La nomination de Gabriel Attal comme Premier ministre peut-elle rebattre les cartes à l'Assemblée nationale, sans majorité absolue ?

Si le tout nouveau chef du gouvernement est très apprécié au sein de la majorité présidentielle, sa nomination à Matignon ne laisse pas entrevoir de profonds changements au Palais-Bourbon.
Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
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Temps de lecture : 6 min
Gabriel Attal, alors ministre de l'Education, à l'Assemblée nationale, lors des questions au gouvernement, le 13 décembre 2023. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)

"C'est celui qui est le plus admiré." Au sein du groupe Renaissance, la cote de Gabriel Attal est particulièrement élevée, à en croire cette cadre parlementaire : "C'est l'étoile montante, celui qui leur donne de l'espoir." La désignation du jeune ministre de l'Education nationale, chouchou des macronistes, comme Premier ministre, mardi 9 janvier, ne peut que réjouir la plupart des députés du camp présidentiel. "Attal, c'est l'effet wahou dont on a besoin. Je ne connais personne au sein du groupe qui ne l'aime pas", assure le député Renaissance Mathieu Lefèvre. "Il est vu comme un macroniste de la première heure qui incarne le dépassement", appuie le député Hadrien Ghomi.

Gabriel Attal doit "absolument tout" à Emmanuel Macron, comme il l'avait lui-même rappelé au Parisien récemment. Porte-parole du parti présidentiel, entré au gouvernement en 2018 à seulement 28 ans, en tant que secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Education nationale et de la Jeunesse, il est ensuite devenu porte-parole du gouvernement, puis ministre délégué chargé des Comptes publics, avant de prendre la tête de l'Education nationale.

A présent locataire de Matignon, ce pur produit de la macronie va devoir porter les textes de son futur gouvernement devant une Assemblée nationale qui ne dispose toujours pas de majorité absolue. Comme Elisabeth Borne, il devrait être contraint de négocier "texte par texte" avec les oppositions. Rencontrera-t-il les mêmes obstacles que l'ancienne cheffe du gouvernement, qui a dû recourir 23 fois à l'article 49.3 pour faire adopter sans vote les textes budgétaires ou la réforme des retraites et qui a dû sévèrement batailler et lâcher du lest pour faire aboutir le projet de loi immigration ?

Une question de style

Avec Gabriel Attal, c'est un style radicalement différent qui arrive à Matignon."Il est beaucoup plus politique et beaucoup plus cash qu'Elisabeth Borne, il ne va pas chercher des phrases alambiquées, c'est un point positif", souligne un député de la majorité. "Gabriel peut faire un discours sans lire une litanie de chiffres comme Borne, abonde un conseiller ministériel. C'est un pur politique, ça impose plus de respect qu'une grande tacticienne comme Borne". "Il sera plus politique et plus puncheur qu'Elisabeth Borne", juge également un député de droite.

Lui qui aime traiter en tête-à-tête avec les députés du camp présidentiel ne dispose cependant pas de réseau ou de clan, comme un Gérald Darmanin a pu le construire au fil des mois. "Je ne suis pas du tout inquiète pour lui. Bruno Le Maire, lui non plus, n'a pas de réseau organisé", assure une cadre du groupe Renaissance. D'ailleurs, les "bornistes" n'étaient ni très nombreux ni très organisés.

Sur le fond, les différences entre l'ex-cheffe du gouvernement et son successeur sont ténues. "Ce sont deux personnalités similaires sur le positionnement politique, rappelle Mathieu Gallard, directeur des études chez Ipsos. Ils viennent tous les deux de la gauche mais, à la différence d'un Clément Beaune, qui envoie encore quelques signaux à la gauche, ils n'en envoient pas. Ils sont perçus comme n'étant ni de droite ni de gauche." Comme sa prédécesseure, Gabriel Attal va devoir apprendre à ferrailler avec les oppositions des deux bords.

