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L'article à lire pour comprendre l'affaire Jouyet-Fillon

L'ancien Premier ministre aurait demandé au secrétaire général de l'Elysée d'accélérer les procédures judiciaires contre Nicolas Sarkozy. De quoi s'agit-il sur le fond ? Quel a été le déroulé de l'affaire ? Retour sur un déjeuner polémique.

Article rédigé par Thomas Baïetto, Bastien Hugues
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8 min
L'ancien Premier ministre François Fillon, le 9 novembre 2014 sur le plateau de TF1, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). (MAXPPP)

C'est la bombe politique du moment. L'ancien Premier ministre François Fillon est accusé d'avoir demandé au président de la République d'accélérer les procédures judiciaires contre Nicolas Sarkozylors d'un déjeuner avec le numéro deux de l'Elysée, Jean-Pierre Jouyet. Depuis une semaine, les deux hommes s'écharpent sur la teneur de ce déjeuner polémique qui embarrasse les fillonistes et la majorité.

Qui a dit quoi ? Comment a réagi Nicolas Sarkozy ? L'Elysée a-t-il répondu à la demande de François Fillon ? Si vous avez un peu de mal à vous y retrouver, francetv info vous aide à y voir plus clair.

1 C'est quoi le problème ?

François Fillon est accusé d'avoir demandé à Jean-Pierre Jouyet, secrétaire général de l'Elysée, d'accéler les procédures judiciaires contre Nicolas Sarkozy, en particulier l'affaire des pénalités payées par l'UMP"Mais tapez vite ! Jean-Pierre, tu as bien conscience que si vous ne tapez pas vite, vous allez le laisser revenir. Alors agissez !", aurait lancé l'ancien Premier ministre lors d'un déjeuner le 24 juin. Des propos, qui, s'ils sont avérés, mettent François Fillon dans une position délicate : celle du traître prêt à tout pour se débarrasser d'un concurrent pour la primaire à droite en 2016.

2 D'où sort cette histoire ?

L'affaire commence jeudi 6 novembre avec la publication dans L'Obs des bonnes feuilles du livre Sarko s'est tuer, écrit par deux journaliste du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme. L'anecdote du déjeuner figure dans cet ouvrage qui raconte la haine que suscite l'ancien président dans son propre camp. Mais Jean-Pierre Jouyet n'est pas cité. Les auteurs ne disent pas qui leur a donné cette information.

Après les démentis des protagonistes de ce déjeuner, les deux journalistes passent à la vitesse supérieure. Ils révèlent vendredi que Jean-Pierre Jouyet lui-même leur a confirmé la démarche de François Fillon le 20 septembre lors d'une interview enregistrée. Le contenu de cet enregistrement est dévoilé dans Le Monde le lendemain. "Il m'a dit : 'Faut aller vite', ça je me souviens. 'Faut aller vite (…) pour lui casser les pattes avant'" son retour en politique, raconte le numéro deux de l'Elysée.

3 Qui était présent à ce fameux déjeuner ?

Trois hommes étaient présents le 24 juin au restaurant Ledoyen, à deux pas de l'Elysée, pour ce déjeuner :

Jean-Pierre Jouyet. Camarade de François Hollande à l'armée et à l'ENA, ce haut fonctionnaire est un intime du chef de l'Etat. Ce dernier l'a nommé secrétaire général de l'Elysée, le poste le plus important de l'administration du palais, en avril 2014. Mais l'ancien président de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) est aussi proche de la droite. De 2007 à 2008, il fut secrétaire d'Etat aux Affaires européennes dans le gouvernement de François Fillon.

François Fillon. Ce lien permet à l'ancien Premier ministre d'expliquer au Journal du Dimanche qu'"il s’agissait d’un déjeuner amical avec Jean-Pierre Jouyet qui a été membre de mon gouvernement". Contrairement à ce qu'affirme le secrétaire général de l'Elysée, François Fillon assure que l'invitation a été lancée par ce dernier.

Antoine Gosset-Granville. Les deux protagonistes de l'affaire sont en outre liés par le troisième homme. "Je suis proche des deux hommes, pour avoir travaillé avec l'un et avec l'autre, en direct, explique-t-il au Figaro. J'ai une relation d'amitié avec les deux". Gosset-Granville était en effet directeur-adjoint du cabinet de François Fillon à Matignon entre 2007 et 2010. Cet ancien inspecteur des finances a ensuite été le directeur-adjoint de la Caisse des dépôts lorsque Jean-Pierre Jouyet était le président, sans avoir cependant été recruté par ce dernier. Pour Antoine Grosset-Granville, le déjeuner a été organisé à l'initiative de Jouyet.

4 Comment ont réagi Fillon et Jouyet ?

Lors de la parution dans L'Obs, les deux hommes démentent immédiatement.  François Fillon d'abord : "le procédé qui consiste à me prêter la volonté de m'appuyer sur les plus hautes autorités de l'État pour faire pression sur l'autorité judiciaire est méprisable". Jean-Pierre Jouyet ensuite : "Nous avons parlé d'autre chose, (…) il ne m'a, bien entendu, pas demandé une quelconque intervention, démarche par ailleurs inimaginable". Les deux hommes assurent n'avoir pas évoqué les problèmes de l'UMP.

Les choses se compliquent lorsque Le Monde révèle que Jean-Pierre Jouyet est une de ses sources. Furieux, François Fillon annonce qu'il va porter plainte contre le journal et les deux journalistes. Il dénonce "une forme de déstabilisation et de complot" et dit "ne pas croire que le secrétaire général de l'Elysée ait pu tenir aux journalistes du Monde les propos qui lui sont prêtés" lors de ce déjeuner.

