Cet article date de plus de sept ans.

Couacs, coups bas et réunions dans le noir : ambiance électrique à la Maison Blanche depuis l'arrivée de Donald Trump

Les premiers jours de l'outrancier homme d'affaires à la tête des Etats-Unis ont été plutôt chaotiques. Franceinfo vous propose de découvrir les dessous du début de mandat du nouveau président américain.

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12 min
Le président américain Donald Trump, à Washington (Etats-Unis), le 2 février 2017. (CARLOS BARRIA / REUTERS)

"Vous vous souvenez quand Donald Trump et Hillary Clinton parlaient d’endurance pendant le débat [de la présidentielle, en septembre 2016] ? Il s’avère que c’était une question qui s’adressait à nous [les journalistes]." Ann Marie Lipinski, de la Fondation Nieman pour le journalisme, résume parfaitement l’impression que laissent les premiers jours du milliardaire à la tête des Etats-Unis.

En à peine trois semaines à la Maison Blanche, le nouveau président a déjà chamboulé les habitudes bien rangées de Washington, note Politico (en anglais). Journalistes, collaborateurs, élus… Tous sont hors d’haleine face à la frénésie décisionnaire du nouveau "leader du monde libre". Récit de ce début de mandat fracassant, vu depuis les coulisses du 1600 Pennsylvania Avenue.

Tensions avec les médias

La présidence de Donald Trump a commencé par une obsession. Le nouveau chef de l’Etat américain n’a pas goûté les articles des médias qui pointaient le faible nombre de spectateurs présents pour son investiture, vendredi 20 janvier. Le lendemain, dès sa première conférence de presse à la CIA, il n’a cessé de répéter que la foule était venue en nombre pour le soutenir, décrypte le site Vox (en anglais). Sean Spicer, le porte-parole de la Maison Blanche, a lui aussi évoqué une foule d’un million et demi de personnes. Des journalistes de CNN (en anglais) ont bien signalé à l'une des conseillères de Donald Trump, Kellyanne Conway, que ce chiffre ne correspondait pas aux photos de l’événement. Réponse de la républicaine : Sean Spicer a présenté des "faits alternatifs". Le ton de la présidence est donné.

La foule réunie devant le Capitole pour assister à l'investiture de Donald Trump, à Washington (Etats-Unis), le 20 janvier 2017. (LUCAS JACKSON / REUTERS)

La fixette de Donald Trump ne l’a pas empêché de démarrer ses premiers chantiers. Le président a multiplié les prises de décision durant les deux premières semaines de son mandat, à un rythme qui donne le tournis. Il a signé une dizaine de décrets, entravant l’action des associations qui soutiennent l'avortement, interdisant l’entrée aux Etats-Unis aux ressortissants de sept pays musulmans, relançant deux projets d’oléoducs interrompus au titre de la protection de l’environnement. Il a limogé la ministre de la Justice par intérim et menacé d’en faire de même avec les diplomates qui protestaient contre son texte anti-immigration. Il a décidé un gel des embauches des fonctionnaires, s’est retiré du Traité de libre-échange transpacifique (TPP), a haussé le ton face à l’Iran, nommé un juge à la Cour Suprême, attaqué publiquement plusieurs autres magistrats dont les décisions entravaient sa politique. "Les gens veulent du changement. Le président leur apporte ce changement", a expliqué Sean Spicer, vendredi 3 février.

Piques et clashs diplomatiques

Le changement est effectivement au rendez-vous. Donald Trump est sans doute le premier président américain à profiter du "petit-déjeuner national de prière" pour se moquer d’un de ses adversaires, rapporte Politico (en anglais). Il a ainsi appelé jeudi 2 février à "prier pour Arnold Schwarzenegger", qui l’a remplacé dans l'émission de téléréalité "The Apprentice". Le but ? Lui assurer de meilleures audiences. L'acteur a répliqué sur Twitter, en lui proposant "d'échanger leurs postes".

Donald Trump a également réussi à rapidement se froisser avec plusieurs de ses homologues. Un appel avec le président mexicain, Enrique Peña Nieto, a tourné au vinaigre vendredi 27 janvier. Donald Trump a en effet menacé d’envoyer son armée pour s’occuper des "mauvais hommes" qui paralysent selon lui les forces de l'ordre mexicaines.

