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Ce que l'on sait des états généraux de la justice annoncés par Emmanuel Macron

L'Elysée a annoncé samedi la volonté du président de la République de rassembler les principaux acteurs du débat à la rentrée.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Temps de lecture : 5 min
Des magistrats lors de la traditionnelle "audience solennelle" de la Cour d'appel de Paris pour marquer le début de la nouvelle année, au palais de justice de Paris, le 14 janvier 2021. (LUDOVIC MARIN / AFP)

Après les états généraux sur la laïcité, ceux sur la justice. L'Elysée a annoncé leur tenue prochaine, samedi 5 juin, dans un bref communiqué. Cette décision intervient après plusieurs semaines de polémiques autour de l'état de la justice en France, alimentées par la droite et les syndicats de policiers. Après être resté en retrait de la controverse, Emmanuel Macron a décidé, à moins d'un an de la fin de son mandat, de rassembler les principaux acteurs du débat à la rentrée. Voici ce qu'il faut savoir de ces états généraux et du contexte dans lequel ils se tiendront.

Un contexte de remise en cause de la justice

L'affaire Sarah Halimi a mis le feu aux poudres mi-avril, quand la Cour de cassation a confirmé l'irresponsabilité pénale du meurtrier de cette femme de confession juive de 64 ans, tuée quatre ans plus tôt à Paris. Cette décision a entraîné des manifestations de plusieurs milliers de personnes en France, le 25 avril, et de vives critiques contre la loi sur l'irresponsabilité pénale. Le chef de l'Etat s'est dit favorable à un changement législatif pour que l'abolition du discernement causé par une prise de stupéfiants n'exonère pas de la responsabilité pénale. Un projet de loi est en cours de préparation et devrait être prochainement présenté en Conseil des ministres.

A la même période, le 17 avril, la cour d'assises d'Evry (Essonne) a prononcé un verdict plus clément qu'en première instance, lors du procès en appel dans l'affaire des policiers brûlés à Viry-Châtillon en 2016. La cour a acquitté huit prévenus et condamné les autres à des peines allant de 6 à 18 ans de prison, au vu des "doutes" et des "incertitudes" sur l'implication de certains accusés, selon les motivations du verdict que France Inter a pu consulter.

A l'appel de leurs syndicats dénonçant la lenteur et le "laxisme" de la justice, des dizaines de milliers de policiers ont manifesté le 19 mai devant l'Assemblée nationale, notamment soutenus par le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin. Une partie de la classe politique, en particulier à droite et à l'extrême droite, s'est emparée du sujet. Candidat à la présidentielle, le président de la région Hauts-de-France Xavier Bertrand a par exemple proposé de modifier la Constitution pour pouvoir condamner à des "peines automatiques" les agresseurs de plusieurs types de professionnels, dont les policiers. 

Une institution agacée par ces critiques

Pendant la manifestation des policiers devant le palais Bourbon, le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a appelé à l'intérieur de l'Hémicycle à ne pas "opposer la justice et la police". "Policiers et magistrats sont dans la même barque", a insisté le garde des Sceaux. Plus tôt, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) s'était insurgé contre "la mise en cause" de la justice dans ces deux affaires "douloureuses". "L'institution judiciaire doit pouvoir continuer de juger, à l'abri des pressions, en toute indépendance et en toute impartialité", avait écrit l'organe dans un communiqué, en appelant "à la mesure".

Au même moment, François Molins, l'un des plus hauts magistrats français, avait dénoncé dans une interview au Monde le procès en "laxisme" fait, selon lui, à la justice. Le procureur général de la Cour de cassation a été reçu par Emmanuel Macron vendredi 4 juin, avec Chantal Arens, la première présidente de la Cour de cassation. François Molins et Chantal Arens ont affirmé auprès de l'AFP, samedi, avoir voulu "tirer un signal d'alarme" face aux "mises en cause systématiques de la justice". Selon des précisions apportées par l'Elysée à l'AFP, ce sont ces "deux plus hauts magistrats de France" qui ont eux-même suggéré au président l'organisation des états généraux. 

Des débats à partir de septembre

L'entourage d'Eric Dupond-Moretti a précisé, samedi, que les états généraux de la justice se dérouleront "sur plusieurs semaines à partir de la rentrée de septembre, et sans autocensure". Tous les acteurs de la justice y seront conviés, "ainsi que les personnels pénitentiaires, les forces de sécurité intérieures et les citoyens".

"Il est urgent de se mettre autour de la table pour dresser un état des lieux complet et sans tabou et faire des propositions dans l'objectif de préserver l'Etat de droit, estime Chantal Arens, dans Le Journal du dimanche. Les attentes des citoyens et de l'institution judiciaire sont fortes." Pour François Molins, les débats devront s'attacher "aux problèmes de fond, structurels et endémiques, dont souffre la justice", à commencer par "le manque de moyens".

Dans son communiqué, l'Elysée ajoute que le président souhaite que "le garde des Sceaux rende compte chaque année au Parlement de la politique pénale du gouvernement"Katia Dubreuil, la présidente du Syndicat de la magistrature, interrogée sur franceinfo samedi, rappelle toutefois que cette possibilité "existe déjà dans l'article 30 du Code de procédure pénale".

Une annonce accueillie assez favorablement

"En tant que garant de l'institution judiciaire, il était temps qu'Emmanuel Macron ait une parole", a réagi Cécile Mamelin, vice-présidente de l'USM, principal syndicat de magistrats. Et d'ajouter : "Ça doit inclure aussi la justice civile, qui est la justice du quotidien." 

"On débat sur du vent, sur des impressions, des faits divers", se méfie de son côté Katia Dubreuil. "On n'a aucun élément sur le format et l'objet précis de ces états généraux. Ils sont lancés au bout de quatre ans, un an avant la fin de la mandature et alors qu'il y a eu deux réformes de la justice... souligne la présidente du Syndicat de la magistrature. Peut-être qu'il va y avoir un changement dans le positionnement du gouvernement par rapport à la justice mais il est un peu tôt pour le dire."

Emmanuel Baudin, secrétaire général de FO-Pénitentiaire, voit dans l'annonce présidentielle "plutôt une bonne chose". Son syndicat avait demandé en mai à Emmanuel Macron d'organiser des états généraux de l'administration pénitentiaire. Du côté des avocats, Jérôme Gavaudan, le président du Conseil national des barreaux, accueille lui aussi "favorablement" cette décision. Mais "ce que nous ne voulons pas, et on sera très vigilants sur ce point, c'est que ça puisse devenir un lieu de pugilat politique ou électoraliste" à l'approche de l'élection présidentielle de 2022.

S'agissant des policiers, Grégory Joron, secrétaire général délégué du syndicat Unité SGP Police-FO, salue "une bonne nouvelle" mais attend de voir le contenu et le calendrier de ce rendez-vous. "Le calendrier politique fait qu'il reste peu de temps au président pour travailler sereinement sur ce sujet qui va demander à aller en profondeur", explique-t-il sur franceinfo. Le syndicaliste va demander à ce que que les policiers soient reçus dans le cadre de ces états généraux. "Je pense qu'on a tous le même but : avoir un service public à la hauteur et surtout qu'on respecte ces deux piliers régaliens que sont la police et la justice."

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