Récit franceinfo "C'est le jeu, mais c'est très difficile" : ministres, conseillers et postulants face à l'interminable attente du reste du gouvernement Attal

Le casting des secrétaires d'Etat et ministres délégués ne devrait pas être connu avant la fin janvier. Tandis que certains manœuvrent en coulisse, le suspense alimente les rumeurs et met les nerfs des intéressés à rude épreuve.
Article rédigé par Margaux Duguet, Thibaud Le Meneec
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Le Premier ministre, Gabriel Attal, entouré de Catherine Vautrin, ministre du Travail et de la Santé, et Bruno Le Maire, ministre de l'Economie et des Finances, lors de la conférence de presse d'Emmanuel Macron à l'Elysée, le 16 janvier 2024. (LUDOVIC MARIN / AFP)

"Il faut gérer le stress de l'attente, car on a envie de rester". Cette ancienne membre du gouvernement Borne, qui espère retrouver un maroquin ministériel, résume parfaitement l'ambiance qui règne dans les couloirs du pouvoir. Le 11 janvier, quatorze portefeuilles ont été attribués dans le gouvernement de Gabriel Attal. Il s'agit des ministres les plus politiques, aux fonctions les plus importantes, qui vont occuper le devant de la scène médiatique. Mais après la composition de ce "XV de France" vanté par l'entourage d'Emmanuel Macron , l'annonce du reste de l'équipe se fait toujours attendre, samedi 20 janvier.

Initialement prévue deux semaines plus tard, autour du 25 janvier, cette seconde vague n'interviendra finalement qu'après la déclaration de politique générale de Gabriel Attal, qui devrait avoir lieu le 30 janvier, a appris franceinfo auprès de l'exécutif. Soit trois semaines de battement. De quoi alimenter rumeurs, spéculations et inquiétudes chez les 27 ministres sortants.

"Il y aura forcément des déçus."

Une députée Renaissance

à franceinfo

Beaucoup reverraient d'ailleurs "leurs ambitions à la baisse du fait des super-ministères" créés à l'occasion de ce remaniement, livre un ancien conseiller de l'exécutif. Des périmètres ministériels vont fusionner afin de "ne pas dépasser 30 ministres en tout et pour tout", assure un membre de premier plan du gouvernement à France Télévisions. Si certaines personnalités ne devraient pas faire partie de l'équipe finale, comme l'ex-ministre de la Culture Rima Abdul Malak, ou l'ancienne ministre des Affaires étrangères et diplomate Catherine Colonna, la grande majorité des sortants espère repartir pour un tour.

"Jusqu'à la dernière minute, tout peut bouger"

Dans l'attente de la fumée blanche, qui devrait prendre la forme d'un communiqué de l'Elysée, diverses stratégies s'affrontent pour tenter de sauver sa place au gouvernement. Il y a d'abord ceux qui n'hésitent pas à se montrer très offensifs afin de défendre leur ancien pré carré. C'est le cas de Stanislas Guerini, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques dans le gouvernement Borne. Lundi, Emmanuel Macron a confirmé, devant sa majorité parlementaire, que "Stan" aurait la tâche de "porter" la délicate réforme de la fonction publique. Il devrait donc conserver son portefeuille, mais sans l'assurance de rester ministre de plein exercice. "Le ministre a écarté la perspective que son ministère soit un ministère délégué" , faisait pourtant valoir son entourage à franceinfo avant la petite phrase du président.

Au gouvernement, il pourrait retrouver son ex-collègue Agnès Pannier-Runacher. Celle qui était ministre de la Transition énergétique va devenir ministre déléguée à la Santé, a appris franceinfo sitôt la première vague du remaniement connue. "Quelle folie d’avoir accepté ou voulu que son poste soit rendu public si tôt. Elle permet à l’ensemble du secteur de la santé d’organiser un référendum pour ou contre sa nomination avant l’annonce" , observe un ex-conseiller ministériel. "Soit c'est très malin, soit c'est une grosse connerie", s'interroge un député Renaissance. Car "jusqu'à la dernière minute, tout peut bouger", rappelle un habitué des couloirs ministériels.