Vous avez un tas de 'bad hombres' chez vous. Vous ne faites pas assez pour les arrêter. Je crois que votre armée est effrayée. Nos militaires n’ont pas peur, alors je vais peut-être bien les envoyer pour régler le problème.

Donald Trump

à Enrique Peña Nieto

La retranscription de l’appel, citée par Politico (en anglais), ne précise pas à qui le chef d'Etat américain fait référence. Donald Trump aurait aussi raccroché au nez du Premier ministre australien, Malcolm Turnbull, qui le pressait d’honorer la promesse d’Obama d’accueillir 1 250 réfugiés d’un centre de détention australien. Canberra est pourtant l’un des plus proches alliés des Etats-Unis, rappelle le New York Times (en anglais).

Un président accro aux chaînes d'info

Entre deux rendez-vous téléphoniques houleux, Donald Trump arpente les couloirs de sa nouvelle résidence. Il indique chaque petit changement qu’il a apporté à la décoration à ses visiteurs, rapporte le New York Times (en anglais). Des rideaux dorés ont remplacé les tentures cramoisies qui ornaient les fenêtres du Bureau ovale sous l’administration Obama. Quatre chaises ont été installées en demi-cercle autour de l’imposant "Resolute Desk", désormais "couvert de mémos et de journaux". Le buste de Martin Luther King, que les médias ont un temps cru remisé, a été rejoint par celui de Winston Churchill, note le Los Angeles Times (en anglais).

Donald Trump téléphone au Premier ministre australien depuis le Bureau ovale de la Maison Blanche, à Washington (Etats-Unis), le 28 janvier 2017. (JONATHAN ERNST / REUTERS)

C’est dans ce même Bureau ovale que Donald Trump décrypte les informations chaque soir. Assisté du porte-parole de la Maison Blanche, Sean Spicer, il annote (et critique) les articles de la presse. Le chef de l’Etat américain est un boulimique des médias. Le New York Times assure qu’il est accro aux chaînes d’information. "Cloîtré dans la Maison Blanche, il a désormais peu accès à ses fans, qui sont une importante source de retour et de reconnaissance, affirme le quotidien. Pour avoir une idée de ce qui se passe à l’extérieur, il regarde les chaînes câblées, jour et nuit – trop au goût de certains assistants."

En l’absence de sa femme Melania et de son fils Barron, qui ne rejoindront Washington qu’à la fin de l’année scolaire, Donald Trump semble bien esseulé dans la gigantesque résidence présidentielle. Le milliardaire passerait ses soirées devant la télévision, "en peignoir", ou à partir à la découverte du 1600 Pennsylvania Avenue. Donald Trump, lui, assure travailler jusqu’à "minuit ou une heure du matin", avant de s’autoriser une courte nuit de sommeil, rapporte The Hill.

Deux clans dans l'entourage de Trump

Si le président a trouvé ses marques, la nouvelle administration semble rencontrer quelques difficultés à s'installer à la Maison Blanche. Certains travaillent "dans le noir parce qu’ils ne parviennent pas à trouver comment allumer les lumières de la salle du conseil", rapporte le New York Times. Mais le réseau électrique de la résidence présidentielle est le moindre de leur souci. Les conseils de Pete Souza, l’ancien photographe de Barack Obama (qui leur a indiqué sur Twitter (en anglais) où se trouvent les interrupteurs), ne pourront en effet pas grand-chose pour remédier à l’ambiance délétère qui règne à la Maison Blanche.

L’administration est divisée entre des "factions en guerre", affiliées au chef de cabinet Reince Priebus ou au conseiller en stratégie Steve Bannon, selon Politico (en anglais). La méfiance règne, chacun redoutant de perdre sa place. Le site américain y voit un des effets des méthodes de management de Donald Tump, qui aime mettre ses collaborateurs en concurrence pour les pousser à être plus performants.

