'achat. "On peut être à l'écoute de propositions, j'ai entendu dans le programme des Républicains la défiscalisation des heures supplémentaires..." a déclaré la Première ministre sur LCI.

Les décrets : une arme indispensable

Le gouvernement peut agir sans passer par le vote d'une loi. La Constitution lui donne le pouvoir d'agir par décrets, dans les "matières autres que celles qui sont du domaine de la loi" défini dans son article 34.  C'est-à-dire que le gouvernement peut se passer d'un vote du Parlement pour légiférer. Mais cette procédure ne peut pas s'appliquer dans tous les domaines. Par exemple, les lois qui concernent l'organisation des élections, la préservation de l'environnement ou le régime de la propriété ne peuvent pas être modifiées par décret. Mais pour tout ce qui est du  domaine réglementaire (c'est-à-dire tout ce qui n'est pas du domaine de la loi selon l'article 37), la Constitution prévoit que les lois "peuvent être modifiées par décrets pris après avis du Conseil d'Etat". Et ces décrets n'ont pas besoin d'être validés par le Parlement. "Cette majorité relative pourrait rappeler à l'exécutif qu'il peut avancer sans le Parlement dans certains domaines", explique Anne Levade, constitutionnaliste et professeure à l'université Paris1 Panthéon-Sorbonne. Un problème, cependant : les lois sont supérieures aux décrets dans la hiérarchie des normes, c'est-à-dire qu'un décret ne peut pas contredire une loi. Et que, donc, un décret ne peut pas modifier la loi : seule une nouvelle loi peut modifier une loi existante.

Sur certains sujets, Emmanuel Macron pourrait ainsi avancer par décrets, sans avoir besoin de demander au Parlement de modifier la loi. Gouverner par décrets serait donc constitutionnellement possible, mais "politiquement, ça ne passerait pas inaperçu. Et puis, ça ne remplacera pas les ordonnances", commente Anne Levade.

Les ordonnances : impossible sans majorité absolue ou coalition

L’article 38 de la Constitution permet au gouvernement d'avoir recours aux ordonnances, c'est-à-dire de mettre en place son programme sans passer par le processus législatif habituel. "Le gouvernement peut (...) demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi", précise la Constitution. Pour cela, le gouvernement doit obtenir du Parlement qu’il vote une loi dite "d’habilitation". L'exécutif est alors autorisé à prendre des mesures sur des sujets précis et pour une période définie, sans passer par le Parlement.

"Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis du Conseil d'État", prévoit la Constitution. Une fois signées par le chef de l’Etat, elles entrent en application. Cependant, si un projet de loi de ratification "n'est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d'habilitation", rappelle la Constitution, l'ordonnance ne s'applique plus. Le Parlement a donc le dernier mot. 

Pour Emmanuel Macron et son gouvernement, légiférer par ordonnances s’annonce compliqué, voire impossible. Les oppositions ont dénoncé le recours aux ordonnances pendant le quinquennat précédent, car cette pratique amoindrit le rôle du Parlement. Privé de majorité absolue, le gouvernement d’Emmanuel Macron aura donc la plus grande des difficultés à faire voter une loi d’habilitation lui permettant de légiférer par ordonnances.

Le référendum : une arme à double tranchant

En cas de désaccord avec le Parlement, il est possible de faire appel au peuple. Le référendum peut être utilisé pour l’adoption d’un "projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions", explique l'article 11 de la Constitution. Le gouvernement doit alors faire, devant chaque assemblée, une déclaration suivie d'un débat.

"On peut très bien imaginer qu'Emmanuel Macron fasse voter la loi sur le pouvoir d'achat par référendum", explique à l'AFP Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l'université Paris1 Panthéon-Sorbonne. Mais cette solution pour contourner le Parlement peut se révéler être "une arme à double tranchant", les votants n'approuvant pas forcément cette façon de snober leurs élus.

L’emploi du 49.3 : un pari risqué

Il s’agit d’un article controversé de la Constitution. Sous le quinquennat de François Hollande, le passage en force de la loi Travail avait entraîné des manifestations dans toute la France. Mais que prévoit donc le 49 alinéa 3 ? Cet article permet au Premier ministre "d'engager la responsabilité du gouvernement devant l'Assemblée nationale" sur un projet de loi. Ce dernier est adopté, "sauf si une motion de censure est votée dans les vingt-quatre heures qui suivent", explique la Constitution. Il est possible d'utiliser le 49.3 pour un projet de loi de finances, pour un projet de loi de finances sur la Sécurité sociale, et pour un autre projet ou une autre proposition de loi, une seule fois par session parlementaire.

Concrètement, l’article 49.3 permet à un gouvernement de faire passer en force un texte de loi, en contrepartie du risque de se faire renverser. C’est-à-dire que le projet de loi du gouvernement est adopté sans vote au Parlement, ni possibilité de soumettre au vote des amendements. Mais le Premier ministre engage sa responsabilité et celle de son gouvernement sur ce texte. Si une motion de censure est adoptée par l'opposition, le gouvernement est contraint de démissionner.

Au vu de la composition actuelle de l’Hémicycle, en cas de 49.3, les oppositions seraient en capacité de déposer une motion de censure, puisqu’il suffit de recueillir la signature d’un dixième des députés, soit 58, pour déclencher cette procédure. Et ensuite, lors du vote, si les oppositions se rassemblent, elles auraient la capacité d’atteindre les 289 voix nécessaires pour renverser le gouvernement. Avoir recours au 49.3 serait donc un pari très risqué. Pourtant, ce ne serait pas la première fois qu’un gouvernement avec une majorité relative l'utilise. Entre 1988 et 1991, le Premier ministre, Michel Rocard, n’avait pas la majorité absolue, ce qui ne l’a pas empêché d’avoir recours au 49.3 à 28 reprises (son utilisation n'était pas limitée comme aujourd'hui). Mais il ne manquait à l'époque que 14 sièges à la majorité. 

L’utilisation du vote bloqué : contre-productif 

"Si le gouvernement le demande, l'Assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le gouvernement." Pour accélérer le travail législatif, le gouvernement peut demander au Parlement d’avoir recours à l’alinéa 3 de l’article 44 de la Constitution. Cela permet au gouvernement de passer outre les amendements déposés par l’opposition, mais également par sa majorité. Seule la version du gouvernement est proposée au vote.

Ce processus s’appelle le vote bloqué. Il permet au gouvernement de gagner du temps et d’adopter ses projets de loi plus vite, particulièrement en cas d'obstruction parlementaire, c'est-à-dire d’amendements déposés en masse par l’opposition pour ralentir le processus législatif. Toutefois, contrairement au 49.3, les amendements sont tout de même discutés après le vote. Le vote bloqué ne met pas fin aux débats à l’Assemblée nationale. Les députés peuvent toujours prendre la parole pour exprimer leur désaccord, mais ne peuvent plus soumettre leurs amendements au vote.

Si le vote bloqué est un outil utile pour les gouvernements avec une majorité absolue, il s’avère contre-productif en cas de majorité relative. Le gouvernement d’Emmanuel Macron va devoir convaincre des députés en dehors de sa majorité de voter ses projets de loi pour pouvoir appliquer son programme. Le passage en force des textes de loi n’est plus une option pour le gouvernement.

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