Les oppositions sceptiques

Les relations avec le groupe LR à l'Assemblée nationale sont plutôt "bonnes", selon un député du groupe d'Olivier Marleix. "Bonnes avec quelques-uns, indifférence avec la plupart, voire hostilité avec une frange", nuance un autre. "On va voir ce que ça va donner dans la pratique. Il est très politique, il peut trouver des compromis", assure encore un parlementaire LR. Le patron du parti, Eric Ciotti, a lui formé des "souhaits sincères de réussite à l'égard du nouveau Premier ministre", tout en demandant "une nouvelle méthode de gouvernement".

Du côté du Rassemblement national, rien de très nouveau sous le soleil. "Difficile de faire plus sectaire que Borne", raille le secrétaire général Renaud Labaye, tout en prévenant : "La stratégie du groupe définie par Marine Le Pen, en juillet 2022, ne changera pas : voter ce qui va dans le bon sens, amender ce qu'on peut améliorer et s'opposer à ce qui ne va pas dans le sens de l'intérêt général, et ce quelle que soit la provenance de la mesure !"

A gauche, là aussi, on n'attend pas grand-chose de Gabriel Attal. Son arrivée ne changera "rien", à part "le style", assure le patron des députés socialistes, Boris Vallaud. "Attal n'est pas l'aile gauche", dit-il. C'est "un homme prétendument de gauche qui a pour mission de faire alliance avec la droite", estime pour sa part le député LFI Alexis Corbière. "Tout laisse à penser que la nomination de Gabriel Attal n'est qu'un changement de casting. Si la politique reste la même, les résultats seront les mêmes", juge Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste à l'Assemblée.

Au sein de la majorité présidentielle au Palais-Bourbon, certains se prennent quand même à espérer. "ll a su négocier quand il était au budget. Ça ouvre des perspectives. D'autant qu'il parle autant à la gauche qu'à la droite", glisse Mathieu Lefèvre. Mais d'autres sont bien plus sceptiques. "Ça ne changera strictement rien à l'Assemblée", sourit un conseiller ministériel.

Une équation politique inchangée

L'équation politique reste en effet la même : il manque une quarantaine de voix aux soutiens d'Emmanuel Macron pour avoir la majorité absolue et ils n'ont pas d'alliés dans l'hémicycle. Comme Elisabeth Borne, Gabriel Attal devrait recourir au 49.3 pour faire adopter les textes budgétaires et négocier pied à pied sur les autres textes à venir, que ce soit sur la constitutionnalisation de l'IVG, la fin de vie ou le mix énergetique. Ce dernier texte s'annonce d'ailleurs "très touchy" à faire passer, selon une source au sein de la majorité. 

"Je ne vois pas ce qu'il va pouvoir apporter dans le cadre de la majorité relative, vraiment. Son arrivée sera vue réellement comme un simple porte-voix du président de la République. Je pense que c'est une erreur tactique", lâche un député Renaissance. "Dans la perspective d'une majorite relative, ça risque de ne pas changer grand-chose en tant que tel, reconnaît Mathieu Gallard, directeur des études à l'institut Ipsos. Mais il faut attendre la composition du gouvernement, qui pourra donner une inflexion différente dans un sens comme dans un autre."

Lors de la passation de pouvoir avec Elisabeth Borne, Gabriel Attal a promis de réunir "toutes les forces vives du pays" cette semaine. "Aux oppositions, je leur dis que nous avons en commun le destin de notre nation, que nous ne serons évidemment pas d'accord sur tout, que nous nous opposerons. Mais je leur fais aussi la promesse de toujours les écouter, toujours les respecter, parce qu'à travers eux, c'est la voix de millions de Français qui s'exprime", a-t-il lancé.

A gauche, de nombreuses voix s'élèvent pour que le premier acte politique du nouveau chef du gouvernement soit de demander la confiance à l'Assemblée nationale. Chose qu'avait refusée Elisabeth Borne, bien consciente du risque avec une majorité relative. A cette heure, on ne sait pas encore ce que fera le nouveau Premier ministre. "Avec cette Assemblée, ça sera dur quel que soit le nom du Premier ministre", soupire un poids lourd de la majorité. 

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