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Violences policières, discriminations, climat : ce qu'il faut retenir de l'interview d'Emmanuel Macron au média Brut

Secoué par les mobilisations contre les violences policières et les débats sur le projet de loi de lutte contre les "séparatismes", le président de la République a accordé un entretien à ce média en ligne, prisé des jeunes et d'une audience moins réceptive aux médias traditionnels.

Article rédigé par Vincent Matalon - avec AFP
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Le président de la République Emmanuel Macron, interrogé par Brut le 4 décembre 2020. (DAVID HIMBERT / HANS LUCAS / AFP)

"Je veux que cette génération engagée soit une génération du faire, de l'action (...). Je veux en être un allié." Emmanuel Macron a accordé, vendredi 4 décembre, un entretien de plus de deux heures à Brut (dont franceinfo est partenaire).

Situation sanitaire liée au Covid-19, violences policières, écologie, mais également insertion sur un marché de l'emploi sinistré par une crise inédite : le chef de l'Etat a profité de cet échange sur ce média en ligne, prisé des jeunes et d'une audience moins réceptive aux médias traditionnels, pour balayer un grand nombre de sujets. Franceinfo vous résume ce qu'il faut en retenir.

Sur les violences policières : "Aucun policier ne s'engage pour prendre des coups ou pour en donner"

L'entretien a commencé en évoquant l'évacuation violente par la police d'un campement de migrants place de la République, à Paris, le 23 novembre. Les images de cet événement avaient provoqué une vive polémique. "Je ne voudrais pas accabler les policiers qui sont intervenus ce soir-là, qui sont confrontés à toutes les formes de violence de la société", a commencé le président de la République. "Est-ce qu'il fallait faire enlever les tentes ? Oui, ce n'est pas normal qu'il y ait des tentes dans les rues de France. Est-ce qu'on doit le faire sans solution d'hébergement ? Non." 

"A chaque fois qu'il y a un problème, j'interroge le ministre et le préfet", a encore dit le chef de l'Etat à propos de cette soirée. "La réaction doit être juste et proportionnée. Il y aura des sanctions sur la hiérarchie policière, à un haut niveau", a-t-il promis, tout en dédouanant le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, et le préfet de police de Paris, Didier Lallement.

Emmanuel Macron a ensuite évoqué plus largement la question des violences policières, revenue au centre du débat après le passage à tabac du producteur Michel Zecler par trois policiers. Ou plutôt "des violences par des policiers", expression qu'il a dit préférer à celle de "violences policières", qui est selon lui devenue "un slogan".

"Je n'ai pas de problème à répéter le terme de 'violences policières' mais je le déconstruis, car c'est devenu un slogan pour des gens qui ont un projet politique. Il y a des policiers qui sont violents, qu'il faut sanctionner."

Emmanuel Macron

à Brut

"J'attends des policiers l'exemplarité. Mais on ne doit pas avoir qu'un regard sur la violence", a ajouté le chef de l'Etat, qui a longuement insisté sur la violence à l'égard des forces de l'ordre, venue selon lui des "blacks blocs et d'une partie de l'extrême gauche". Emmanuel Macron a notamment dénoncé les violences contre une policière "attaquée par des fous", des "gens ensauvagés", lors de la manifestation à Paris contre la proposition de loi "sécurité globale".

Sur les discriminations et les contrôles au faciès : une plateforme "mise en place à partir de janvier"

Le chef de l'Etat a ensuite été interrogé sur les discriminations vécues par les populations non blanches, notamment de la part de la police. "Le problème n'est pas réglé, malgré mes engagements [de campagne]", a reconnu Emmanuel Macron. "Aujourd'hui, quand on a une couleur de peau qui n'est pas blanche, on est beaucoup plus contrôlé (…) On est identifié comme un facteur de problèmes et c'est insoutenable", a-t-il regretté.

Pour améliorer les choses, une plateforme nationale de signalement des discriminations, gérée par l'Etat, le Défenseur des droits et des associations comme la Licra, sera lancée en janvier, a annoncé Emmanuel Macron.

Sur la proposition de loi "sécurité globale" : "Oui, journalistes et citoyens pourront continuer à filmer et à diffuser des images de la police"

Interrogé par le journaliste de Brut Rémy Buisine, habitué de la couverture des mouvements sociaux et récemment frappé par la police, le chef de l'Etat a évoqué le débat sur l'article 24 de la proposition de loi "sécurité globale".

Objet de nombreuses critiques depuis des semaines, cet article prévoit de pénaliser la diffusion malveillante d'images des forces de l'ordre. Pour l'heure neutralisé, il pourrait être intégré dans le projet de loi "séparatismes" et de lutte contre "l'islamisme radical", présenté le 9 décembre en Conseil des ministres, a reconnu Emmanuel Macron.

"Quand on voit l'émoi que cela crée, ce n'est pas un bon chemin. Demain, les journalistes et les citoyens pourront continuer à filmer les policiers. Nous sommes dans un pays de liberté."

Emmanuel Macron

à Brut

Estimant que la France "a été caricaturée" dans le débat sur ce sujet, le président de la République a affirmé "ne pas pouvoir laisser dire qu'on réduit les libertés en France". "C'est un grand mensonge. On n'est pas la Hongrie ou la Turquie", s'est-il écrié, en estimant que le débat "a été contaminé par un discours militant, hostile au gouvernement et à votre serviteur".

