Charles III en France : à quoi sert vraiment cette visite d'Etat fastueuse ?
Homard bleu, volaille de Bresse, macarons à la rose… Un dîner fastueux a été organisé à Versailles (Yvelines), mercredi 20 septembre, en l'honneur du roi Charles III en visite d'Etat en France pour trois jours. Lors de cette réception, où étaient présentes de nombreuses personnalités (Mick Jagger, Hugh Grant, ou encore Charlotte Gainsbourg), le monarque britannique et Emmanuel Macron ont porté un toast à "l'amitié" entre leurs deux pays.
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Quelques heures auparavant, Charles III et son épouse Camilla s'étaient recueillis devant la tombe du Soldat inconnu sous l'Arc de Triomphe, avant de descendre les Champs-Elysées. Initialement prévue en mars, cette visite d'Etat devait être le premier déplacement à l'étranger de Charles III en tant que roi, mais elle avait dû être annulée en raison des manifestations contre la réforme des retraites. Cependant, six mois plus tard, alors que l'inflation subsiste en France et que les associations alertent sur la hausse de la précarité, les moyens déployés pour ce déplacement royal suscitent toujours des critiques.
Le château de Versailles pour faire "rayonner" la France
Selon l'Elysée, le choix du dîner à Versailles répond avant tout à un souhait de Charles III, "sensible à l'idée de marcher dans les pas de sa mère". Elizabeth II a en effet été la cheffe d'Etat étrangère la plus reçue à Versailles. En 1948, alors qu'elle était encore une jeune princesse héritière, elle avait été invitée au château avec son époux Philip. Déjà, la France avait mis les petits plats dans les grands pour l'événement. Au menu : briochines bohémiennes, truites saumonées à la vénitienne, jambons glacés Windsor et mousse Coppélia, liste Le Point. Une fois reine, Elizabeth II a de nouveau visité la galerie des Glaces en 1957. Elle s'y est encore rendue en 1972, lors de l'entrée du Royaume-uni dans la Communauté économique européenne.
"Depuis la reine Victoria, à chaque fois qu'on a voulu marquer une relation privilégiée avec l'Angleterre, il y a eu une réception au château de Versailles", observe auprès de l'AFP l'historien Fabien Oppermann, auteur du Versailles des présidents. Comme le général de Gaulle bien avant lui, Emmanuel Macron a également fait du château un atout diplomatique de premier plan. Il y a accueilli le président russe Vladimir Poutine en mai 2017 et y a présidé un sommet européen en mars 2022.
Pour l'Elysée, recevoir à Versailles marque aussi une volonté de "faire rayonner la France". Le château, édifié par le Roi-Soleil, est l'un des monuments touristiques les plus visités en France en 2022, rappelle La Croix. "A Versailles, c'est la France pluriséculaire qui reçoit, fait valoir Fabien Oppermann. C'est vraiment l'histoire de la France, telle qu'on l'imagine, avec la centralisation de Louis XIII et Louis XIV, la Révolution française, Louis-Philippe, Napoléon". Versailles illustre "la part monarchique du régime français", ajoute auprès de franceinfo Isabelle Baudino, maîtresse de conférences en civilisation britannique à l'Ecole normale supérieure de Lyon. La République, poursuit-elle, "a hérité de certains symboles monarchiques, comme la centralité du chef de l'Etat au sein des institutions".
Le roi, comme instrument du 'soft power' britannique
Des deux côtés de la Manche, le déplacement a été placé sous le signe de la célébration des liens anciens entre les deux pays. Car depuis que le Royaume-Uni a quitté l'Union européenne, l'entente n'a pas été des plus cordiales entre les deux pays. L'ancien Premier ministre Boris Johnson s'en est pris régulièrement à la France, que ce soit au sujet des quotas de pêche ou des règles commerciales appliquées aux saucisses.
L'éphémère successeure de Boris Johnson, Liz Truss, n'avait pas arrondi les angles l'an dernier en répondant "le jury est toujours en train de délibérer" à la question de savoir si Emmanuel Macon était un ami ou un ennemi. Toutefois, ces derniers mois, les relations se sont améliorées entre Paris et Londres avec le nouvel occupant du 10, Downing Street, Rishi Sunak, qui, comme le président français, est un ancien banquier d'affaires. Le 10 mars, un sommet franco-britannique s'était tenu à l'Elysée, une première après cinq années de tensions. Paris et Londres avaient insisté sur le "renouveau" de leur alliance.