Jean-Pierre Jouyet est lui contraint de modifier sa version des faits. Dans un communiqué, il admet dimanche 9 novembre que "François Fillon [lui] a fait part de sa grave préoccupation concernant l'affaire Bygmalion""Il s'en est déclaré profondément choqué. (...) Il a également soulevé la question de la régularité du paiement des pénalités payées par l'UMP pour le dépassement des dépenses autorisées dans le cadre de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy", ajoute-t-il.

Cette sortie n'est évidement pas du goût de l'ancien Premier ministre. Le soir-même, sur le plateau de TF1, il accuse le secrétaire général de l'Elysée de "mensonge" et parle de "scandale d'Etat.

Fillon accuse Jouyet de "mensonge" (TF1)

Mardi 11 novembre, son avocat annonce que son client porte également plainte contre Jouyet pour diffamation.

5 Que dit le troisième homme ?

A l'AFP samedi et dans les colonnes du Figaro mercredi, Antoine Gosset-Grainville prend la défense de François Fillon"À aucun moment François Fillon n'a sollicité la moindre intervention de la part de Jean-Pierre Jouyet sur un quelconque sujet politique. Je suis formel (...) Ce déjeuner n'a pas porté sur des questions de politique nationale, encore moins sur les affaires de l'UMP", confie-t-il au journal.

6 Et Nicolas Sarkozy, il le prend comment ?

Dans cette affaire, Nicolas Sarkozy apparaît dans tous les cas comme la victime d'un complot. Une victime de François Fillon, accusé d'avoir demandé à l'Elysée d'accélérer les procédures judiciaires dans lesquelles son nom est cité. Ou une victime de la présidence de la République, accusée d'avoir menti pour semer la zizanie à droite.

Dans ce contexte, l'ancien chef de l'Etat a dénoncé "une provocation", "une marée de boue" déversée à son encontre. Sans accabler François Fillon, mais sans le disculper non plus, Nicolas Sarkozy a simplement ajouté qu'"on ne peut abattre un adversaire en le salissant". Avant d'accuser, plus clairement, le pouvoir en place de "donner le sentiment de vouloir instrumentaliser en permanence la justice", faisant mine d'oublier que les soupçons de manipulation visent ici en premier lieu... François Fillon.

7 Mais le fond de l'affaire, c'est quoi ?

Etrangement, cette nouvelle affaire fait passer au second plan le fond du dossier : à savoir, le financement de la campagne présidentielle de 2012. Cette année-là, Nicolas Sarkozy a dépassé le plafond de dépenses fixé par la Commission nationale des comptes de campagne. L'ancien chef de l'Etat a donc été privé de remboursement. Il a également été contraint de rembourser une avance forfaitaire de 153 000 euros qui lui avait été versée, et à payer au Trésor public une amende de 363 615 euros, prévue par le code électoral.

Problème : c'est l'UMP qui a pris en charge ces deux sommes, et non Nicolas Sarkozy lui-même en tant que candidat. Une décision prise sous la recommandation de Maître Philippe Blanchetier, avocat du parti, mais également avocat de Nicolas Sarkozy, et à laquelle les services fiscaux de Bercy ne se seraient pas opposés, selon deux notes révélées dimanche par le JDD. En réalité, certains estiment que le parti ne pouvait pas légalement prendre en charge ces pénalités à la place de Nicolas Sarkozy. En juillet 2014, une plainte a donc été déposée par les commissaires aux comptes de l'UMP pour abus de confiance, complicité et recel. Une information judiciaire vise désormais l'ancien chef de l'Etat pour ces motifs.

8 Au final, est-ce que l'Elysée est intervenu ?

Pour l'opposition, cette affaire prouve l'existence d'un cabinet noir à l'Elysée, chargé de suivre de les dossiers dans lesquels Nicolas Sarkozy est impliqué. Rien ne permet de le dire. L'UMP pointe le calendrier judiciaire curieux de l'affaire des pénalités : le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire le 2 juillet, quelques jours après le fameux déjeuner. Mais la droite oublie un peu vite que le 1er juillet, les commissaires aux comptes de l'UMP ont écrit au parquet pour lui faire part de leurs suspicions.

Lors de son entretien avec Le Monde, Jouyet a reconnu avoir parlé au président de la République de l'affaire. "Quand Fillon m'a dit ça, j'ai dit, tiens, oui, on pourrait peut-être simplement signaler le machin… Mais François [Hollande] m'a dit : “Non, non, on ne s'en occupe pas", rapporte-t-il. Malgré ce démenti, le secrétaire général de l'Elysée se trouve dans une situation délicate : la droite réclame sa démission, la gauche regrette sa maladresse.

9 J’ai eu la flemme de tout lire et j’ai scrollé jusqu’en bas. Vous me faites un petit résumé ?

Le secrétaire général de l'Elysée, Jean-Pierre Jouyet, a raconté à deux journalistes du Monde que François Fillon lui avait demandé d'accélérer les procédures judiciaires contre Nicolas Sarkozy, en particulier l'affaire des pénalités payées par l'UMP. L'information a fait l'effet d'une bombe. Les deux hommes, ainsi que le troisième convive de ce déjeuner, ont d'abord démenti.

Mais l'existence d'un enregistrement de la conversation de Jouyet avec les journalistes a obligé ce dernier à modifier sa version des faits : il reconnaît avoir parlé des problèmes de l'UMP et de l'affaire Bygmalion avec François Fillon. Furieux, ce dernier l'accuse de "mensonge" et porte plainte contre lui et les journalistes. Pendant ce temps là, Nicolas Sarkozy se frotte les mains : il apparait comme la victime d'un rival ou de l'Elysée, et le fond de l'affaire passe à la trappe. De son coté, l'Elysée jure que personne n'est intervenu dans cette affaire et soutient mordicus un Jean-Pierre Jouyet en fâcheuse posture.

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