Sur l'identité et les "séparatismes" : "Nous sommes la génération qui doit dépasser" la colonisation

Interrogé sur le projet de loi "confortant les principes républicains" (plus connu sous le nom de projet de loi contre les "séparatismes"), le chef de l'Etat a évoqué plus largement les questions d'intégration et d'identité. "On a refoulé les langues étrangères des diasporas", a regretté Emmanuel Macron, évoquant le "potentiel extraordinaire" incarné par les "jeunes qui parlent arabe, des langues africaines ou le turc"

"Ce que je veux faire, c'est remettre l'enseignement de l'arabe dans la République pour éviter que cela ne soit détourné par d'autres."

Emmanuel Macron

à Brut

Le président de la République a ensuite évoqué les sentiments de la dernière génération issue de l'immigration, "qui reparle de colonisation alors qu'elle ne l'a jamais vécue". "[Cette génération] reconstruit son appartenance parce que la République n'a pas su lui dire : 'Tu as une place là, tu es nous' et ça, c'est notre erreur", a reconnu Emmanuel Macron.

"Nous sommes la génération qui doit dépasser cela", a embrayé le chef de l'Etat, estimant que la France devait "finir le travail historique sur la guerre d'Algérie". Il a notamment rappelé qu'un rapport sur ce sujet avait été demandé à l'historien Benjamin Stora. Ce travail "permettra la réconciliation des mémoires".

Sur l'épidémie de Covid-19 : une "nouvelle aide exceptionnelle" envisagée à destination des jeunes

Rappelant que 6,5 milliards d'euros avaient déjà été engagés à destination de la jeunesse pour faire face à la crise économique liée à la pandémie de Covid-19, Emmanuel Macron a annoncé que l'exécutif allait "sans doute" travailler sur une "nouvelle aide exceptionnelle" en janvier pour les jeunes en précarité. Il s'agirait d'une aide de 150 euros semblable à celle déjà versée il y a quelques semaines. Une "amélioration du système de bourses" est également à l'étude, le chef de l'Etat reconnaissant la persistance de "trous dans la raquette" sur ce sujet.

Interpellé sur un retour des étudiants sur les campus, le président a également assuré que le gouvernement allait "tout faire pour pouvoir commencer un peu plus tôt en janvier, pour rouvrir travaux dirigés et [cours en] demi-amphis" dans les universités, "début janvier" si l'évolution de l'épidémie est favorable.

Evoquant enfin l'arrivée prochaine de vaccins contre le Covid-19, Emmanuel Macron a défendu son choix de ne pas rendre la vaccination obligatoire. "Ce serait contre-productif d'imposer des vaccins qu'on ne connaît pas très bien sur une pathologie qu'on ne connaît pas très bien", s'est justifié le chef de l'Etat, qui a ajouté qu'il se ferait lui-même vacciner "au moment où cela aura du sens".

Sur le climat : le président reconnaît "ne pas avoir réussi" sur le glyphosate, mais assure "ne pas avoir de leçons à recevoir"

Contrairement à ce qu'avait promis Emmanuel Macron en novembre 2017, le glyphosate n'est toujours pas interdit en France. Interpellé sur cette question, le chef de l'Etat a assuré ne pas avoir "changé d'avis" sur cet objectif, mais a reconnu ne pas avoir "réussi" à l'accomplir, plaidant un échec "collectif". Depuis, la France s'est fixé pour objectif de sortir de l'essentiel des usages de ce désherbant classé comme "cancérogène probable" en 2021, avant une interdiction totale en 2023.

"Si on interdit [le glyphosate] en France, il y a une distorsion de concurrence quand les autres [pays européens] ne vont pas au même rythme que nous. Cela nous ferait sacrifier notre agriculture pour régler le problème."

Emmanuel Macron

à Brut

Le ton du président de la République est ensuite monté lorsque le sujet des propositions émises par les 150 membres de la Convention citoyenne pour le climat a été mis sur la table. "On est en train de travailler d’arrache-pied pour aller au bout !" s'est agacé Emmanuel Macron, reprochant notamment au réalisateur Cyril Dion ses propos l'incitant à tenir parole sur ce sujet"J'ai 150 citoyens, je les respecte, mais je ne vais pas dire : 'Ce qu'ils proposent, c'est la Bible, le Coran, ou que sais-je !'" a-t-il martelé, évoquant le fait que les propositions de cette Convention devaient passer par le processus parlementaire classique pour être adoptées.

Convention citoyenne (Macron)
Convention citoyenne (Macron) Convention citoyenne (Macron)

Sur la précarité menstruelle : une réponse promise "au premier semestre"

Evoquant le sort des femmes "qui sont à la rue" et ne peuvent pas "acheter de quoi se protéger et de quoi être dignes", Emmanuel Macron a promis pour 2021 "une réponse très concrète" au problème de la précarité menstruelle.

Interrogé sur la "gratuité des protections hygiéniques comme voté en Ecosse", le président a assuré avoir "demandé qu'on avance". "Je ne veux pas préempter le travail du gouvernement mais c'est quelque chose qui, au premier semestre de l'année prochaine, aura une réponse très concrète", a-t-il poursuivi.

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