"Cette visite royale [qui devait se tenir fin mars] s'inscrivait dans le prolongement de ce réchauffement", rappelle Isabelle Baudino. "La Couronne dans ce contexte devient un instrument de 'soft power' à la disposition du gouvernement, permettant de renforcer les relations diplomatiques", souligne auprès de La Croix Philip Kyle, auteur d’une biographie de Charles III.
Une volonté conjointe de "verdissement" de la politique
En tant que chef d'Etat d'une monarchie constitutionnelle, Charles III doit observer une stricte réserve. La politique n'est toutefois jamais absente de ces visites d'Etat. Pour le monarque, l'objectif est surtout de montrer son engagement comme "un roi écologiste hors des frontières britanniques", estime auprès de l'AFP Ed Owens, historien de la royauté. Lorsqu'il était prince de Galles, Charles III s'est distingué par ses prises de position en faveur de la protection de l'environnement et a concrétisé son engagement par de multiples projets.
Dans ce sillage, le roi se rend vendredi à Bordeaux, qui fut un temps sous le contrôle de son lointain prédécesseur Henri II, et où résident aujourd'hui 39 000 Britanniques. Il doit y visiter un vignoble et rencontrer des pompiers ayant participé à la lutte contre les incendies qui avaient ravagé le département des Landes l'an dernier. Il doit en outre se rendre à la forêt expérimentale de Floirac (Gironde), un projet destiné à étudier les effets du changement climatique.
"Du côté du Royaume-Uni, cette visite est avant tout un exercice de communication, car les Britanniques traversent une crise économique et s'y intéressent peu", pointe Isabelle Baudino. "Il s'agit de montrer des belles images : celle d'un roi qui célèbre l'amitié avec la France, qui s'engage pour l'environnement", étaye la chercheuse. Côté français, "le 'verdissement' de Charles III permet à Emmanuel Macron de se positionner également sur le sujet, et de le mettre à l'agenda des discussions internationales", ajoute-t-elle.
Le risque d'apparaître "déconnecté" pour Emmanuel Macron
Ce faste déployé par la république pour un monarque fait toutefois grincer des dents au sein de la classe politique, alors que les Français subissent toujours une inflation marquée. Alexis Corbière, député La France insoumise de Seine-Saint-Denis, a ainsi dénoncé sur Public Sénat "l'utilisation abusive" par Emmanuel Macron de "l'ultraprésidentialisme" et de "tous les artifices" pour l'incarner. "Dans le contexte social actuel, avec les difficultés qui frappent une grande partie des Français, un peu de sobriété n'aurait pas fait de mal", a embrayé sur franceinfo le coordinateur de LFI, Emmanuel Bompard.
"Très bien, on accueille Charles III, mais on n'oublie pas les Français qui crèvent de faim", a raillé de son côté Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout La France. "Quelle est l'utilité de Charles III et Camilla, mis à part faire couler l'encre des tabloïds ?" a interrogé sur BFMTV Nathalie Arthaud, ancienne candidate de Lutte ouvrière à l'élection présidentielle.
"Cette image-là, dans ce contexte-là, c'est évidemment fondamentalement nuisible pour Emmanuel Macron, même s'il y a des impératifs diplomatiques derrière qui jouent aussi", analyse auprès de l'AFP Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l'université Paris 2 Panthéon-Assas, rappelant que la période du 20 septembre est aussi associée à la naissance de la République en 1792. "La date n'est pas bonne, l'image n'est pas bonne, et ça renvoie à une séquence assez particulière, la réforme des retraites", dit-il.
La crise des retraites est depuis retombée et le président de la République tente de relancer son deuxième quinquennat, après un démarrage difficile. Mais la défiance des Français à son égard reste profonde. "Il peut être jugé compétent, incarnant bien l'international, mais il apparaît aussi orgueilleux, pédant et déconnecté", juge Benjamin Morel.
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