Le chef du cabinet de Donald Trump, Reince Priebus (gauche), lors d'une réunion à la Maison Blanche (Washington, Etats-Unis), le 2 février 2017. (JONATHAN ERNST / REUTERS)

"Une sorte de cour des papes Borgia"

Résultat, les employés de la Maison Blanche sont à couteaux tirés. "Les principaux assistants de Trump se rendent souvent avec lui à des événements auxquels ils ne sont pas obligés d’assister, parce qu’ils veulent être proches de la source du pouvoir et apparaître sur les photos", détaille Politico. "Les conflits au sein de l’équipe sont courants dans les premiers jours de chaque administration, mais ils ont rarement été aussi ouverts et aussi prononcés", s’alarme le New York Times.

Cette méfiance a une conséquence fâcheuse : des informations et des documents confidentiels ne cessent de parvenir jusqu’à la presse. Les "fuites", qui servent à discréditer les "factions" adverses, sont désormais une véritable voie d’eau. "Cela a surpris – et bien sûr ravi – les journalistes, qui disent que cela donne au public une vision sans filtre de ceux qui sont au pouvoir, pensent et font", décrypte le Washington Post (en anglais). Les fuites proviennent également d’employés déjà présents sous l’ère Obama, croit savoir le chroniqueur Jonah Goldberg, interrogé par la radio NPR (en anglais). "Ils sont incroyablement offensés par la nouvelle administration et ils savourent leur capacité (...) à embarrasser [le gouvernement]", explique ce journaliste du National Review.

On dirait que l’aile ouest [de la Maison Blanche] est une sorte de cour des papes Borgia : chacun essaie d’empoisonner ou de planter un couteau dans le dos des autres. Il y a donc beaucoup de fuites pour se venger de ses rivaux.

Jonah Goldberg

à la radio NPR

Tweets assassins

Les premiers jours du mandat de Donald Trump sont un véritable cauchemar sur le plan de la communication. Le chef du cabinet, Reince Priebus, a d’ailleurs bien des difficultés à recruter un directeur de la communication pour la Maison Blanche : deux personnes ont déjà refusé l'offre, selon Politico (en anglais). En temps normal, ce poste est pourtant l’un des plus convoités à Washington. Mais les candidats redouteraient la tendance du nouveau chef de l’Etat à décider lui-même de ses messages, sans en discuter avec des collaborateurs.

Donald Trump continue en effet de tweeter depuis son compte personnel, dans un style qui lui est propre. Politico (en anglais) a recensé "23 personnes, endroits et objets" attaqués par le président durant ses deux premières semaines au pouvoir. Sur la liste, figurent pêle-mêle la ville de Chicago (où il a menacé d’envoyer la police fédérale pour lutter contre le crime), la lanceuse d’alerte Chelsea Manning, les démocrates et certains républicains, ainsi que plusieurs grands journaux. Il n'a bien sûr pas oublié les opposants à sa politique, qui ont manifesté à de nombreuses reprises depuis son investiture.

Des opposants au décret anti-immigration de Donald Trump manifestent à l'aéroport de Los Angeles (Californie, Etats-Unis), le 4 février 2017. (RINGO CHIU / REUTERS)

L’un des exemples criants du manque de coordination entre le président et ses collaborateurs s’est produit peu après la suspension du décret anti-immigration par un juge fédéral, vendredi 3 février. Sean Spicer, le porte-parole de la présidence, a d’abord qualifié cette décision de "scandaleuse" dans un communiqué. Dix minutes plus tard, un nouveau texte, plus mesuré, a été envoyé aux médias. Un effort vite effacé par les éructations de Donald Trump sur Twitter.

"La décision de ce soi-disant juge, qui prive notre pays de sa capacité à faire appliquer la loi, est ridicule et sera annulée", a estimé le président samedi 4 février, faisant fi de la séparation des pouvoirs. La décision a pourtant été maintenue par une cour d'appel californienne, vendredi 10 février.

Panique au sein des agences gouvernementales

Donald Trump n'emploie pas les canaux habituels de communication et ne suit pas non plus les processus classiques de prise de décisions. "Ses assistants disent qu’il ne veut pas arrêter (...) de chercher des idées et des retours auprès d’anciens amis, hors de la Maison Blanche", affirme le Wall Street Journal (article payant, en anglais). Résultat, ses collaborateurs ont bien du mal à suivre le fil de sa pensée. 