Dans cette période particulière, les sortants utilisent les médias pour jouer leur carte à fond. Bérangère Couillard, remplacée à l'Egalité femmes-hommes par Aurore Bergé, a ainsi assuré à France 3 Nouvelle-Aquitaine s'être vue proposer une fonction dans le futur gouvernement par le Premier ministre. "Une autre mission me sera attribuée, mais il faut le temps.", a expliqué avec certitude la Girondine, deux jours après le remaniement.

Une pluie de notes pour l'Elysée

D'autres ministres, plus prudents, n'abandonnent pas pour autant le terrain politique. "L'attente n'est pas insurmontable de mon côté, car je reste très attentive aux actualités des solidarités et du handicap", assure Fadila Khattabi, ex-ministre déléguée chargée de ces questions, "plutôt confiante" quant à son éventuelle reconduction. "Je rencontre des parlementaires, car c'est indispensable de les écouter", glisse également Dominique Faure, en attendant de savoir si elle est reconduite aux Collectivités territoriales et à la Ruralité. De nombreux "ex" n'hésitent pas à faire passer des notes pour montrer leur implication. "Mon ministre a envoyé au président et à l'Elysée un bilan et des perspectives pour rester en place", explique un ancien conseiller. Le but ? Imaginer la suite de l'aventure ministérielle.

"J'ai déjà une note de deux pages, avec un fil conducteur, une sorte de feuille de route pour les prochains jours et semaines. Si jamais je n'étais pas renommée, je la passerai au successeur."

Dominique Faure, ex-ministre déléguée aux Collectivités territoriales et à la Ruralité

à franceinfo

Mais, pour une partie des ministres débarqués dans l'attente d'être renommés, la période est aussi propice à un peu de recul sur le tourbillon du travail ministériel. "Je m’arme de patience, glisse l'un d'entre eux. Je fais du sport pour me mettre en forme. Et je vois les amis !" Même son de cloche chez une de ses ex-camarades, qui "profite de sa famille" loin du Conseil des ministres. De son côté, Sarah El Haïry (Biodiversité), qui vient d'accoucher, assure que "tout va bien", entre les couches et les biberons.

Pour autant, les tractations ne sont jamais très loin. "Ils sont tous en train de pousser leurs pions", raille un conseiller. Cette stratégie à bas bruit vaut aussi pour les parlementaires de la majorité qui souhaitent entrer au gouvernement. "Il faut parler du fond, et j'alimente sur le fond", assure l'un d'entre eux. "Moi, j'ai refait passer le message pour avoir les Transports", déclare sans détour un autre.

L'assurance des uns, les incertitudes des autre

Beaucoup sont encore dans le flou. "Mon ministre n'a aucune assurance sur quoi que ce soit. Il veut rester à son poste, mais Alexis Kohler [le secrétaire général de l'Elysée] lui a dit que toutes les options étaient sur la table", livre-t-on dans l'entourage d'un sortant. "La mienne a échangé avec Attal, mais elle n'a pas eu de réponse ferme, c'était 'On réfléchit, on revient vers toi'", confie un autre. "Mais, je pense qu'ils vont chercher la stabilité", espère le même, secrètement.

Restent quelques certitudes : au ministère de l'Economie et des Finances, dirigé par l'indéboulonnable Bruno Le Maire, il ne devrait pas y avoir énormément de changement. Roland Lescure, ancien ministre délégué chargé de l'Industrie, devrait être reconduit à son poste, voire récupérer le portefeuille de l'Energie, qui doit être rattaché à Bercy, selon plusieurs sources de la majorité. Thomas Cazenave, aux Comptes publics, devrait lui aussi retrouver son maroquin. L'ex-ministre délégué chargé du Logement, Patrice Vergriete, ancien maire de Dunkerque et tenant de l'aile gauche de la macronie, devrait également faire partie du gouvernement Attal. "C'est une star", glisse même un proche du chef de l'Etat à son sujet. C'est aussi le cas de Sabrina Agresti-Roubache, proche du couple Macron et ex-secrétaire d'Etat chargée de la Citoyenneté et de la Ville.

