Moins de ministres mais avec des périmètres élargis : à quoi ça sert d'avoir un gouvernement "resserré" ?

Emmanuel Macron et Gabriel Attal n'ont pour l'instant nommé que quatorze ministres. Même si une deuxième salve de nominations interviendra prochainement pour attribuer certains portefeuilles, ce resserrement de l'équipe gouvernementale ne relève pas seulement du marketing politique.
Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
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Temps de lecture : 7min
Emmanuel Macron réunit le premier Conseil des ministres du gouvernement de Gabriel Attal, le 12 janvier 2024, à l'Elysée. (MICHEL EULER / AFP)

Il fallait bien mettre tout cela en images. Sourire aux lèvres, tape sur la table, Emmanuel Macron lance un "au travail !" à ses quatorze nouveaux ministres, devant les crépitements des flashs des photographes. Pour marteler l'idée d'un gouvernement resserré, le Conseil des ministres du nouveau gouvernement de Gabriel Attal s'est tenu, vendredi 12 janvier, non pas dans le salon des Ambassadeurs mais dans le salon vert du palais présidentiel, qui est traditionnellement la pièce de travail du chef de l'Etat.

L'endroit est beaucoup plus exigu, et la table présente des dimensions bien moins grandes que celle autour de laquelle les ministres se retrouvent habituellement. "Il s'agit d'une première en salon vert qui est rendue possible par la composition historiquement resserrée de ce gouvernement", communique la présidence de la République.

La liste de l'équipe de Gabriel Attal a été présentée la veille par le secrétaire général de l'Elysée, Alexis Kohler. "C'est l'équipe la plus resserrée de la Ve République", a immédiatement fait savoir l'entourage du chef de l'Etat, qui vante, métaphore sportive à l'appui, "une forme de XV de France qui va agir en pack", "pour agir plus unie, plus vite et plus fort au service des Français." Si l'on regarde les premiers décrets de nomination depuis le gouvernement Fillon, en 2007, les quatorze ministres qui composent l'équipe de Gabriel Attal constituent bien le plus petit gouvernement des dernières décennies.

Une vieille tentation

Certaines personnalités héritent ainsi d'un super-ministère regroupant plusieurs administrations. Amélie Oudéa-Castéra, ministre des Sports et des Jeux olympiques, a notamment récupéré en plus le portefeuille de l'Education nationale et de la Jeunesse. Ce qui a immédiatement suscité l'ire des syndicats enseignants. "Il y a beaucoup de colère. L'éducation nationale est diluée dans ce grand ministère (...) Comment gérer de front les Jeux olympiques et les jeux paralympiques et gérer tous les dossiers de l'Education nationale ?", a interrogé Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, sur France 2.

Catherine Vautrin, ex-ministre de Jacques Chirac, hérite de son côté d'un large ministère social avec le travail, la santé et les solidarités. Autre exemple : la fonction publique, incarnée dans le gouvernement Borne par Stanislas Guerini et qui ne dispose plus de ministère de plein exercice, ce qui a, là encore, agacé les syndicats. Il va falloir attendre en réalité la deuxième salve de nominations, d'ici une grosse semaine, pour connaître le nombre exact de membres du gouvernement Attal. Ministres, ministres délégués et secrétaires d'Etat devraient être une trentaine au total, selon les évaluations de Matignon. Soit beaucoup moins que les 42 membres du gouvernement d'Elisabeth Borne en juillet 2022. "Ils veulent montrer un gouvernement très resserré pendant une semaine et faire de la com' dessus", ricane un conseiller ministériel.

"La tentation de faire un gouvernement resserré, elle existe à chaque remaniement depuis une bonne vingtaine d'années, rappelle le communicant Philippe Moreau-Chevrolet. On veut envoyer l'image d'une équipe qui a le souci d'économiser l'argent public et qui soit efficace. C'est dans la droite ligne d'un discours de droite ou macroniste."

"Le gouvernement resserré, c'est un outil marketing plus qu'une réalité matérielle, puisqu'il est vite démenti dans les faits. L'action gouvernementale demande du monde, des moyens, et donc il faut forcément des secrétaires d'Etat."

Philippe Moreau-Chevrolet, communicant

à franceinfo

"C'est toujours une tentation de communication de faire un gouvernement commando dans lequel les ministres ont de la marge de manœuvre. Il est vrai que cette version est plus resserrée que celles habituelles, mais il va falloir attendre les secondes nominations, où ça se desserre souvent, atteste une ancienne ministre. Il y a encore de nombreux secteurs dont on ne sait pas à quel ministère ils seront rattachés, comme l'énergie, les transports ou le logement." Mais, selon elle, un gouvernement pléthorique n'est pas non plus idéal. "Quand vous avez 43 membres de gouvernement, vous en avez 25 qui ont du mal à exister dans le jeu politique et ne sont jamais invités dans les médias, ne pèsent rien. Cela crée un gouvernement à deux, voire trois vitesses, où la parole publique est morcelée."

"Des ministres forts pour peser sur leurs administrations"

L'incarnation politique de ses ministres a longtemps été un sujet pour Emmanuel Macron. De nombreux membres du gouvernement, notamment issus de la société civile, n'étaient pas identifiés par les Français. "Je comprends la logique : en incarnation, on a 14 ministres. Ils sont connus des Français, peuvent faire de la politique, vendre leur bilan aux Français", observe un ancien conseiller de l'exécutif. "Cela permet un plus grand effet de souffle", appuie le député Renaissance Robin Reda, mais "c'est aussi pour traduire les paroles en actes et montrer clairement les grands secteurs prioritaires aux administrations".

En clair, des ministres politiques, identifiés, capables de fixer le cap. "C'est essentiel d'avoir des ministres forts pour peser sur leurs administrations", estime le député Renaissance Mathieu Lefèvre. Voilà pour le premier étage de la fusée. "Ensuite, on aura des secrétaires d'Etat, qui seront l'équivalent de directeurs d'administration centrale, qui feront le job technique", assure un ex-conseiller du gouvernement. "Je ne sais pas si c'est gérable. Les périmètres sont très grands", nuance-t-il toutefois.

D'autres sont également circonspects. "Je pense qu'il fallait resserrer le gouvernement, mais peut-être pas autant... Surtout pour la partie santé, par exemple", livre un député Renaissance. "Le ministère de Vautrin, c'est un peu de la poudre de perlimpinpin, sourit un autre député de la majorité. Il est trop large, elle va être obligée de déléguer." C'est bien ce qui se profile avec la nomination prochaine d'Agnès Pannier-Runacher, jusqu'ici en charge de l'énergie, comme ministre déléguée à la Santé.

Si ces périmètres ministériels très élargis interrogent, ils sont loin de constituer des premières dans l'histoire de la Ve République. Sous Nicolas Sarkozy, Xavier Bertrand a ainsi été ministre du Travail, de l'Emploi et de la Santé en 2010, comme Catherine Vautrin aujourd'hui. Lionel Jospin était lui aussi ministre de l'Education nationale, de la Jeunesse et des Sports entre 1988 et 1991 sous François Mitterrand. En 2020, Jean-Michel Blanquer avait également hérité des mêmes attributions. Tous n'avaient pas eu la même longévité. Mais ce retour à un plus petit nombre de ministres traduit certainement "une recentralisation de l'Etat", selon Philippe Moreau-Chevrolet. "On réduit le nombre de ministres pour réduire les courroies de transmission, c'est frappant."

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