La situation est d’autant plus complexe que les diverses agences gouvernementales censées appliquer les décisions du gouvernement ne sont pas associées à la réflexion. Le décret qui acte le démantèlement de "Obamacare", une promesse de campagne de Donald Trump, a été rédigé sans que le ministère de la Santé ait été consulté, révèle le New York Times (en anglais). La Maison Blanche n'a pas non plus consulté le département en charge de l'Environnement avant de décider de relancer le projet de pipeline dans le Dakota, abandonné sous l'administration Obama.

Le secrétaire à la Sécurité intérieure n'a appris qu'à la dernière minute les détails du décret anti-immigration qu'il était pourtant chargé de faire appliquer, ajoute CNN (en anglais). Les agents des douanes ignoraient dans un premier temps quels ressortissants étaient visés par le texte. Le département de la Justice n'ayant pas été consulté, des étrangers disposant de papiers en règle ont été arrêtés jusqu'à ce qu'une juge new-yorkaise ordonne leur libération. La décision de suspendre les visas déjà délivrés a ensuite été annulée par un juge fédéral. La Maison Blanche ne se serait sans doute pas pris les pieds dans le tapis si, refusant d'agir dans la précipitation, elle avait consulté ses différents ministères.

Guéguerre des chefs

Ces erreurs de parcours trouvent également leur source dans le problème de gouvernance de la Maison Blanche. La rivalité est notoire entre le chef de cabinet, Reince Priebus, et le conseiller en stratégie du président, Steve Bannon. Stephen Miller, conseiller politique, et Kellyanne Conway, conseillère spéciale du président, essaient eux aussi d’asseoir leur pouvoir. "Il y a quatre chefs de cabinet et c’est trois de trop", résume un membre de l’administration, interrogé par Politico.

Un collaborateur semble toutefois disposer de plus de pouvoir que les autres : Steve Bannon. L'ancien patron du site conservateur Breitbart News a été nommé par décret au Conseil national de sécurité, relève le New York Times (en anglais). Jamais un proche du président n'avait obtenu un siège attitré au sein de ce groupe, chargé notamment de réfléchir à la stratégie militaire des Etats-Unis. Problème : selon le quotidien, Donald Trump ignorait qu'il accorderait tant de pouvoir à son conseiller lorsqu'il l'a nommé.

Le conseiller en stratégie de Donald Trump, Steve Bannon, lors d'une réunion à Washington (Etats-Unis), le 28 janvier 2017. (JONATHAN ERNST / REUTERS)

Vers un remaniement rapide de son staff ?

La découverte de cette information a tellement agacé Donald Trump qu'il exige désormais d'être associé plus tôt à la rédaction des décrets, poursuit le New York Times. Reince Priebus a également donné plusieurs consignes pour limiter le pouvoir de Steve Bannon et de son proche, Stephen Miller. Dernier tour de vis : il a créé une liste de dix étapes, dont une validation par le département de la communication, à respecter avant de prendre la moindre initiative. Après trois premières semaines brouillonnes, l'administration Trump commence enfin à s'organiser. Avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête : Donald Trump n’hésitera pas à trouver un responsable si le chaos continue de régner à la Maison Blanche.

Si sa première équipe ne fait pas le job, si elle n’arrive pas à s’entendre, il est parfaitement capable de changer de staff. Il l’a fait trois fois durant la campagne présidentielle.

Roger Stone, un proche de Donald Trump

à "Politico"

Une Maison Blanche dans le noir, divisée, épuisée par un président hyperactif et accro à la télévision. La description faite par les médias des premiers jours du mandat de Donald Trump est bien morose. Mais le chef de l’Etat a vite trouvé sa ligne de défense. Il a donc assuré sur Twitter (en anglais), lundi 6 février, que la presse inventait de "fausses informations" "Le défaillant New York Times a écrit une fiction me concernant. Ils se sont trompés à mon sujet pendant deux ans et maintenant ils inventent des histoires et des sources !"

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.