Au ministère des Affaires étrangères, repris par le patron de Renaissance, Stéphane Séjourné, les choses sont beaucoup plus incertaines pour Olivier Becht, anciennement au Commerce extérieur, Laurence Boone, ex-secrétaire d'Etat chargée de l'Europe, ou Chrysoula Zacharopoulou, ex-secrétaire d'Etat à la Francophonie. "Au Quai [d'Orsay], ils n'ont pas imprimé", cingle un ancien conseiller du gouvernement. D'autres anciens ministres plus médiatiques pourraient, eux aussi, ne pas retrouver de place au gouvernement. Olivier Véran, remplacé comme porte-parole du gouvernement, est cité comme potentielle tête de liste aux européennes. Franck Riester, anciennement aux Relations avec le Parlement et dont le portefeuille a déjà été attribué à Marie Lebec, "ne va pas être repêché et redeviendra député", croit savoir une source au sein de la majorité.

Et puis il y a le cas Clément Beaune, macroniste de la première heure, ancien conseiller du président, mais qui a fait entendre ses états d'âmes au sujet du projet de loi immigration, agaçant profondément dans le camp présidentiel. "L'épisode a laissé des traces", assure un conseiller de l'exécutif. Ils sont nombreux à ne pas le voir reconduit, et à avoir interprété son tweet de remerciement comme une envie de tourner la page ministérielle. Selon nos informations, cette figure de l'aile gauche est pourtant bien dans l'expectative d'une proposition de l'exécutif.

Les exigences du MoDem et le blues des conseillers

Cette longue attente pèse sur le moral des troupes. "C'est le méga-blues dans les cabs", soupire un ancien conseiller. Avec 27 ministres sur le carreau, ce sont quelque 300 membres des cabinets ministériels qui ne savent pas s'ils seront repêchés. Certains ont encore accès à leur bureau et se voient quotidiennement, tandis que d'autres restent chez eux. "On mange tous les midis ensemble, mais officiellement, on est au chômage", raconte l'un d'eux. "On prend des nouvelles des uns et des autres, c'est bizarre comme situation", poursuit une autre. "C'est le jeu, il faut l'accepter, mais c'est très difficile", témoigne encore un ex-conseiller. Alors chacun tue le temps, en observant le ballet des ambitions des uns et les coups de pression des autres.

Le MoDem et l'aile gauche de Renaissance, mécontents de la première vague de nominations qui penche, selon eux, trop à droite, espèrent un rééquilibrage et n'hésitent pas à le faire savoir dans le Tout-Paris. "L'exercice est difficile : il faut montrer suffisamment les muscles pour faire passer le message à l'exécutif et même à l'opinion publique, mais sans paraître mauvais joueur ou boudeur", raconte un député MoDem, qui assure être "tombé de sa chaise" en découvrant "le casting des 14". "On va être très attentifs, le Premier ministre a tout intérêt à bien nous écouter. Le côté gentil bisounours, c'est fini", prévient même un autre.

"On essaie d'avoir pas moins de quatre ministres, comme dans le gouvernement Borne, voire un de plus."

Un député MoDem

à franceinfo

De quoi agacer chez Renaissance. "[François] Bayrou se ridiculise", flingue une députée du parti présidentiel au sujet du patron du MoDem. "Il prétend avoir une influence majeure sur les choix forts du Palais [de l'Elysée], mais il se retrouve impuissant. Il faut qu'il arrête de comparer son poids politique au nombre de secrétaires d'Etat qu'il a." Sans surprise, la perspective du remaniement exacerbe les tensions entre les différentes sensibilités de la majorité.

Pas de quoi inquiéter le président, au contraire. "Quand il présente ses vœux aux parlementaires, lundi dernier, il jubile, car il reprend la main. Quand il dit que Stanislas Guerini portera la réforme en tant que ministre, ça crée une décharge chez nous, ça nourrit l'attente", relate un député Renaissance. A défaut de pouvoir se représenter en 2027, Emmanuel Macron continue à maintenir son camp sous pression grâce à son pouvoir de nomination. "C'est comme ça que vous tenez les gens", sourit un poids-lourd de la majorité.

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